@ L’auteur
Ta réflexion relève d’une conception assez abstraite de l’individualisme, que tu opposes au collectivisme alors que les deux forment un couple complémentaire aux interactions complexes et souvent paradoxales.
Sur le fond et dans l’abstrait on pourrait être d’accord : l’individualisme anarchique (donc sans solidarité) est une horreur, et l’individualisme « social » (donc solidaire ?) est une bénédiction...
La question qui se pose concrètement est : Qu’est-ce qu’un individu ?. A partir de quels critères peut-on définir une conduite individuée et individuelle ?
Un être pleinement individué est pleinement lui-même, il se forge ses propres opinions et sa vision du monde et des autres à partir de son propre mode de fonctionnement et de ses propres expériences, compte tenu de ses conditionnements génétiques, familiaux, socioculturels dont il est aussi conscient que possible et vis-à-vis desquels il a su prendre ses distances pour ne pas en refléter les préjugés.
Ce type d’individu pleinement individualisé s’observe très rarement dans la vie réelle. Ce qu’on rencontre plutôt, dans l’immense majorité des cas, ce sont des personnes qui croient être des individus autonomes et qui au fond ne ne sont pas tant ils sont intoxiqués par des opinions et préjugés qui ne leur appartiennent pas, qui sont le fruit d’un conditionnement de leur(s) groupe(s) ou eollectivité (race, classe, nation, religion, etc.) d’appartenance. Pour ceux-ci, la notion d’individualité ne veut rien dire, vu qu’ils ne sont pas individués.
L’individualisme actuel est ainsi un individualisme moutonnier, sans individuation, donc une sorte de collectivisme néolibéral. Soyons individualistes, nous le voulons tous ! Et tous ces « individualistes » pas individués consomment les mêmes choses, regardent les mêmes programmes télés et donnent des opinions qu’ils croient être les leurs alors qu’elles ne sont que le résultat de propagandes et de bourrages de crâne.
Autre chose : l’individualisme est né avec les Lumières, en Europe et s’est lentement développé depuis jusqu’à prendre la forme caricaturale et paradoxale de l’individualisme moutonnier et mimétique des sociétés occidentales actuelles. D’autres cultures continuent à privilégie des rapports de solidarité de groupes (familles élargies, tribus, etc.). Loin de moi l’idée de faire du relativisme culturel. La naissance et la reconnaissance du statut de la liberté individuelle est une formidable conquête tant qu’elle est indissociable des relations de solidarité. Car, paradoxe, seuls les êtres vraiment et pleinement individués ont le sens du collectif. Pour tous les autres, c’est le règne du « moi d’abord », le règne de la compétition mimétique de chacun contre chacun.
L’horreur pseudo-libérale actuelle, quoi, où le collectif impose de moins de solidarités nécessaires à de pseudos-individus qui ne jurent plus que par l’épanouissement d’un « moi-je » de paccotille qui n’est qu’une illusion, le fruit d’un bourrage de crâne.
L’individualisme libéral, c’est parfait dans la théorie, dans l’abstrait, et ce serait parfait dans la réalité concrète si une majorité d’individus étaient pleinement eux-mêmes donc vraiment individués. Ce n’est pas le cas. Il faut donc bien des mécanismes de régulation collectifs pour préserver les nécessaires solidarités dont tout individu a besoin même s’il le nie ou qu’il n’en a pas conscience.
Bref, désolé, on est en plein individualisme anarchique, c’est-à-dire dans une société du chacun pour soi de plus en plus invivable.