Le temps passe et les lectures approfondies du roman de J. Littell relativisent les commentaires d’Edouard Husson et de Michel Terestchenko. Jean Solchany pour la recherche historique et Florence Mercier-Leca pour la littérature , et quelques autres , de plus en plus nombreux, ne considèrent plus « Les Bienveillantes » comme un canular . Sans reprendre les propos hyperboliques de certains ( Georges Nivat , Pierre Nora et bien d’autres ) ceux qui ont lu et relu le livre énoncent les qualités de cet événement littéraire. Jamais en 60 ans , une oeuvre artistique n’a pu rendre sur ce sujet ( l’apocalypse européenne pendant la seconde guerre mondiale ) , à ce niveau d’incandescence , l’effet de Réel qui émerge de cette narration. Comme le dit Solchany c’est un roman qui réussit là où le cinéma n’a jusqu’à aujourd’hui pas totalement convaincu. Peu d’oeuvres littéraires ont contribué de manière aussi efficace au « devoir de mémoire ». La fiction , le témoignage et le livre scientifique constituent 3 approches différentes et non concurrentes du nazisme et de l’extermination des juifs. Certains lecteurs ne semblent pas prêts à reconnaître la légitimité de la démarche fictionnelle, alors que cette dernière jouera à l’avenir un rôle croissant dans la prise de conscience de la monstruosité du nazisme.L’intervention des intellectuels dans le débat critique est indispensable, mais il y a des limites à l’expertise historienne. S’exprimer sur le rapport à la vérité lorsqu’il s’agit de littérature( ou de cinéma ) présuppose une grande prudence.Les historiens ne doivent pas ruiner leur crédit en souscrivant à un fondamentalisme hypercritique qui conduit à assassiner un roman qui ne mérite pas un tel traitement. « Les Bienveillantes » apparaissent comme un texte exigeant. Il sollicite diverses compétences du lecteur et pas seulement culturelles.