à Vin100
Bonjour Vincent.
Je ne sais si je dois vous remercier car vous me mettez dans l’embarras. Non pas lorsque vous me rappelez que « l’Église m’a nourri en son sein » car, pour l’essentiel, la nourriture était plutôt bonne, même si le peu « qui n’est pas passé » reste impossible à avaler, surtout quand on s’obstine à m’en resservir chaque jour..
Mais voilà : plus haut dans notre débat, répondant à Ben, bien intentionné, j’ai commencé à m’éloigner de mon sujet et, sollicité à propos de Rimbaud, de Sollers... j’ai donné mon sentiment sur un point de littérature. J’ai vite fait machine arrière : ça nous aurait entraîné trop loin et, par surcroît, sur un terrain où je n’ai guère de certitudes.
Je suis avec vous devant un dilemme semblable : si je vous réponds ça va m’entraîner vers la philo, la politique, que sais-je encore ? Mais le problème est un peu différent car c’est en restant très précisément sur le sujet initial que vous faites avancer le débat. Vous reconnaissez que ma demande est logique mais vous demandez si l’on peut, si l’on doit y répondre. Vous suggérez aussi que c’est peut-être « par un rééquilibrage de l’ensemble du corps malade » (ici, je suppose, la société) que l’on pourrait faire disparaître la violence religieuse, laquelle ne serait, au fond, que le résultat d’un « déséquilibre excessif ».
Ne pas répondre, ce serait mettre un terme au débat alors qu’il avance réellement. Répondre, ça risque de nous entraîner très loin.
Je choisis de répondre, en vous disant ce qui me vient à l’esprit et en espérant que d’autres prendront la relève - d’autres échangeant avec vous sur ces questions, ça peut m’intéresser aussi - et qu’AgoraVox voudra bien, techniquement ou dans une concertation d’un comité de rédaction, permettre cette extension.
Il est arrivé bien souvent qu’au terme d’une discussion des amis athées me disent : « mais en fait, ce que tu veux, c’est sauver le christianisme ». Je réponds invariablement que ce n’est pas mon but, que je vise seulement à ce qu’il cesse d’être « aussi » criminogène (en plus d’être pacifiant), et que les autres religions cessent également de l’être mais que, si ça passe par une régénération, une consolidation de l’un et des autres ça ne me gène nullement. Pourquoi pas ? Je n’ai aucune envie de me battre contre les religions. Je leur trouve même toujours, et même si j’ai quitté la mienne, bien des côtés attachants. Et c’est vrai qu’il me reste « quelque part » de la nostalgie pour la JOC de ma jeunesse, cette communauté où l’on voulait absolument que nos croyances catholiques passent AUSSI ET AVANT TOUT par une exigence de justice et de non-violence, et que cette exigence soit très concrètement TRADUITE DANS LA RÉALITÉ SOCIALE.
Où, de quel côté, sont aujourd’hui mes amis jocistes de jadis ? Dans quel suivisme béat, dans quel unanimisme papiste sont-ils englués, eux aussi ? Eux que je n’entends plus jamais exiger le christianisme auquel nous avons cru ensemble.
Entre mes amis athées et mes amis croyants sans exigence, je me suis donc trouvé bien seul. Longtemps ce fut très dur. Aujourd’hui ça ne me pèse plus du tout. D’autant moins que, je crois le percevoir, mon isolement est chaque jour un peu moins évident. C’est désormais la forme à donner à l’exigence de changement qui semble faire problème, plus vraiment sa nécessité.
Avant d’aller plus loin, et pour ne pas allonger inutilement, ici, par une répétition supplémentaire, je vous demande avec insistance, Vincent, d’aller lire les extraits de Maïmonide (12e siècle) comme je le demandais à bahr dans ma toute première réponse aux commentaires (le 17 novembre). Vous y verrez à quel point de déraison criminogène sont conduits les penseurs les plus éclairés (voire les plus éclairants) quand ils sont enfermés dans la croyance dogmatique en la vieille conception de la « parole de Dieu ».
Voici, en copié/collé, un autre exemple pris dans un texte que je tentais de publier il y a tout juste un an :
« Chacune des religions étant convaincue qu’elle est la bonne et que les autres sont dans l’erreur, chacune garde donc intactes ses propres raisons de faire la guerre mais »pour la bonne cause« , laquelle est décrite par Dieu très différemment, voire sous des aspects très exactement opposés, à chacune des religions. C’est ainsi, pour prendre un exemple vieux de 3000 ans et toujours très actuel, que la terre d’Israël appartient bien aux Juifs puisqu’ils ont lu dans la Bible, sacrée sur ce point comme sur tous les autres, que Dieu la leur a donnée. C’est une justification suffisante à l’existence de l’actuel état d’Israël. Mais, comme le rappelait récemment un représentant du Hamas, c’est aux Palestiniens qu’appartient cette terre, puisqu’ils ont lu dans le Coran, toujours intégralement sacré, que c’est à eux que Dieu l’a donnée. C’est donc bien une raison suffisante pour décréter la nécessité de faire disparaître l’actuel état d’Israël. Chacun peut comprendre que, si rien ne change sur ce point précis, DANS LES BASES SACRÉES DES DEUX RELIGIONS, les raisons de faire la guerre seront toujours intactes dans 3000 ans. »
Ces deux rappels, donc, simplement pour qu’on n’oublie pas que c’est la conception criminogène de Dieu DANS TOUTES LES RELIGIONS qui est ma cible permanente.
Revenons au christianisme. Si j’avais seulement la conviction qu’il peut se débarrasser de sa conception criminogène, si je n’étais pas certain qu’il DOIT le faire, que c’est absolument indispensable « pour le rééquilibrage DE L’ENSEMBLE DU CORPS MALADE » je n’insisterais sans doute pas. Je laisserais tomber si, en pensant à mes petits enfants je n’étais persuadé que, pour eux, demain, sans le rejet préalable de la théologie criminogène, la paix et les Droits de la personne humaine SERONT IMPOSSIBLES (point 5 de mes « 9 propositions pour en sortir », voir mon commentaire déjà cité du 17 novembre).
(Aïe ! Je relis ce commentaire, puis le suivant, et je m’aperçois que j’ai fait une énorme coquille : j’ai écrit : « je bataille... pour que des hommes... Pape, Grand Rabbin ou Recteur de Grande Mosquée, enseignent que Dieu trouve son plaisir et sa justice dans des massacres... » J’espère que les lecteurs auront rectifié d’eux-mêmes. Je voulais évidemment dire « je bataille POUR QU’ILS CESSENT d’enseigner que Dieu trouve son plaisir... »)
Sur le supposé « besoin de mystère », de contradictions, d’incohérences dans les religions ; ou encore -c’est la même chose- sur la supposée opposition (incompatibilité ?) entre la vérité et la charité :
Paul, je vous le rappelle, était un converti (qui avait reçu une « fulgurante » révélation) et, on le sait, c’est chez les convertis de ce genre qu’on trouve le plus de radicalité, de prosélytisme, de dogmatisme... Il lui fallait opposer des concepts, faire comprendre que les croyants auraient à TRANCHER entre foi et raison, entre rationalisme et croyance aveugle. Il savait que c’est ainsi qu’on forme une secte (ça n’a pas changé). Fort heureusement, il avait vu la grande générosité de Jésus et c’était cela qu’il mettait en premier.
Mais en réalité il DÉFINISSAIT ainsi ce qu’allait être le christianisme, il ne choisissait pas parmi ses possibles. Il aurait aussi bien pu voir dans la vie de Jésus une formidable avancée vers ce qu’on appellerait aujourd’hui les Droits DE L’HOMME, une formidable manière de tourner le dos à la violence, de cesser de la croire divine dans les écrits antérieurs de sa religion.
Le problème n’a pas changé depuis Paul : pour les actuels disciples de Jésus le choix est le même (mais les chrétiens d’aujourd’hui ont 20 siècles d’expériences, dont toutes celles qui ont prouvé la nocivité du mauvais choix, ce n’est pas rien !) Ils ont à CHOISIR entre une conception de Dieu qui exclut en lui toute violence et une autre conception qui la lui fait porter (et qui le rabaisse ainsi au niveau des pauvres créatures humaines). Et bien entendu, s’ils font le second choix, ils font aussi celui du « mystère », de l’invraisemblance et de la contradiction, celui de la schizophrénie qui conduira certains d’entre eux -dans leur religion ou dans une autre à venir, peu importe- jusqu’au massacre de masse commis au nom de Dieu.
Pourquoi une nécessaire adhésion, selon l’église catholique, à l’idée d’un Dieu violent dans l’Ancien Testament et, pire encore, appelant les hommes à la violence ? On ne répond jamais directement à cette question. Dans un premier temps on laisse entendre que les mauvais LECTEURS de l’AT, ceux qui manquent de foi et d’abandon dans « celui qui détient La Vérité » ne savent pas lire. Ils lisent, en effet, ce qui est écrit alors que, si l’on a « la foi qui sauve », on doit s’abandonner à toutes les interprétations contradictoires, à toutes les invraisemblances supposées salvatrices, pourvu qu’elles viennent de Dieu... non, qu’elles soient PROCLAMÉES VENANT DE DIEU... dont les voies sont, comme chacun sait, impénétrables.
Foi d’abord dans le système spirituel établi par Paul, ensuite seulement on peut parler sérieusement. On comprend alors que ce qu’on prenait pour un mystère n’en est pas un. Le Nouveau Testament « explique l’Ancien », tout s’éclaire et l’on peut « dépasser l’apparente contradiction ». En réalité ON S’ENFERME dans le dogme et la bonne conscience en refusant de voir, dans le monde réel, les dégâts provoqués par le mauvais choix.
Après avoir regardé cela pendant deux millénaires, on peut voir que la contradiction N’EST NULLEMENT DÉPASSÉE, et trouver très logique que des schizophrènes tuent au nom du Dieu « mal conçu » (mais issu, quoi qu’on en dise, de leçons bien apprises). On peut alors s’indigner que, malgré les désastres provoqués pendant des siècles par le « mystère de la contradiction », des responsables catholiques du plus haut niveau - aujourd’hui Jean-Paul II, Benoît XVI et le magistère - RE-SACRALISENT la conception criminogène. Ceux-ci prétendent qu’ils le font « parce qu’elle est depuis toujours la parole de Dieu » alors que, en réalité, ils le font parce qu’elle est inscrite en clair depuis toujours dans les démarches et dans les textes DES ÉGLISES, ce qui n’est pas la même chose. Ils disent « Dieu ne peut pas se tromper » En réalité ils pensent : « NOUS, responsables du christianisme, n’avons pas pu nous tromper ainsi depuis 2000 ans ! ». Aveuglement volontaire, très banal manque d’humilité, très banale vanité très humaine. Dieu, s’il existe, n’a rien à voir là-dedans.
Ne perdons pas le fil de notre démarche d’origine : ce sont tous les humains du monde réel d’aujourd’hui qui ont le droit de demander des comptes à ces responsables. Partiellement et indirectement, certes, mais bien réellement, le massacre du 11 septembre, ceux de Londres, de Madrid, le meurtre de Théo Van Gogh, les menaces qui pèsent sur Taslima Nasreen, sur Ayaan Hirsi Ali... c’est le résultat de leur entêtement dans le mauvais choix. Constatant ces désastres causés, qu’attendent-ils pour changer d’attitude ? Pour rendre leur religion enfin compatible avec les droits DES HUMAINS ? Impossible, répondent-ils en chœur, la « parole de Dieu » - en réalité LEUR construction mentale de croyants, transcrite dans les textes puis dogmatisée PAR EUX - est sacrée !
Là où vous m’embarrassez le plus, Vincent, c’est que vous m’incitez à comparer deux domaines de « l’ensemble du corps malade » : car si les PREMIÈRES responsabilités, et donc les premiers devoirs religieux sont bien là, il n’en est pas moins vrai, cependant, que c’est « l’ensemble du corps » qui est « bien malade » et donc « à rééquilibrer ».
La violence religieuse nécessite, pour son élimination, la coopération spirituelle des croyants, des agnostiques et des athées, mais, plus important encore, il faudrait aussi, d’abord, « que la planète soit sauvée », que la mobilisation se fasse - et vite - sur ces autres nécessités absolues que sont le radical changement dans la répartition des ressources naturelles et des revenus du travail, ainsi que le ferme rejet de la croissance comme mesure de la qualité de la « bonne gouvernance ». Seulement voilà, il y a complicité du pouvoir, de la pseudo-opposition politique et des médias pour ne rien changer. Les médias : la société de Mac Luhan (« le média c’est le message »), la « société du spectacle » de Debord, l’aliénation qui crée jusqu’aux moyens d’empêcher de la discerner.
On peut alors, sans passer pour un fou ou un charlatan, mettre en place en même temps, d’une part un « Grenelle de l’environnement » pour « sauver la planète » et, d’autre part, une Commision Attali pour « libérer la croissance » et un Traité européen garantissant « la concurrence libre et non faussée ». Les deux démarches sont très exactement opposées et pourtant possibles puisque bien réellement engagées. L’important, ce sont alors les expressions magiques qui accompagnent la folle entreprise mais qui « sonnent bien » : liberté d’entreprendre, créativité, énergie, production de richesses, développement durable (développement MATÉRIEL s’entend, pas spirituel mais, ça, on ne le précise pas, ça pourrait éveiller des soupçons). Et la presque totalité des médias marche dans cette déraisonnable - non, tragique - contradiction !.. Ce n’est qu’un exemple, même s’il symbolise parfaitement la gravité de l’état du « corps malade ».
Que nos descendants se débrouillent avec ces folies contradictoires ! Dans une probable barbarie : déjà, « l’émigration sauve qui peut » a commencé dans les pays les plus pauvres, ceux qui subissent le plus durement le déraisonnable et inhumain (sans le partage) type de développement dans lequel le monde s’obstine depuis un siècle et demi. Il nous faudra être de plus en plus fermes, de plus en plus sauvages pour résister aux immigrants si l’on veut sauver notre « pouvoir d’achat », notre « niveau de vie »...
Le Besoin du pape et de notre Président de manifester combien ils sont sur la même longueur d’onde spirituelle et combien, par conséquent, ils s’aiment, fait monter le symbole dans une rencontre « de sommet ». C’est le sommet de deux égoïsmes, de deux égocentrismes hyperdéveloppés, deux absolues nécessités, pour deux individus très exceptionnels et très humains, de SE réaliser dans l’application de leur volonté de puissance.
La fuite en avant dans l’économisme, d’une part, le maintien d’une vieille croyance criminogène d’autre part, sont deux choix dominants de notre époque qui mènent à l’épuisement de la planète dans la barbarie.
Il y a, j’en conviens volontiers, une autre éventualité : c’est moi qui imagine, crée, entretient, cultive des prétendues raisons de craindre le pire. Ce commentaire, comme ceux qui précèdent, n’est rien d’autre que l’expression d’une conviction personnelle parmi d’autres.
Bien cordialement.
Pierre Régnier
01/01 23:49 - Pierre Régnier
à Arnaud Merci pour votre commentaire du 27 décembre (qui risque d’être très peu lu (...)
27/12 01:01 - Arnaud
Votre analyse gagnerait à être illustrée par des exemples précis tirés de l’Ancien (...)
08/12 17:30 - Pierre Régnier
à bluff Je n’ai pas répondu moi-même à Michel Maugis pour deux raisons : D’une (...)
07/12 20:26 - bluff
dup, Michel Maugis je vais pas repondre à toutes vos questions dont certaines sont le fruit (...)
02/12 19:30 - Pierre Régnier
à Vin100 Bonjour Vincent. Je ne sais si je dois vous remercier car vous me mettez dans (...)
28/11 20:08 - vin100
Mon cher Pierre, ne seriez vous pas un dangereux « parpaillou » (protestant) pour oser poser (...)
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