Voici la lettre que j’avais envoyée le 29 octobre 1996 à Daniel Schneidermann quand il était rédacteur en chef du Monde :
Monsieur,
Non, Monsieur Schneidermann, l’anglais n’est pas un “espéranto mondial”, comme vous l’avez écrit dans Le Monde (supplément Télévision-Radio-Multimedia des 27-28 octobre).
Le mot “espéranto” est déplacé dans ce contexte, c’est pour ainsi dire un détournement d’appellation. Au départ langue d’une nation, l’anglais est devenu celle d’un empire colonial, puis d’un certain nombre de pays dont l’un marque le monde de son hégémonie. Dans son usage international, l’anglais reste un sabir pour l’écrasante majorité de ceux qui ont consacré même beaucoup de temps à son apprentissage. C’est un langage approximatif, un Bad English, un Broken English ou tout ce qui vous pouvez imaginer comme instrument inadapté pour le rôle de véritable langue mondiale. Malgré plusieurs siècles de domination britannique en Inde, l’anglais n’est maîtrisé que par un faible pourcentage de la population (1% d’après le Time !) ; il n’est pour les autres qu’un langage élémentaire, voire rudimentaire, un langage “pour se débrouiller”. L’anglais ne peut donc en aucune manière devenir la langue devant laquelle les peuples seront à égalité, ce qui est précisément la vocation de l’espéranto. Il est surtout le vecteur d’une manière de penser et d’un esprit qui sont à l’opposé de ceux de l’espéranto. L’espéranto a été conçu pour le rôle de langue internationale (tel est son nom d’origine) et il l’a toujours parfaitement joué entre ceux qui ont eu l’idée et l’audace de braver le monde des préjugés, de le découvrir autrement que par ouï-dire.
Je pense que vous avez malgré tout une excuse car si vous souhaitez savoir où en est aujourd’hui l’espéranto dans le monde, mieux vaut aller de par le monde et voir sur place - où naviguer dans le monde d’Internet - plutôt que de vous fier à Le Monde. Si Le Monde a toujours été votre principale source de référence en ce domaine, vous êtes obligatoirement passé à côté d’informations essentielles. Par exemple, vous n’avez jamais pu savoir :
- que, sous le patronage du président Vaclav Havel, un congrès universel d’espéranto s’est tenu cet été à Prague sans l’ombre d’un interprète avec 2971 participants de 60 pays qui ont eu le choix entre 160 programmes (conférences, spectacles et autres). Ce congrès a reçu des messages notamment de MM Boutros Boutros Ghali, Federico Mayor, de l’archevêque de Prague - espérantophone ;
- que l’Académie Internationale des Sciences de Saint Marin, dont la langue officielle et principale langue de travail est l’espéranto, a déjà plus de 1000 membres et un Prix Nobel (Reinhard Selten, sciences économiques, 1994) en moins de douze ans d’existence ;
- que la Commission Européenne a confié au professeur Selten le projet d’une étude sur les coûts effectifs de la (non)communication en Europe. Reinhard Selten a appris l’espéranto dans sa jeunesse. Obligé d’utiliser l’anglais, comme la plupart des scientifiques, il a malgré tout osé faire usage de l’espéranto pour des articles, des ouvrages et des conférences, et il n’hésite pas à exprimer publiquement sa préférence pour l’espéranto dans le rôle de langue internationale. Il me paraît donc être parmi les plus qualifiés pour faire la différence entre anglais et espéranto.
Nul n’a mieux décrit l’espéranto que Claude Hagège qui, sans en être partisan, a admis l’enseignement de l’espéranto comme sujet de débat : “C’est dans sa facture une langue que l’on peut considérer comme une des grandes langues de l’Europe”. (...) Je pense que l’espéranto est une solution parmi d’autres, et qu’il pourrait avoir pour lui l’avantage, sérieux, à savoir que, contrairement à n’importe laquelle des langues de vocation européenne, il n’est pas, lui, précédé ou suivi d’un engagement politique et national. C’est la langue d’aucune nation, d’aucun État.” Et c’était du reste l’idée de son inventeur, Zamenhof (...), en 1887, l’avait dit dès cette époque, quand il a publié (...) le premier livre qui proposait l’espéranto. On le sait depuis longtemps donc, l’espéranto a pour lui, avait pour lui, a toujours pour lui, de ne pas être la langue d’une nation et d’un peuple, encore moins d’un État au sens hégélien du terme, ce qui sont des traits plutôt favorables.” (lors d’une conférence à Valenciennes (2.12.1993).
Permettez-moi néanmoins de vous féliciter pour l’article en question qui, par ailleurs, comporte matière à réflexion. J’aurais bien entendu apprécié que votre allusion à l’espéranto - qui peut lui-même fournir une abondante matière à réflexion - soit du même niveau.
Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués.
Coauteur de L’homme qui a défié Babel (Éd. Ramsay)
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