Le procès de Robert Ménard
Le président : Faites entrer le condamné [Il se reprend.]… l’accusé. Ménard, Robert, vous êtes accusé d’être l’un des principaux porte-parole en Occident du Parti de la presse et de l’argent (PPA). Sous couvert de défendre des journalistes persécutés à l’étranger, vous servez la politique américaine et les patrons de médias en France.
L’accusé : Ce procès est imbécile. Dans la revue Médias, que j’ai lancée avec Reporters sans frontières (RSF) — qui n’existe que par moi et pour moi —, j’ai rédigé l’éditorial non signé suivant : « La loi de la gravitation existe, chers amis. Et la loi de l’argent aussi. À moins d’être abonné aux mannes de l’État. » Tout était dit, non ? Pour la presse, le capital, c’est la liberté ; l’État, c’est la servitude… sauf quand il est au service du capital !
Le président : [À voix basse.] On dirait du Laurent Joffrin. [À voix haute.] Voilà qui situe vos rapports avec les plus grosses fortunes de France. Car, je vous cite : « Un jour, nous avons eu un problème d’argent. J’ai appelé l’industriel François Pinault pour qu’il nous apporte son aide. […] Il a répondu aussitôt à ma demande. Et c’est cela seul qui compte. »
L’avocat : RSF ne se soucie pas de savoir qui l’aide. L’argent n’a pas d’autre odeur que sa couleur, or mon client n’apprécie ni le gris (5 euros) ni le rouge (10 euros). Mais il raffole du vert, du jaune et du violet (100, 200 et 500 euros…)
Le président : N’estimez-vous pas que la concentration des médias entre les mains de Pinault, Lagardère, Bouygues, Arnault, et le poids de la publicité menacent le pluralisme ?
L’accusé : J’ai déjà répondu en 2005 à la revue Notre Temps : « À RSF, ce n’est pas notre priorité. » Comprenez-moi : j’ai besoin des médias pour faire la promo de RSF et de ses albums, je vais pas leur cracher dessus ! Poutine et Castro en revanche ne me donnent pas un centime. Alors, sur eux, c’est feu à volonté !
Le procureur : Je résume : la Fnac (Pinault), partenaire de RSF depuis 1993, paie l’impression de l’album photo vendu par l’association ; Air France offre des voyages à l’accusé, la Fondation Vivendi du matériel, la Fondation Hachette, des campagnes d’affichage ; le groupe pharmaceutique Sanofi-Synthélabo achète des pages de publicité dans Médias, une revue que personne ne lit en dehors du Plan B… Et je n’oublie pas les cadeaux de l’agence publicitaire Saatchi & Saatchi, de Pathé, de Suez, d’Areva – car même le nucléaire verse son obole à RSF. En somme, les bienfaiteurs de l’accusé sont aussi les annonceurs d’une presse vendue aux publicitaires.
L’avocat : Saatchi & Saatchi a quand même créé la très belle campagne de RSF affichant Christine Ockrent avec une balle dans le crâne, Emmanuel Chain égorgé et Guillaume Durand mitraillé à mort, afin de « montrer aux Français ce que serait, en France, le manque d’information ».
Le procureur : Mais enfin, notre « manque d’information », tient au fait que nous sommes gavés de propagande par la femme d’un ministre, par Chain et par Durand ! Pas étonnant que votre campagne de terreur n’ait effrayé qu’Elkabbach et Sarkozy… [Gloussements dans la salle.]
L’accusé : RSF adore les publicitaire. Selon nous, « l’ado qui s’achète dix paires de Nike se fait plaisir. Il rentre dans l’imaginaire développé par la marque, mais il le détourne à son profit. C’est un acte créatif ». Nous avons donc conclu que « la publicité doit être considérée comme une nécessité économique. Le siècle qui s’est éteint fut suffisamment furieux pour que l’on se rende à l’évidence que les idées alternatives conduisaient directement au goulag ». [Soudain, il s’interrompt, salue et sourit, croyant que CNN le filme.]
Le président : Parlez-nous un peu des journalistes que vous défendez.
L’accusé : S’ils sont proaméricains, persécutés dans un pays non-membre de l’Otan et travaillent dans un journal libéral, ils peuvent compter sur nous. Un appel sur mon portable, et je bondis dans un avion. Sitôt arrivé, je fais le 20 heures de PPDA, mais sans Castro…
Le président : Donc TF1 vous convient ?
L’accusé : Oui, ils aident RSF. Chez nous, dans le monde libre, le seul problème, c’est que « la presse française est corsetée d’interdits législatifs, qui n’existent pas ailleurs, sur le racisme, l’homophobie, la mémoire, etc. Ces barrières doivent sauter. Elles sauteront, comme toutes les autres, avec les groupes de presse étrangers, comme cela s’est passé avec le people. » Toutefois, en France, on peut être pour le « oui » au référendum, taper sur les syndicats, adorer BHL sans risquer un seul jour de prison.
Le procureur : Tout va d’autant mieux chez nous que les subventions européennes gonflent les poches de Reporters sans frontières. Même du temps de Berlusconi, l’accusé estimait à la radio qu’il y avait « un vrai pluralisme » en Italie…
L’accusé : Si vous réécoutez toute ma déclaration de France Inter [Il fait signe à Nicolas Demorand, qui, de la salle, lui envoie des baisers.], j’opposais surtout l’Italie à Cuba, où « on ne joue pas dans la même catégorie. Aux États-Unis, à côté de Fox News, on peut toujours lire un Washington Post opposé à la guerre en Irak ».
Le président : Mais le Washington Post était pour la guerre !
L’accusé : Et je les comprends, puisque j’ai estimé que « les grandes manifestations contre la guerre du début 2003 avaient quelque chose de pathétique et même de pitoyable, tant la bêtise régnait en maître dans les rues de Paris avec ces gamins, keffieh autour du cou et banderoles pacifistes à l’épaule, qui dénonçaient d’une même voix George Bush et Saddam Hussein. Avoir vingt ans n’excuse pas tout… » [Il sourit, ayant croisé le regard énamouré d’Arlette Chabot.]
Le procureur : En vérité, l’accusé défend quiconque subventionne RSF. Et, puisqu’il reçoit l’argent du gouvernement américain*…
L’avocat : Mon client pense qu’un système qui permet aux journalistes de servir les patrons de presse et les publicitaires est excellent puisqu’il est privé. Un point c’est tout. Au moment de la libération de l’Irak, il a estimé qu’« on voit mieux que pendant la guerre du Kosovo, d’Afghanistan. Embedded : nous, à Reporters sans frontières, on n’a pas critiqué ce système. Il fonctionne ».
Le président : Mais, au Kosovo, c’est Ménard qui s’était bouché les yeux. Au point que, quand l’armée américaine a bombardé le siège de la télévision serbe, RSF refusa de comptabiliser les journalistes assassinés dans son décompte annuel des reporters tués pendant les douze mois écoulés.
L’accusé : Bien sûr ! [Il ricane.] Sinon, le principal assassin de journalistes en 1999 aurait été… [Il s’interrompt.]
Le procureur [triomphant] : … L’Otan ! Or, comme Bush, l’accusé justifie la violation des droits de l’homme par l’armée américaine. En août 2007, se posant « la question de savoir si, en règle générale, la torture et la liquidation de membres des familles de preneurs d’otages est, ou non, légitime », il répond : « Je vous le dis, il n’y aurait aucune limite pour la torture. » [Cris d’horreur dans la salle.]
L’accusé : Parlons plutôt de Cuba ! C’est moi qui ai dénoncé ce « goulag tropical » dans le Wall Street Journal. C’est encore moi qui ai mis en cause Chávez, « ce caudillo d’opérette qui ruine son pays ».
Le procureur : Mais comme ce caudillo a remporté les élections, RSF a soutenu les putschistes en 2002. Sa correspondante à Caracas a alors écrit : « Mon cœur vibre à la vue des militaires insurgés, de ces hommes vertueux qui défilent sous nos couleurs nationales ». En vérité, Ménard est jaloux de Fidel Castro. Car Ménard est un dictateur sans barbe et sans cheveux. Il l’a admis, d’ailleurs : « Je ne sais pas discuter et j’aime décider seul. Je suis autoritaire, et ma personnalité ne facilite pas l’exercice de la démocratie en milieu associatif. Le fait est que RSF s’est construite autour de moi. »
L’accusé : Vous faites de moi un égocentrique un peu veule. Je sais pourtant m’effacer et prendre des risques. Un jour j’ai même admis : « J’aimerais faire dans ma vie le quart de ce que Kouchner a réussi dans la sienne. » J’ai aussi présidé un jury qui a remis un prix à BHL, j’ai offert une tribune à Le Pen dans Médias, j’ai écrit un article avec PPDA dans Le Monde, j’ai reçu un prix des mains de Cavada, symbole du journalisme indépendant. Surtout, j’ai écrit : « Ras le bol des bons sentiments dégoulinants – ces jeunes des banlieues forcément victimes des forces de l’ordre, ces “ sans-papiers ” qu’on devrait accueillir sans jamais fixer de limite, ces antimondialisation tellement plus sympathiques que l’affreux FMI — nouvelle incarnation de l’ogre dévoreur d’enfants du tiers-monde -, de tout ce bric-à-brac à la mode qui nous empêche de réfléchir. » Je suis comme Zol…
Le président, excédé, sort alors un revolver de sa poche et, froidement, abat l’accusé.
Le Plan B n°11 (décembre2007-janvier 2008)
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12/04 19:29 - Bleu Montréal
Pourquoi un article qui rend hommage à ce pourri de Ménard ? Ras le bol de ce monsieur, qui (...)
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