Pour ma part je roule à Paris à vélo depuis que j’ai 12 ans, et je certifie à tous qu’il n’est pas possible de respecter scrupuleusement le code de la route à vélo à moins de se haïr soi-même très profondément.
L’âge de me découverte de la circulation à vélo dans Paris était pour moi celui de la candeur et de l’énergie. J’étais très alerte, car très effrayé, et très vivace, car très jeune. Je n’ai jamais appliqué que deux principes, spontanément : gain de temps et sécurité partagés.
J’ai roulé à peu près partout : sur les trottoirs, sur les couloirs de bus, sur les boulevards, sur les quais de métro, dans les bois, dans les parcs, dans les squares, sur les voitures (stationnées) et je ne mentionne même pas les sens interdits ni les stops ou les feux rouges car à l’époque mon intelligence me permettait de discerner clairement que regarder le feu rouge c’est autant de temps que l’on perd à ne pas regarder son environnement. Sans la moindre théorisation, j’agissais comme si j’avais tout à fait conscience du fait que ces éléments d’interdiction faisaient partie d’une métaphysique imposée par le pouvoir et qu’il était évident qu’il fallait ignorer sous peine de se retrouver immédiament pris dans le faisceau morbide des interdictions exercées par des objets à moitié morts sur des sujets à moitié vivants.
Bien m’en a pris. Aujourd’hui je roule encore à vélo, sans encombre. Il m’est arrivé de lire pendant que je roulais à vélo, dans Paris, mais cela est fatiguant, finalement, et même dangereux s’il s’agit d’une revue fascinante.
Les deux fois où j’ai eu peur à vélo sont, d’abord, une première fois où je roule dans une contre-allée autorisée à la circulation des véhicules à moteur, boulevard des Invalides, côté musée Rodin. Un homme en costume emprunte
la même voie. Soudain, il change de direction. Je suis à pleine vitesse. Le choc est inévitable. Je me fais plus mal que lui. Je lui dis « vous pourriez vous excuser » car il continue son chemin ! alors que je viens de chuter à 30 km/h, comme si de rien était. J’ai senti ce besoin de lui dire quelquechose, sûrement pas parce qu’un politesse de sa part aurait apaisé ma souffrance, mais sûrement parce que j’ai découvert alors que nos villes étaient peuplées de fantômes. Des gens qui, sûrement, obéissent au lois, qui s’arrêteraient aux feux rouges en pleine nuit s’il y en avait en rase campagne, mais qui sont par ailleurs incapables de réagir à la survenue d’un obstacle inattendu, comme par exemple, un enfant qui court après son ballon, ce qui n’est pas interdit mais c’est tout comme : il n’y a plus d’enfants en liberté dans nos villes et on se demande pourquoi. (Tandis que, par exemple, à Saïgon, on joue au football au milieu des carrefours, qu’à Palerme, on grille tous les feux, et qu’il n’y a pas plus de mort qu’ailleurs). La deuxième fois que j’ai eu peur, c’était rue de Bourgogne, alors que quelqu’un m’a traversé sous le nez sans regarder.
Pour finir sur une note involontairement provocatrice, bien réelle en tout cas, je précise qu’il m’est arrivé, une ou deux fois, de faire la course avec un ami, à vélo, dans le sens de la descente, sur le côté droit des Champs-Elysées, sur le trottoir. La vitesse était maximale, mais le comportement des touristes et des piétons de cette zone est tellement prévisible, rectiligne, fantômatique, que même les effleurer ne comporta aucun danger ! (Ceci est bien sûr un comportement limite de l’adolescence et non pas un comportement exemplaire).
Finalement je rappellerai les qualités du vélo : jusqu’à vingt kilomètres heures, vitesse qu’il est assez rare de dépasser dans Paris, avec un bon engin, ET DES SENS EN ALERTE, on peut s’arrêter sur un mètre...