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Commentaire de Paul Villach

sur Propositions pour une reconquête du journalisme


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Paul Villach Paul Villach 8 novembre 2007 12:30

@ Jean-Luc Martin-Lagardette.

Je ne peux que vous féliciter de cette démarche obstinée qui est la vôtre pour tenter de sortir votre profession du bourbier délétère où elle est enlisée, et de travailler à améliorer la qualité de l’information disponible. Toutes les propositions que vous faites sont intéressantes. Mais elles ne suffiront pas à atteindre l’objectif que vous vous fixez.

Quand bien même vous maîtriseriez les contraintes directes qui pèsent sur votre profession, il en est une, capitale, sur laquelle vous n’avez guère de prise : ce sont celles des propriétés des récepteurs, vos lecteurs ou auditeurs. L’une d’elle est leur niveau culturel directement tributaire de l’École par où ils sont « obligatoirement » passés.

Or, l’enseignement de l’information qui leur dispensé est un enseignement qui fortifie la crédulité et la naïveté. J’ai coutume de dire qu’une sorte de « ligne de partage des eaux » séparent les deux représentations de l’information qui sont en présence.

1- l’une est celle de l’École républicaine (!) - et qu’elle a empruntée aux médias, lesquels ne cessent pas de la diffuser à longueur de journée - : elle définit l’information comme « un fait ». Voyez la chronique de G. Muhlmann sur France-Culture que j’ai épinglée sur AGORAVOX.

Le lecteur ou auditeur est alors incité à ignorer qu’il n’accède à la réalité qu’au travers de médias en série, tous « fauteurs de troubles » dans la représentation livrée, qu’on le veuille ou non, quels que soient la bonne volonté de l’émetteur (journaliste ou non) ou son respect d’une déontologie.

2- L’autre que des travaux incontestables ont établie, présente, au contraire, l’information comme seulement « la représentation d’un fait », en prenant en compte tous ces « prismes déformants » que sont les médias interposés en série entre soi et la réalité (les cinq sens - le cadre de référence de chacun - les motivations - les postures - les mots - les images - les logistiques diverses de diffusion de masse...)

Il conviendrait donc d’ajouter à votre catalogue qui concerne votre profession, la nécessaire correction de « la théorie naïve de l’information » qu’École et Université dispensent. Rien n’est plus pitoyable de découvrir au 21ème siècle que, dans un amphi de 600 étudiants en première année d’Université, pas un n’est capable de vous donner une définition expérimentalement fondée de l’information.

Et comme École et Université n’ont fait que reprendre cette « théorie promotionnnelle de l’information » des mains des médias, il importe donc que votre profession fasse un aggiornamento théorique et cesse de diffuser ces billevesées définissant l’information comme « un fait », faisant la distinction saugrenue entre « commentaire » et « information », opposant « information » et « désinformation » ou « communication » et « information », dans le but de faire croire que l’information livrée est la vérité ou quelque chose d’approchant.

Qu’est-ce que votre profession a à perdre à reconnaître que l’information est soumise à des contraintes qu’elle s’engage - comme c’est votre projet - à mieux maîtriser ? Elle a au contraire tout à gagner à ne pas nier les contraintes qui pèsent sur elle. Les physiciens auraient-ils pu progresser s’ils avaient prétendu faire de la physique en niant la loi de la gravitation universelle sur terre ? L’avion et la fusée n’ont pu s’arracher au sol qu’en utilisant cette loi astucieusement. Pourquoi donc dissimuler que l’information est soumise elle aussi à des contraintes majeures ? En quoi cela est-il honteux de le reconnaître ? Et la première contrainte de toutes dont je fais le principe fondamental de « la relation d’information », est la suivante : « Nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire. » Je préfère cette formulation à celle prêtée à Churchill : « En temps de guerre, la vérité est si précieuse qu’elle devrait être toujours protégée par un rempart de mensonges ». Qui peut contredire ?

Tant que votre lectorat sera élevé dans une « théorie naïve de l’information », tous vos efforts pour une meilleure qualité de l’information seront vains, j’en ai bien peur. Votre meilleur allié pour maîtriser les contraintes qui s’exercent sur votre profession est un lecteur averti : on ne raconte pas de bobards à qui est capable de les déceler. Croyez-vous que nous aurions des journaux comme « Paris-Match » ou « le Bild » - dont j’ai analysé les turpitudes sur AGORAVOX, si le lectorat auquel ils s’adressent « se fendaient la pêche » à voir leurs « çonneries » à mourir de rire ? Je vous assure, les leurres sont très amusants à débusquer, mais il faut avoir déjà une idée des stratégies mises en oeuvre. Croyez-vous également que sur une respectable chaîne publique comme France-Culture, Mme Muhlman pourrait continuer à enfiler des perles naïves comme elle l’a fait dans la chronique ci-dessus mentionnée et que j’ai étrillée ?

Je sais que vous attendez que « le public » vous épaule dans votre entreprise. Je ne puis mieux faire que de vous soumettre à mon tour cette proposition.

Et merci à AGORAVOX qui permet ce débat inimaginable ailleurs !

Très cordialement, Paul VILLACH


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