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Commentaire de Tristan Valmour

sur Allumer le feu !


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Tristan Valmour 29 février 2008 11:55

 

Madame, 

 

Vous évoquez là un problème complexe que l’on ne peut imputer exclusivement à la responsabilité des gouvernements successifs. Les responsabilités sont nombreuses.

 

 

1. Des phénomènes liés à la nature de l’Homme

 

Il y a d’abord une responsabilité de certains caïds qui cherchent à confisquer un territoire qu’ils souhaitent ensuite administrer en dehors de tout cadre républicain et légal. Les monarques du haut Moyen-Age et leur clientèle ont agi de la sorte en s’appropriant par la force les terres des paysans ou des collectivités de paysans. On retrouve ce schéma dans tous les pays, ce n’est pas une spécificité occidentale. Quand une puissance publique n’est pas respectable et/ou respectée, des puissances individuelles émergent.

 

Il y a ensuite un problème de densité démographique. L’être humain est un animal qui, comme tous les animaux, a besoin d’un espace vital, de circuler. La promiscuité est source de tensions. Non seulement, ces gens sont parqués, manquent d’espace vital, mais encore nombre d’entre eux n’ont jamais quitté leur cité. Un professeur marseillais m’a affirmé que plus de 50% de ses élèves ne sont jamais allés à la mer.

 

Il y a enfin des problèmes liés à la nature de la jeunesse, qu’elle soit de bonne famille ou non. Tout jeune adopte un comportement auto-destructeur et aime explorer les interdits, reculer les limites. Quand une famille ne transmet pas des valeurs sociales, par nature coercitives ; quand elle n’assume pas son rôle, alors on ne peut attendre de ses enfants qu’ils adoptent d’eux-mêmes lesdites règles.

 

2. Des phénomènes de civilisation

 

Notre civilisation est celle de l’individu et de la consommation.

 

La télévision, dont on connaît le rôle éminent comme reflet et promotrice d’une culture, loue l’individu autant qu’elle le stigmatise, que ce soit par la publicité, les jeux, les fictions ou les documentaires. Cela fait peser sur l’individu une pression qu’il n’est pas capable d’assumer. Le père qui ne peut acheter les derniers « power rangers » à ses enfants, la mère qui n’est pas aussi belle que les top models, les parents qui ne ressemblent pas aux héros des séries, tout cela affecte l’estime de soi. Or, l’estime de soi est un moteur d’action et de réussite. Quand on ne s’estime pas, quand la société ne nous estime pas, on laisse les choses se passer, on ne lutte plus. Les populations dans les cités sont particulièrement concernées par ce problème.

 

Notre société est celle du chacun pour soi, une jungle moderne où règne la loi du plus fort. L’altruisme recule, les solidarités fonctionnent par procuration (on donne à une association quand on ne s’occupe même pas des membres de sa famille), la concurrence entre individus provoque des maux incalculables en raison d’une pression déraisonnable. On vit dans un lieu, on travaille dans un autre et au total, on ne connaît personne puisque notre temps social est divisé en trop d’éléments. On va même travailler pour payer une nounou qui garde nos propres enfants ! L’autre nous indiffère au mieux, nous ennuie au pire. On préfère donc la matière à la chair, c’est le dégoût des autres.

 

L’individu mène une vie déstructurée, incompatible avec sa nature. Il est devenu un outil de consommation et de production et existe peu pour lui même ; autrement dit, on n’existe aux yeux des autres – donc à ses propres yeux - que par notre travail et notre consommation : « regarde ce que je fais, admire ce que j’ai ». Aujourd’hui, c’est le travail qui intègre, et celui qui ne travaille pas ou travaille trop peu est rejeté par la société. Soit il faut donner du travail à tout le monde et mieux partager la richesse créée, soit il faut changer de référence ultime. Rappelons que dans les civilisations antiques, c’est la citoyenneté qui intégrait ; entre le Moyen-Age classique et la Révolution Industrielle, c’était la foi. 

 

La société de consommation a conduit à une extension de la privatisation, de la propriété, au delà de ce qui est humainement acceptable. Qui dit propriété dit rejet de ceux qui n’y ont pas accès. Il n’y a plus de pommier dans les villes, il faut acheter les pommes au marchand. Il y a peu de points d’eau dans les centres urbains, il faut acheter des bouteilles minérales. Les cabines téléphoniques se font rares, il faut un portable. En plus, on n’ose même plus entrer chez le commerçant – qui se fait aussi plus rare – pour lui emprunter son téléphone, alors que cela se pratiquait couramment en des temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Les messages subliminaux d’interdits, de rejets sont donc partout présents, et touchent davantage ceux qui sont privés de propriété. Le défendu a gagné sur le permis, et cela se traduit dans les faits par les trop nombreuses lois qui encadrent nos biens et nos comportements. La propriété et l’exclusion de la propriété animent donc les tensions sociales.

 

Ces réflexions ne sont pas exhaustives mais trahissent bien le mal dont souffrent nos sociétés : Moi je / c’est à moi / c’est interdit / je suis nul / je me fiche de l’autre…

 

Tant qu’on ne sera pas sorti de la société de la production, de la consommation, de l’individualisme, bref, tant que notre civilisation se fourvoie, les cités qui concentrent ces maux présents ailleurs de façon plus diffuse, demeureront des zones de tensions intenses, et aucune solution, aucun plan Marshall ne viendra les secourir. Il ne restera plus qu’à les criminaliser davantage.


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