Le point soulevé par Joël de Rosnay me semble tout à fait juste.
Hier ou avant-hier, j’ai entendu environ 10 minutes d’un JT et cette partie était composée uniquement d’agressions et de procès pour agressions. D’où la question, évidemment : est-ce bien de cela qu’est composée l’actualité du monde ? celle qui nous concerne ?
Le problème est plus difficile que sur le sujet à la mode - la mise en scène du bipartisme - car les deux principales forces qui expliquent cette mise en scène, n’interviennent pas sur la question de la peur :
(pour mémoire, i. l’intérêt que peuvent avoir certains actionnaires de médias, en affaires avec l’Etat, à promouvoir tels candidats tout en respectant, pour la TV, le « bipartisme CSA » majorité-opposition ; ii. la caisse de résonance que sont les sondages, puisque la capacité des sondés de citer des noms dépend de ce qu’ils ont vu dans les médias, et que les rédactions des médias fondent sur les sondages leur appréciation de l’importance relative des partis/personnalités).
Concernant la peur, on note que
i. les principaux bénéficiaires objectifs potentiels de la peur (sociétés d’assurance, ...) ne sont pas parmi les grands actionnaires des médias, curieusement d’ailleurs ; sans doute cet investissement est-il jugé trop spéculatif pour ceux dont la prudence est la profession ;
ii. il y a très peu de sondages sur la peur ou sur la juste place accordée par les médias aux différents types de sujets. Peut-être l’audimat seconde par seconde permet-il de mesurer un zapping moindre quand ces images passent ? Même le cas échéant, cela n’assure pas que ces sujets fidélisent le téléspectateur à moyen terme (on pourrait imaginer qu’il soit scotché sur le coup, mais dégoûté : mécanisme de vaccination).
Donc, quels sont les mécanismes qui conduisent à cette forte représentation d’une menace qui plane sur nous ? Je l’ignore (et exclus la théorie du complot !).
À titre d’hypothèses de départ, je supposerais volontiers que les « faits divers » sont traités :
i) soit parce qu’ils font évènement par rapport à la vision du monde dont est porteuse notre civilisation (journalistes et auditeurs confondus) : celle-ci serait fondée sur l’hypothèse d’une sécurité parfaite ;
ii) soit au contraire (désolé !) parce qu’ils gratifient l’auditeur et/ou le journaliste en le confortant dans sa vision du monde : celui-ci est dur et agressif, *malgré* ce que nous vivons au quotidien, une dose régulière de vitamine-agression-télévisée est donc nécessaire à notre équilibre intérieur.
Je préfèrerais l’hypothèse ii en m’appuyant sur le cas de la TV béninoise. Celle-ci (selon mon souvenir du début des années 2000) consacre une grande part du temps d’antenne aux défilés de mode d’une part, aux faits divers sordides mêlant sexe, sorcellerie, malchance et comique de situation, d’autre part. Deux rubriques bien moins représentées dans d’autres pays ouest-africains (Sénégal, Burkina ... par exemple). Il me semble raisonnable d’y voir une convergence avec la vision du monde qui prévaut dans la régions de la capitale béninoise - présence de la mort, importance donnée au corps et sentiment de fragilité constante, etc.
Alors pourquoi le monde apparaît-il aux gens en France (si cette hypothèse est juste) comme plein de méchanceté et d’embûches, alors que notre société est incomparablement moins violente que celles de certains autres grands pays industrialisés, ou de la France d’il y a peu de siècles ?
On avait, peut-être, le même phénomène lors de la révolution industrielle (succès des romans d’Eugène Süe ...).
C’est peut-être simplement parce que les gens n’ont pas encore compris de quoi est fait le nouveau monde, le monde d’après le transistor, la production automatisée et les moteurs de recherche. Les enfants et les adolescents, qui ont grandi dedans, le comprennent très bien ; les adultes, qui font les médias, l’audimat et le vote, moins bien.
Il s’agirait donc de donner aux gens les clés de lecture, d’écoute du nouveau monde. (Ben tiens )
Je rejoins donc ... Michel Serres et Joël de Rosnay ... pour espérer un « changement de paradigme » qui conduirait non seulement les médias, mais surtout les gens, à se sentir chez eux dans le nouveau monde ...