• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


Commentaire de Christophe

sur Nul n'est prophète en son pays


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

Christophe Christophe 14 octobre 2007 01:44

Bonjour Luciole,

Il me semble que dans les théories de Girard, il existe effectivement une discontinuité temporelle, mais qui relève plus de l’évolution que d’autre chose (Girard aime d’ailleurs plus se comparer à Darwin qu’à Copernic).

Ne connaissant pas bien l’approche girardienne, je commence à mieux la percevoir, il me semble. Il recherche le fil conducteur animal qui persiste en l’homme ; objectant, je suppose, que l’approche de la raison faite par Nietzsche masque le fait que l’animal humain ne parvient pas à transcender la violence bestiale qui l’anime toujours. Il prend à contre pied tout autant Socrate qui exprimait qu’il vaut mieux subir une injustice qu’en commetre une.

Les discontinuités spatiales peuvent donc s’interpréter non pas comme des différences ontologiques majeures entre différentes catégories d’êtres humains, mais plutôt comme la résultante d’un équilibre « écologique » local, qu’une perturbation extérieure peut remettre en question, voire anéantir.

Sur ce point, nous sommes d’accord. Seuls les évolutionnistes en anthropologie abordaient ce différentiel par une catégorisation créant des sous-hommes ; nous savons, aujourd’hui, où cela nous a mené ; c’est, pour Annah Arendt, l’une des cause qui a conduit à bien des génocides en permettant d’avoir la conscience tranquille.

Pour vous montrer toutefois à quel point Girard ne voit pas de fondement métaphysique à la discontinuité spatiale, c’est qu’il admet d’appliquer « à peu près » les mêmes mécanismes fonctionnels de base (le lynchage unificateur) à l’homme moderne comme au Néandertal, mais même aux dauphins et aux chimpanzés.

Ou même le suicide individuel ou collectif pour le bien du groupe. Des rats, en Chine, avait eu un tel comportement, se noyant par centaines dans une période de surpopulation. Quant au lynchage unificateur, nous le retrouvons dans les bizutages, mais il doit pouvoir prendre d’autres formes !

La discontinuité temporelle est introduite soit par une pacification temporaire de la société qui peut conduire à une idéalisation des formes du sacré (ou des valeurs philosophiques ?) soit par un message subversif qui empêche le mécanisme victimaire de fonctionner correctement et l’oblige à s’adapter vers des formes culturelles plus sophistiquées.

Une forme de conditionnement dans le but d’enfouir profondément dans notre psyché les pulsions animales qui sont toujours présentes. Un refoulement, en quelque sorte. Cependant, nous savons, si nous nous référons à la psychologie ou à la psychanalyse, qu’il existe toujours des déclencheurs qui permettent à ces instincts de remonter à la surface.

Cela me rappelle mes anciens cours lorsque nous comparions l’intelligence naturelle à l’intelligence artificielle. Beaucoup de nos comportements naturels sont perturbés par ce que nous apprenons ; nous sommes même souvent à l’opposé des caractéristiques que la nature nous a donné.

Par exemple, le rationnalisme s’appuie principalement sur un principe analytique ; l’analyse n’est pas naturelle chez l’être humain, nous sommes plutôt synthétiques. L’analyse introduit la déduction alors que l’humain est naturellement inductif. L’analyse se rapproche des mathématiques qui sont extentionnelles alors que l’être humain fonctionne naturellement de façon intentionnelle.

Ces exemples peuvent permettre de mettre en lumière que notre formation, notre éducation, ... tendent à nous éloigner de l’animal politique que nous sommes naturellement.

Mais peut-être suis-je encore éloigné de ce que Girard veut mettre en avant. Il me faut lire ses ouvrages pour mieux comprendre ; même si le fait religieux n’est pas ma tasse de thé ! smiley

J’ai dû travailler un peu sur cet aspect entre le religieux, principalement l’influence judéo-chrétienne, et les démocraties d’aujourd’hui avec Philippe MURCIA, ancien rédacteur d’Agoravox et membre de l’Académie des Sciences de New York. Notre sujet consistait à essayer de savoir si les démocraties n’étaient pas une transposition des valeurs religieuses adaptées à la nouvelle relation entre l’homme et sa temporalité, relation introduite par les Lumières en philosophie mais dont l’origine remonte à Brunelleschi lors de la construction du dôme de Florence (1420-1434). En fait, la révolution française consacre, à mon sens, le passage de l’homme-archaïque à l’homme-perspectif. Malheureusement, le manque de temps ne nous a pas permis d’aller jusqu’au bout de cette étude ; nous étions parti d’un article qu’il avait écrit : Et si nous n’étions que des théocraties travesties !

Y aurait-il eu du grain pour Girard dans notre approche ? Je ne sais !


Voir ce commentaire dans son contexte





Palmarès