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Commentaire de NICOPOL

sur Croire en l'homme... !


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NICOPOL NICOPOL 18 juin 2008 13:45

Bonjour à l’auteur,

J’ai trouvé cet article très intéressant. Avec des mots et des interrogations simples vous résumez très bien le balancier que l’on peut voir au travers de l’histoire de la pensée philosophique et politique. Pour autant que j’en sache, en voici un petit résumé.

Pour les philosophes antiques (Socrate, Platon, Aristote, les Stoiciens) l’homme est un animal social. Le but de la société civile est de permettre à l’homme de réaliser pleinement sa nature, qui est celle d’un être raisonnable et social ; le bien s’indentifie avec la justice et la vertu. Le meilleur régime, permettant d’atteindre cette perfection humaine, est le gouvernement par les philosophes. Néanmoins il s’agit d’un idéal : en effet les conditions de la réalité ne permettent que difficilement d’instaurer cette "république parfaite" ; rien ne permet de supposer qu’elle ait déjà existé dans le passé, ni même qu’elle puisse être mise en oeuvre dans l’avenir. Il n’y a donc que des régimes "légitimes" qui, à défaut d’être "nobles", sont "justes", et qui correspondent, en gros, à ce que l’on peut faire de mieux dans les circonstances de la vie réelle. La politique est donc un art qui consiste à s’adapter au mieux aux circonstances. Par ailleurs la perfection de l’homme étant la justice et la vertu sociale, les devoirs et les interdictions sont plus importantes que les droits ; enfin, les hommes ne sont pas également parfaits, il serait donc injuste de leur donner les mêmes droits : la société antique est inégalitaire et consacre le gouvernement par les meilleurs (aristocratie ; la décmocratie à la grecque étant limité, justement, à une pettie minorité de citoyens mâles). La règle est "chacun selon sa capacité, à chacun selon son mérite"

La philosophie médiévale chrétienne s’inscrit dans la continuité de la pensée antique (en particulier Saint Thomas), si ce n’est que le meilleur régime devient la Cité de dieu.

Une révolution philosophique et politique se produit avec les philosphes anglais du XVIIieme siècle, qui auront une influence déterminante sur les "philosophes des lumières" et les penseurs de la révolution française. Le premier d’entre eux, Hobbes, pose que l’homme n’est pas naturellement social : l’individu prime sur la société (individualisme). Pour lui, comme pour les épicuriens, le bien ne s’identifie donc pas à la justice et à la vertu, mais à l’agréable (ce qui vaut le nom à sa philosophie d’"hédonisme politique"). Le droit et la politique doivent donc, pour être efficace, se baser non pas sur une idéaliste et illusoire "fin" humaine mais sur les aspirations réelles des hommes. Pour Hobbes, la première d’entre elles est l’instinct de conservation, corrolaire de la peur de la mort. Toute la philosophie politique de Hobbes et de ses successeurs (en particulier Locke) repose donc sur le "droit de conservation". Chacun est égaux devant ce droit fondamental, la philosophie politique moderne est donc égalitaire. Par ailleurs chacun est libre de décider de ce qui est nécessaire à sa conservation ; la fin de la société n’est pas autre chose que de lui garantir ce droit de conservation qui n’est pas garanti dans l’état de nature (marqué par la violence et la pénurie). Pour ce faire, la société doit garantir les moyens nécessaires à la conservation : la loi se base donc non plus sur des devoirs ou des obligations, mais toute une série de "droits à" (droits de l’homme) destinés à subvenir aux besoins de chacun. La règle devient "chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins". (slogan repris par le communisme, à comparer à la conception antique : "... à chacun selon son mérite").

A cette fin, la société civile doit lever toute restriction aus plaisirs sensuels et à la recherche de l’agréable, recherche égoiste et hédoniste qui est en fait le véritable moteur de l’amélioration de la production et, in fine, de la sécurité et du confort de tous. C’est donc une philosophie libérale, hédoniste et productiviste. Locke poursuit la réflexion en posant que la conservation implique la propriété des fruits de son travail, mais aussi des moyens de production de son travail. Cette philosphie pose donc les bases du capitalisme.

C’est aussi une philosophie révolutionnaire et doctrinaire : en effet, il est possible de définir et de réaliser un régime politique parfait en tout lieu et tout temps. Il n’y a donc plus de régimes légitimes, mais un seul régime acceptable (en l’occurence la démocratie, qui seule permet de garantir que l’individu ne se voit pas privé de ses droits fondamentaux au profit de quelques uns). La politique n’est plus le domaine de l’art, de l’aristocrate, mais le travail de techniciens, de technocrates, qui se contentent d’appliquer sans imagination la loi universelle. Mais pourquoi ce régime idéal n’existe-t-il pas encore ? Parce que les hommes sont fondamentalement "stupides" et incapable de le découvrir et réaliser. La mission des philosphes des lumières est donc, comme leur nom l’indique, d’"éclairer" le monde en leur révélant la solution politique universellement parfaite (il y a donc une contradiction profonde et intolérable, me semble-t-il, dans le fait de prétendre laisser aux gens la liberté de décider de ce qui est bon pour eux, pour finalement affirmer qu’ils sont en général trop cons pour bien le savoir et qu’il est nécessaire de le leur "révéler", voire de décider pour eux...).

Dans les faits, pourtant, plusieurs "doctrines" concurrentes, plusieurs factions, se sont affrontées impitoyablement (libéralisme / communisme, USA / URSS, gauche / droite...), toutes se revendiquant également des lumières et du droit naturel moderne dans ses postulats philosophiques et ses prétentionssomme toute "totalitaires" (c’est à dire valable partout, tout le temps, dans toutes les situations) mais se disputant quant à "la" solution totalitaire idéale. Finalement, les résultats sont peu probants, l’attachement à une "doctrine" universelle et totalitaire rendant les politiques incapables de trouver des solutions adaptées à la réalité multiple et complexe, qui n’est faite que de situations particulières.

Donc, pour répondre plus directement à votre interrogation, "libéralisme de droite" et "communisme de gauche" ont plus de points communs que de différences : ils reposent tous les 2 sur les postulats de la philosphie moderne et des lumières : progrès (positivisme), nature non sociale de l’homme (individualisme), primauté de l’agréable sur le juste ou le vertueux (hédonisme, matérialisme, consummérisme, productivisme), ne s’opposant, finalement, que sur la primauté donnée à la liberté absolue (libéralisme), qui se traduit forcémment par des inégalités de fait entre les forts et les faibles, ou à l’égalité absolue (communisme), qui se traduit forcémment par des restrictions imposées aux forts (et à ceux qui réussissent) et des avantages accordés aux faibles (et à ceux qui échouent).

Je pense que l’on peut très aisémment replacer l’ensemble des débats politiques et sociaux actuels dans ce cadre conceptuel (mépris du peuple par les élites politiques, de gauche comme de droite, haine viscérale des "patrons", des "bourgeois", plus largement de ceux qui réussissent, n’ayant d’égal que l’égoisme et le cynisme de bon nombre des "puissants", etc etc.). La situation semble sans issue, la gauche et la droite s’étripant alors même qu’elles sont d’accord sur la plupart des points. Pour sortir de ce débat de chiffonier avant d’avoir complètement saccagé notre pays et notre planète, il est nécessaire de sortir de cette conception moderne de l’homme que gauche et droite ont en commun, et qui ne peut conduire qu’à l’individualisme, à l’égoisme, au matérialisme et, finalement, comme l’a bien montré Nietzsche, à une certaine forme de nihilisme destructeur ; par exemple, en revenant à la vision classique : celle d’un homme naturellement social, celle de la prééminence des devoirs sur les droits, de la vertu et du contrôle des passions sur l’hédonisme et la liberté totale, de la politique comme un art et non comme une doctrine... Perdre nos illusions universelles et totalitaires, notre croyance en une "vérité" ultime, en une société parfaite, pour mieux s’adapter au monde réel... Mais est-ce encore possible ?


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