@ Reboul
Je vous cite et je vais essayer de vous répondre le plus clairement possible dans la foulée :
« C’est la loi à géométrie toujours très variable (en particulier sur la question du regroupement familial) qui crée les prétendus clandestins que je préfère appeler des sans-papiers puiqu’on les leur refuse alors qu’ils ne sont en rien ni des criminels, ni des parasites, sinon forcés, et qu’ils ne cherchent qu’à travailler pour survivre dans notre pays ; ce qui est souvent impossible dans leur pays d’origine. Du reste vous vous gardez rien de répondre à ma question : que feriez-vous dans leur situation ? Si vous êtes assuré de répondre non à cette question alors je peux comprendre votre argumentation (sans être nécessairement d’accord avec ses conclusions) ; mais le pouvez-vous ?, si c’est non, vos propos ne valent que pour vous dans »votre« situation et n’ont pas de portée générale possible, ce qui est une condition requise de tout argument rationnel. »
I - On ne refuse pas des papiers aux clandestins sous prétexte qu’ils seraient des criminels ou des parasites. Personne n’a jamais prétendu une telle énormité. On leur refuse ces papiers parce que nous sommes arrivés à un seuil de non-tolérance en ce qui concerne une population qui vient en France chercher des avantages matériels, mais qui ne particpe de très peu à la vie collective et au développement de notre pays, occupés qu’elle est de faire vivre les gens qui sont restés au bled. Les transferts de fonds vers les pays d’origine représentent des sommes colossales, d’autant que les personnes à l’origine de ces transferts émargent grassement à notre budget, sans guère de contrepartie (surtout s’ils travaillent au noir).
Les clandestins ne viennent plus travailler pour survivre dans notre pays, ils viennent pour faire vivre les leurs et les gouvernements locaux l’ont parfaitement compris.
Voulez-vous que je vous raconte comment le gouvernement marocain les cajole début juillet et début août en implantant à la sortie des ports et sur les aires de repos des autoroutes et des nationales de grandes tentes caïdales pour leur proposer des investissements financiers qui finissent généralement dans les banques et les compagnies d’assurances opaques ? Savez-vous que les banques marocaines comptent parmi celles qui ont le plus fort taux de rentabilité, bien loin devant les établissements occidentaux (et ce dans un pays musulman qui est censé interdire l’usure...). Du reste, la Banque Mondiale a dû les rappeler à l’ordre dernièrement tant ce taux de rentabilité paraissait un frein évident au développement de l’économie. Voulez-vous que je vous parle des milliers d’immeubles vides qu’on construit avec l’argent des émigrés dans les banlieues des grandes villes (Rabat, Casa, Agadir, Marrakech), et aussi des plus petites, (Beni Mellal ; Guercif, Ben Guérir, Gelmim), mais je pourrai vous parler ainsi de tout le pays. C’est devenu une véritable compétition.
II - Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire pour moi la situation est claire : qu’un homme décide d’améliorer son sort et brave à la fois le destin et les lois des hommes pour arriver à son but, je trouve ça normal. A condition qu’il ne commette aucun acte de violence pour parvenir à ces fins. S’il réussit, tant mieux pour lui. Mais c’est à ses risques et périls, pas à ceux de la société dans laquelle il compte s’immiscer en clandestin.
Dans la vie, il arrive parfois qu’on doive prendre des risques. Certains humains, de part leur condition d’origine, sont exposés à des risques plus graves que d’autres. C’est ça la loi des hommes. Bien sûr, il est noble de vouloir corriger ces inégalités, mais avec des règles, pas en instituant une prime à la délinquance. Ce que vit l’Occident aujourd’hui n’a rien à voir avec ce qu’il a connu dans les siècles ni même les décennies précédentes. Les possibilités d’intégration semblent être arrivées à saturation. Est-ce juste de vouloir continuer de charger une barque qu’on est sûrs de voir couler un jour ? Il n’est pas question de stopper l’immigration comme le disent certains, mais de la ralentir de façon significative et de dissuader le plus fermement possible des candidats mal préparés à une clandestinité pleine de risques personnels et collectifs.
Déjà dans les années 80, ceux qui avaient le plus peur des nouveaux clandestins étaient les immigrés de la première génération qui voyaient bien que ces nouveaux arrivants allaient modifier leur sort personnel. Et c’est ce qui s’est passé, malheureusement pour eux.
III - Pour ce qui est de « ce que je ferai personnellement » dans cette situation, je pense que la question ne peut pas se poser de cette façon mais je veux bien tenter de vous répondre. Je ne peux vous parler que comme un homme de plus de 50 ans, issu d’une culture déterminée et qui a été en contact avec d’autres cultures.
Ma conclusion est simple : dans l’histoire contemporaine, les économistes (suivis par les politiques en manque de rigueur intellectuelle) nous ont fait passer en une trentaine d’années d’une perception nationaliste de nos sociétés à une soi-disant vision mondialiste qui n’existe que pour les actionnaires de grands groupes industriels ou financiers. La mondialisation est un leurre. Mondialisation des marchandises, oui. Des individus, non.
J’en suis alors arrivé à estimer que nous avons sauté le stade d’une continentialisation (en fait de sous-groupes continentaux) qui nous fait défaut aujourd’hui et qu’il faudra des décennies à réaliser. Le monde doit créer de vastes ensemble culturels et non de des zones économiques extensibles à merci. L’Europe doit avoir une identité culturelle, si elle n’y parvient pas il faut avoir la sagesse de la découper en trois entités culturelles qui représentent le vivier dans lequel elle s’est toujours développée : Europe du Sud, Europe du Nord, Europe Centrale. Il en va de même pour l’Afrique : contruire un grand Maghreb, une Afrique de l’Ouest, une Afrique des Grands Lacs, une Afrique australe, etc... je laisse à d’autres le soin de compléter. Je pense que si nous devons lutter pour quelque chose de juste et d’efficace, c’est avant tout pour cela. Je ne puis vous parler qu’avec cette vision du monde et non avec celle que j’avais dans les années 70.
Donc, pour répondre plus directement à votre question, si j’avais vingt ans aujourd’hui dans un pays africain, la première chose que je déciderai c’est de ne pas mettre d’enfants au monde sans être sûr de leur donner accès à la culture. La seconde c’est, comme je l’ai toujours fait durant toute ma vie, que je ne resterai pas cinq minutes sans rien faire de mes dix doigts : je lirai, je volerai des livres (je l’ai fait quand j’étais adolescent), j’écrirai, je barbouillerai de la peinture, je monterai des murs de terre (la terre c’est gratuit et on entrouve partout) juste pour le plaisir de mettre mes mains dans la glaise, je sculpterai des cailloux ou des bouts de bois. J’écouterai des gens jouer d’un instrument. J’apprendrai à chanter. Peut-être j’apprendrai à parler aux singes, aux ânes, aux oiseaux. Et surtout, j’ouvrirai les yeux sur tout ce qui m’entoure en regardant les choses dans leurs moindres détails, avec le désir cuisant de vouloir les améliorer ou les changer.
Patrick Adam