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Commentaire de Voltaire

sur Nano-bio-technologies, méga-business et macro-irresponsabilité


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Voltaire Voltaire 24 juin 2008 15:06

La façon dont notre société diabolise ou accepte les nouvelles technologies est un sujet passionant.

Il suffit par exemple de comparer la réaction face aux plantes OGM d’un côté, et au téléphone portable de l’autre.

D’un point de vue strictement scientifique, ces thématiques sont largement comparables : issues de technologies développées dans les années 70-80, il existe dans les deux cas quelques rares études mises en avant qui suggèrent la possibilité d’un risque, sans que celui-ci soit quantifiable. Dans les deux cas, il n’existe aucun cas prouvé de personnes affectées par les OGM ou les téléphones portables, aucune étude épidémiologique indiquant un risque accru par leur utilisation, et même aucun fondement scientifique réel pouvant suggérer l’existance d’un risque, même chronique. Pour autant, l’impossibilité de conclure à une totale absence de risque, et l’existence d’études suggérant que, peut-être, dans certaiens conditions, il puisse y avoir un faible risque, suffit pour certains opposants à demander l’application d’un principe de précaution et leur interdiction.

La réaction de la société vis à vis de cette demande est cependant diamétralement opposée : rejet pour les OGM, et acceptation pour le téléphone portable. Les raisons de cet impressionant décalage sont multiples :

- la familiarité du produit tout d’abord : Pour le citoyen, le téléphone portable n’est que le prolongement du téléphone à fil, même si technologiquement il existe des différences immenses. En revanche, à part pour l’agriculteur averti ou le scientifique concerné, l’OGM est une chose plus abstraite, puisqu’il n’en a jamais vu et qu’il a en général une vision très idéalisée de l’agriculture telle que pratiquée dans nos pays. 

- l’usage ensuite : le téléphone portable fait parti de la vie de tous les jours. S’en passer remettrait profondément en question le mode de vie de nombreux citoyens, même s’il ne s’agit pas là d’un objet essentiel. En revanche, l’OGM n’apporte au citoyen aucune valeur ajoutée évidente : les OGM existants sont conçus pour apporter une valeur ajoutée à l’agriculteur, pas au consommateur final.

- le nationalisme économique : tandis que de nombreux téléphones portables sont conçus par des sociétés européennes, voire françaises, et que les opérateurs téléphoniques sont aussi franco-européens, les OGM sont actuellement produits en dehors de l’Europe, suite aux campagnes d’activistes dans nos pays. Lutter contre les OGM peut donc légitimement être inclus dans une perpective plus "politique" d’anti-américanisme.

- le tabou du vivant : tandis que la technologie micro-électronique n’a jamais suscité au sein du grand public de réaction vives, tandis que toute technologie qui modifie en profondeur le vivant peut entrainer une réaction instinctive de méfiance. Il faut cependant moduler cette aspect : dès que l’objectif est de soigner l’être humain, le public est prêt à passer outre sa méfiance instinctive.

La situation peut-elle s’inverser ? Probablement, sous certaines conditions. En ce qui concerne le téléphone portable, il faudrait des éléments scientifiques et médicaux indiscutables (ce qui est improbable) pour avoir un impact réel, tellement cet objet à d’importance socio-économique. En ce qui concerne les OGM, ceux-ci ont pâti d’une erreur de stratégie manifeste : si les producteurs avaient ciblé le consommateur final plutôt que le producteur intermédiaire, il y a fort à parier que la situation serait différente. Dans l’avenir, il est possible que la mise sur le marché de nouveaux OGM à visée thérapeutique, ou permettant de limiter plus nettemment la pollution des sols, voir de présenter un bénéfice pour des populations deshéritées, pourra entrainer un revirement de l’opinion public.

Pour conclure, il faut bien souligner la difficulté pour l’immense majorité de la population d’apréhender la notion de risque : une probabilité d’un pour cent ou d’un pour cent mille n’est pas un concept naturellement clair. C’est la raison pour laquelle il est si difficile de transmettre une information objective sur le rapport coût/bénéfice. Mais de façon générale, le public est d’autant plus tolérant au risque que le bénéfice potentiel est important : il acceptera donc facilement la mise sur le marché d’un médicament tuant un patient sur dix si ce médicament permet de sauver un patient sur deux d’une maladie mortelle. Pour le moment, bien qu’aucun de ces deux produits, plantes OGM et téléphone portable, ne soient indispensables, le public perçoit un intérêt bien plus évident du côté du téléphone que de l’OGM. A risque (quasi nul) égal, il est donc prêt à conserver son portable et à refuser l’OGM...

 


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