« Nous sommes de plus en plus pris pour de la merde par le grand public et les parents » peste Lionel G., professeur. Colère, fatigue, désespoir : voilà ce qu’on peut lire sur
les pétitions circulant sur Internet . Un professeur du collège de Berlaimont, dans le Nord, va être jugé le 27 mars pour avoir giflé un élève de 6ème, fils de gendarme, qui l’avait traité de
« connard ». En plus du soutien du Premier ministre, il est appuyé par une grande partie de ses confrères, via des pétitions publiées sur les sites web des syndicats enseignants, qui rassemblent plus de 30 000 signatures jusqu’ici. Professeurs des écoles, de collèges, de lycées, d’universités, mais aussi beaucoup de simples civils, parents et grands-parents d’élèves, gendarmes, militaires se manifestent. Les profs expriment leur solidarité et rappellent qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé, tous doivent faire face à l’agressivité d’enfants de plus en plus jeunes, ainsi qu’à l’indifférence des parents.
Du respect !
Il y a ceux, les plus nombreux, découragés de voir leur profession si peu considérée. Ils attribuent cette déconsidération à l’éducation de certains parents, et à une ambiance générale méprisante envers le corps enseignant qui n’inspire plus le respect.
Danièle B. : «
Effectivement, je vis au quotidien cette inversion des situations, où les parents accusent violemment les professeurs de toutes sortes d’incompétences, alors que nous rentrons harassés, offusqués par les transgressions incessantes, la perte totale de la distance relationnelle, de la bienséance. Notre profession est détournée, dénaturée, nous faisons l’objet de transferts aux carences ou névroses familiales. Tout cela en n’ayant aucune considération du chef d’établissement. Notre métier se veut humaniste, éclairant, révélateur des leurres, et en retour nous sommes ridiculisés, malmenés, déconsidérés. Je considère que l’école est un garde-fou face à un désordre moral affligeant, mais à quel prix pour les professeurs ! Faut-il à ce point donner son énergie, sa vie à une cause qui se veut noble, alors que nos cours sont sabotés et notre personne déconsidérée ? »
Pour Jocelyne B., professeur des Ecoles en Zep depuis 28 ans, il n’y a qu’un seul mot : «
Respect !!! »
M. ajoute : «
Une fois de plus, tout ceci ne fait que montrer les difficultés du métier : mal payé, l’enseignant est méprisé, il est encore l’un des rares à faire face au laxisme de la société ! »
I., quant à lui, rappelle que
« le métier de professeur est très difficile. Il est urgent de redonner leur place aux enseignants et d’arrêter de cautionner tous ces voyous qui n’ont que des insultes à la bouche ... »
Alexandra, professeur d’anglais, raconte : «
Confrontée tous les jours à l’insolence de mes élèves, je comprends tout à fait le geste de ce professeur, même si je ne le cautionne pas. Aujourd’hui, je passe plus de temps à leur apprendre à se tenir en cours et à parler sans inclure une grossièreté dans chaque phrase qu’à leur apprendre une langue étrangère ».
Entre tristes constatations sur leur métier et coups de gueule sévères, les profs crient à l’aide. Si certains vont trop loin et tombent dans une victimisation exagérée, pour la majorité, « l’incident de la gifle » n’est pas un hasard, mais l’expression directe d’un malaise collectif.
Parce que gendarme ?
Plus paranos, quelques un mettent en cause la profession du père de l’élève. Jean-Claude G. est délégué départemental de l’Education nationale : «
Je déplore la disproportion des mesures judiciaires prises par rapport à l’incident. Je crains que la profession du père de l’élève qui a injurié le professeur ait fortement influencé la décision du juge. »
M. se demande pour sa part où se situe le respect : «
Comment, sous prétexte de galons aux épaules, peut-on traiter ainsi un professeur ? Je souhaite pour lui que cet élève soit renvoyé de l’établissement, et que son père soit sanctionné par son ministère pour abus de fonction envers la personne d’un professeur. »
Des sanctions, oui, mais pour quels coupables ?
D’autres s’indignent du laxisme de l’Education nationale, de la Justice et surtout des parents. Un anonyme dresse une liste affligeante :
« Un père qui n’a manifestement pas rempli son devoir d’éducateur, un policier qui utilise son uniforme et sa fonction de manière disproportionnée, une hiérarchie plus que timorée dans la compréhension et la solidarité vis-à-vis d’un collègue en difficulté, une garde à vue digne d’une république bananière, un chef d’inculpation outrancier (violence aggravée sur mineur), une justice qui oublie le secret de l’instruction, et enfin un enseignant dont le seul tort est de ne pas avoir accepté de se laisser traiter de connard par un enfant de onze ans. »
Une institutrice retraitée trouve
« lamentable l’attitude du père. C’est lui qui devrait être condamné pour défaut d’éducation. »
Pour Colette, «
la réaction du rectorat est scandaleuse, la réaction de la justice effarante ; à la place du père du petit insulteur, j’aurais eu honte, j’aurais tancé mon fils, je lui aurais appris le respect dû à son professeur. Comment ce professeur peut-il faire classe maintenant ??? »
A., ancien enseignant et fils de gendarme, en appelle au procureur de la République et s’accorde avec P. quant à la responsabilité des institutions judiciaires et policières :
« Et le procureur ? Il n’aurait pas pu classer le dossier en donnant un simple avertissement au malheureux prof ? Je pense qu’un jour, ce proc’ et le gendarme se feront insulter par leurs enfants si bien éduqués. Ils comprendront peut-être, à ce moment, ce que leur attitude présente a d’irresponsable. » P poursuit : «
Il faudrait que se mette en place au plus vite une pétition pour faire muter ce gendarme loin du lycée. »
Responsabilité des parents ou de l’Etat, le débat continue. En attendant, les profs constatent et subissent.