Rocla :
"Sur un fil de vérité elle enfilait ses frais mensonges avec l’art rapide dont étaient composées ces chaînes matinales de fleurs d’oranger qu’elle aimait enrouler à son cou en deux ou trois tours (...) Elle possédait un don et une science tout-puissants sur le coeur mâle : elle savait être, et paraître, invraisemblable. La plupart des femmes aimantes essaient d’abolir leur propre passé, de renaître, de redevenir vierges. Elles font à l’amant l’offrande illusoire de leurs sens ignorants pour qu’il les réveille et les instruise, table rase de leur âme pour qu’il y inscrive sa loi ; et souvent la fraude ingénue trompe le crédule. Mais elle, au contraire, savait donner à son passé une profondeur indéfinie, élever sa jeunesse sur un immense fond de vie, comme ces peintres de portraits qui placent derrière la figure la vue d’un portique sans fin ou un lointain illimité de pays et d’eaux. Ses attitudes semblaient se dessiner sur un jeu perpétuel de perspectives qu’elle ne cherchait pas à masquer mais à équilibrer, comme ces portraitistes qui connaissent la valeur des espaces dans le tableau. Sa nouveauté émergeait de son passé ainsi que la sirène du sel amer, mystérieuse comme si elle dégouttait encore. Le plus imprévu de ses gestes paraissait avoir traversé un élément obscur pour se manifester, avoir remué derrière soi une onde trouble de désir pour se tourner vers le désir d’un seul (...)."
(D’Annunzio, Forse che si, forse che no)
Qui dit mieux ?