Hi Libr’Op,
Je partage tes inquiétudes vis-à-vis de la stratégie régionale de la Chine. Ton analyse est cohérente. Mais, à mon avis, les plus inquiets ce devrait être les Indiens, pas les français.
C’est pour cette raison que je m’étonne de cet engouement soudain pour les Tibétains dans un pays qui est en train de couler. Je crois que cela cache un racisme anti-chinois qui aura pour seul résultat un renforcement du nationalisme en Chine, ce qui est une très mauvaise nouvelle pour nous.
J’ai passé 5 ans en Chine. Assez pour constater que nos préjugés sur la Chine sont aussi immenses que le pays. Quand j’enseignais à Shanghai, j’avais du mal à m’extirper de la classe, tellement mes étudiants me bombardaient de questions ou me demandaient du travail supplémentaire. De retour en Europe, je vois ici des adolescents désabusés, sans but, qui critiquent tout ce qu’ils voient et insultent les profs. Nous n’avons aucune chance contre l’Asie. Aucune. A moins de nous remettre en question. Et, ce n’est pas en critiquant les Chinois que ça va s’améliorer.
Je te livre une réflexion que j’avais laissée sur un autre post :
"J’ai travaillé 5 ans en Chine. Certains de mes étudiants avaient participé aux manifestations sur la place Tian’anmen. D’autres y avaient perdu un ami ou un membre de leur famille. Voici ce qu’ils m’ont expliqué en 1996, à l’université de Shanghai.
La vie quotidienne en Chine communiste est passablement dure. Les restrictions imposées par leur démographie et les ressources limitées du sol rendent la vie austère. Cette condition est généralement acceptée stoïquement par le peuple qui a conscience que l’effort général se fait pour le bien de tous. Mais cela les rend en même temps très sensibles à tout forme de favoritisme. En Chine, n’ont accès aux meilleures universités et aux plus hauts postes que les plus méritants. Théoriquement du moins. Le plus souvent, les fils de dirigeants du Parti Communiste sont enrôlés d’office dans l’université de leur choix pour se voir par la suite attribués un poste de dirigeant ou de haut fonctionnaire. Ils se retrouvent ensuite dans des appartements de luxe, ont 2 ou 3 enfants sans avoir de problèmes et se promènent avec leurs chiens dans les rues, toutes choses normalement interdites.
Cela peut paraître peu de chose à un occidental, mais c’était totalement intolérable pour ces jeunes chinois. Ce qu’ils lisaient au micro sur la place Tienanmen, c’était, non pas les droits de l’homme, mais les noms de tous ces passe-droits. Par la suite, ils ont évoqué le manque de liberté d’expression et ont ajouté une statue de la liberté en symbole de provocation.
Alors pourquoi les tanks et tout ce massacre, plutôt que des hélicoptères avec des gaz lacrymogènes comme je l’avais suggéré ?
Un des grands faits du communisme a été de stopper net les guerres entre les différentes parties de la Chine. Dans ce pays, pour prétendre au pouvoir, un chef doit en avoir la stature. Avec cette manifestation, Den Xiao Ping était en train de perdre la face. Et ce d’autant plus que Gorbachev, invité du gouvernement, avait dû rompre ses entretiens et partir au vu de l’ampleur de la situation. Une démonstration de force et d’intransigeance était nécessaire pour garder le contrôle, non pas des manifestants, mais du pays tout entier.
Pour que l’image soit complète, il faut savoir que les manifestants avaient été prévenus que les chars arrivaient et qu’ils s’exposaient à une mort certaine. Ils sont donc restés en connaissance de cause.
Cela m’a été expliqué il y a une douzaine d’années par de brillants jeunes gens qui détestaient leur gouvernement, mais qui en comprenaient néanmoins les devoirs. Même si la situation de la population en Chine est aujourd’hui différente, cet aspect particulier est toujours tout aussi vrai : la Chine est un pays qui n’est stable que de par le joug des dirigeants communistes. Que ceux qui prônent toutes ces exactions contre les jeux et le peuple qui les accueille se pose la question du résultat de l’humiliation commencée maintenant et qui s’ensuivra alors. La diplomatie internationale n’est pas un sport de café du commerce, surtout quand il s’agit d’une culture aussi éloignée de la nôtre. "