Prochaine étape : le SMIC !!
Haro sur le Smic !
Un rapport, commandé par le Conseil d’analyse économique, sonne le glas du Smic, le jugeant inefficace, inadapté aux jeunes sur le marché de l’emploi et responsable de la stagnation des bas salaires... De la mauvaise foi, des approximations, bref, tout pour légitimer les projets du gouvernement !
On s’en doutait un peu : la « réforme » du Smic est dans les tuyaux. Pierre Cahuc, Gilbert Cette et André Zylberberg (dont il est interdit de dire qu’ils sont néo-libéraux) viennent de concocter un rapport pour le Conseil d’analyse économique (CAE), intitulé « Smic, revenu minimum et coût du travail : quelle articulation pour combiner justice sociale, incitation au travail et compétitivité ? » Il n’est pas encore publié, mais une version provisoire circule sur Internet. On y découvre une critique en trois points : le Smic a trop augmenté et couvre en France une proportion de salariés plus importante qu’ailleurs ; ensuite, il i[« comprime la distribution des salaires [...] sans grande efficacité pour lutter contre la pauvreté »]i ; il contribue enfin à exclure les jeunes de l’emploi.
Cette démonstration à charge ne tient pas la route. D’abord, une lapalissade : les augmentations du Smic profitent aux bas salaires. Une étude de la Dares montre ainsi que la progression des salaires a été plus importante dans les secteurs à bas salaires. Le Smic remplit son rôle de « voiture-balai » : s’il avait moins augmenté, on aurait aujourd’hui moins de Smicards mais plus de bas salaires.
Des comparaisons hasardeuses avec le modèle anglais
Le Smic est-il responsable de la compression des salaires ? Non, parce que deux autres effets ont joué : d’abord, les accords de RTT qui ont gelé une partie des salaires, et ensuite les allègements de cotisations. Ils sont dégressifs et s’annulent à 1,6 fois le Smic. Résultat : il est d’autant plus coûteux d’augmenter un salaire que celui-ci est bas et bénéficie d’allègements proportionnellement plus élevés.
Cet effet pervers des « trappes à bas salaires » est évoqué dans le rapport, mais l’objection est balayée d’un revers de main (page 9) à partir d’une seule étude dont les données s’arrêtent... en 1997 ! Un peu plus loin, page 42, on apprend que « les études sur ce sujet sont rares », mais qu’il en existe quand même une autre qui montre l’inverse, à savoir que les allègements « ont eu un effet plutôt négatif sur la mobilité salariale des employés à bas salaires ». Et à la différence de la précédente, cette étude prend en compte le passage aux 35 heures, et modélise les allègements Fillon.
Le rapport donne de nombreux exemples de ce parti-pris qui s’accompagne d’approximations diverses. Les experts du CAE insistent ainsi sur le fait qu’il y a plus de salariés au voisinage du salaire minimum en France que dans d’autres pays. Mais ils passent allègrement sous silence les difficultés de telles comparaisons. Ainsi, en France, on compte comme « smicards » tous les salariés concernés par une hausse du Smic, alors qu’au Royaume-Uni, on ne compte que les salariés payés juste au niveau du minimum. Une note récente du ministère de l’Economie montre qu’avec une définition comparable, l’écart entre les deux pays est bien moindre : « 5% à 6% de l’ensemble des salariés sont rémunérés au niveau du NMW (National Minimum Wage) en 2007 » contre « moins de 10% de salariés effectivement rémunérés au niveau du Smic ».
Des propositions provocantes
L’argument sur la pauvreté est tout aussi spécieux, puisqu’il table sur un monde virtuel sans Smic où, bien sûr, l’emploi serait plus élevé et sortirait des chômeurs de la pauvreté.
Or, les emplois créés de cette manière seraient en grande majorité payés en dessous du seuil de pauvreté. C’est pour cette raison que l’Ocde reconnaissait, dans sa dernière étude consacrée à la France, qu’une augmentation du Smic entraînerait « peut-être une diminution de la mesure de la pauvreté malgré le recul de l’emploi ».
Les propositions sont à la mesure du réquisitoire : refus des « coups de pouce » et de l’indexation automatique du Smic sur la progression du pouvoir d’achat, refus de conditionner les allégements à la résorption des minima de branches inférieurs au Smic, et institution d’un Smic-jeunes. De telles provocations vont à contre-courant de ce qui se passe en Europe sur la question du pouvoir d’achat. En Allemagne, la discussion est ouverte sur l’institution d’un salaire minimum, parce que les conventions collectives couvrent de moins en moins les salariés et que le taux de bas salaires a du coup dépassé celui du Royaume-Uni (22,7 % contre 21,7 %), comme le montre un bilan récent.
Après l’euro-manifestation sur les salaires, les syndicats réfléchissent à nouveau sur l’idée d’un système de salaires minima au niveau européen. Reparler d’un Smic-jeunes, après le mouvement de la jeunesse de 1994 (et plus récemment contre le CPE) manifeste une incompréhension tactique assez remarquable de la situation. Mais la fonction réelle d’un rapport tellement biaisé est plutôt de faire apparaître comme « modérés » les projets gouvernementaux qui visent, eux aussi à liquider le Smic, mais « en douceur ».