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Commentaire de Rousquille

sur La « mémoire de l'eau » : appel aux scientifiques


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Rousquille Rousquille 28 juin 2008 03:40

"La vraie recherche est, par nature, une déviance..."
Entretien avec Jacques Benveniste

 

Chercheur à l’INSERM, découvreur du paf-acether (un médiateur chimique de l’inflammation et de l’allérgie) puis de la mémoire de l’eau et de la biologie numérique, Jacques Benveniste fut impliqué dans une polémique scientifique internationale à la suite de la parution de ses travaux dans la fameuse revue Nature, en 1988 (cf. SF n°01).
Répugnant à discuter les détails de ses expériences sur la mémoire de l’eau, beaucoup de ses critiques les plus virulents, dont des prix Nobel français auréolés de l’autorité que leur conférait leur titre, n’hésitèrent pas à accuser le chercheur d’avoir consciemment fraudé... sans qu’aucune preuve n’en soit jamais apportée.
 

Quelle est votre impression suite à la création d’une Délégation à l’Intégrité Scientifique à l’INSERM ?

En tant que fonctionnaire obéissant je n’ai pas à discuter les décisions de mon administration. Était-il opportun ou non de créer à l’INSERM une telle délégation, je n’en sais rien... Mais on peut parler du problème de la fraude scientifique en général.
J’ai été personnellement confronté à la fraude scientifique, on m’a souvent accusé de fraude, ce à quoi j’ai répondu par des procès que j’ai toujours gagnés, y compris récemment contre la rédaction du magazine Science & Vie. Je professe que la fraude scientifique est rare, notamment en France où les chercheurs ont un statut fixe de fonctionnaire qui leur permet de ne pas être soumis à la pression. Les chercheurs américains, eux, perdent en cas de mauvais résultats non seulement leurs crédits mais également leur propre salaire.
Sur un plan plus général, la fraude scientifique, ça n’existe pas.
 

Vous considérez qu’aucun scientifique ne peut donc tricher ?!

Il y a fraude et fraude. Par exemple, si vous fabriquez un faux tableau, vous fabriquez un objet qui existe mais qui est faux et dont vous tirez un profit. Mais le chercheur, lui, ne fabrique rien, il ne crée rien : il dé-couvre. Il soulève les jupes de la nature pour aller découvrir ce qu’il y a en dessous. Il ne peut pas, avec des résultats faux, créer une nature fausse. La fraude scientifique, en aucun cas, n’influe sur le but ultime de la recherche qui est la découverte de nouvelles connaissances, et encore moins sur la recherche technologique : si l’on construit un appareil sur des bases fausses il ne fonctionnera pas.
Or, il n’y a sûrement pas en France 1% des chercheurs qui fraudent. Beaucoup de bruit pour rien pourrait-on dire !!
Comment au départ différencier un "vrai" résultat d’une erreur, ou encore d’une "fraude" ? Cette chasse à la "fraude" implique de ne considérer que les résultats positifs en pariant sur la réussite finale... Un idéologue, par ailleurs professeur de médecine, a utilisé les termes de "fraude inconsciente" à mon sujet. On voit avec quelle aisance le glissement d’erreur à fraude est énoncé par les inquisiteurs de tous les temps.
Un autre problème, très mal discuté par les chercheurs, est celui de l’erreur scientifique. L’erreur est un élément constitutif du travail du chercheur. Tout comme manquer un but est intrinsèque au travail du footballeur : s’il ne tente pas d’en marquer, et donc s’il ne prend pas le risque d’en rater, il ne progressera jamais.
Le problème c’est qu’il y a plein de découvertes qui sont au départ extrêmement ténues, qui apparaissent puis disparaissent, marchent un jour mais pas le suivant, etc. La tendance actuelle tend vers une rigidification des procédures de la science et de la recherche, elle part d’un certain puritanisme, d’un angélisme dont on voit bien l’origine : une copie pure et simple des méthodes anglo-saxonnes. Il faut "laver plus blanc que blanc" comme disait Coluche. Finalement, on risque d’aller à l’encontre de la productivité scientifique.
 

Le souci d’éviter les fraudes et les erreurs serait donc, en fin de compte, nocif à la recherche elle-même ?

Tout est question de mesure : il me semble qu’on sort un beaucoup trop gros bâton, pour avoir l’air propre, par rapport au problème réel. Si vous déclenchez une enquête sur un résultat scientifique quelconque, vous travaillez avec des "experts" qui ont une base qui consiste à dire : "voilà comment fonctionne la recherche et voilà comment vous, chercheur, devriez fonctionner". Le problème c’est que ces experts prennent comme modèle une recherche aboutie, alors que la recherche consiste à explorer des territoires complètement inconnus, avec au départ des procédures inconnues. A partir du moment où vous traitez ce que j’appelle des "bébés-résultats" avec les mêmes critères qu’une recherche aboutie... il n’en restera plus grand chose au bout du compte. Il faut faire un choix entre la liberté, qui comporte des risques minimes, et cette rigidification qui fait que les chercheurs finiront par être paralysés. Ils se diront : "si je fais de la recherche, ce qui implique l’incertitude, je vais me faire taper dessus, donc je préfère ne pas en faire. Faisons donc seulement ce qui sera accepté sans problème, de la génétique par exemple."
Personne ne peut être pour la fraude, mais effectivement cette obsession de la fraude peut aboutir à un système paralysant dans lequel les chercheurs ne vont plus oser prendre de risque. Quand on est menacé par une découverte nouvelle, il est très tentant de déclencher une procédure de fraude, ce qui a pour effet de bloquer le travail du chercheur.
Aux États-Unis cet angélisme scientifique a d’ailleurs mal tourné. L’une des trois personnes venue vérifier mon travail dans mon laboratoire, Stewart, a été depuis démis de toutes ses fonctions, il a été éjecté du NIH (National Institute of Health). C’est ce même Stewart qui avait déclenché l’affaire Baltimore. Ce prix Nobel fut accusé par un membre de son laboratoire d’avoir fraudé. Il est vrai que son papier n’était pas très bien écrit, mais pouvait-il contrôler le travail de quasiment une centaine de personnes au jour le jour ? Et il a fallu 10 ans à Baltimore pour qu’il soit blanchi de cette accusation... C’est complètement disproportionné. Qu’il faille sanctionner la fraude grossière, d’accord, mais créer un organisme spécial qui va faire une routine de ce type d’enquêtes - qui cachent d’ailleurs souvent des règlements de compte entre personnes - c’est exagéré...
La recherche est un domaine beaucoup trop sensible pour qu’on y vienne avec les gros sabots américains, style Kenneth Starr.
 

Est-ce que le terme "d’intégrité scientifique" vous fait réagir, qu’est-ce que c’est pour vous l’intégrité en science ?

Soyons clairs : un chercheur, par définition, ruse toujours avec la nature. Nous utilisons tous des systèmes qui sont artificiels. Au moment où je prends une aiguille pour recueillir votre sang, il y a déjà des dizaines de variables qui entrent en compte. On pourra toujours objecter qu’on a utilisé tel produit plutôt que tel autre et qu’il faudrait donc recommencer avec l’autre produit...
Alors c’est quoi là-dedans être honnête ? C’est reconnaître qu’on utilise ce qu’on peut, et que ce qu’on fait n’est pas forcément automatiquement reproductible par le voisin. Si l’on considère que la recherche en biologie consiste à utiliser une tronçonneuse pour couper une patte de lapin, alors là, oui, ça marchera dans 100% des cas. Mais on en arrive à une caricature de la recherche, à une schématisation abusive.
On a déjà le filtre des revues scientifiques. Si en plus de ça, comme je l’ai déjà vu dans les laboratoires américains, on en vient à tenir des cahiers de laboratoire avec des pages numérotées, qui devraient être signées par un huissier ou un inspecteur de police, où va-t-on !?!
Autrement dit, le "chercheur fou", un peu dingue et désordonné, qui crayonne sur des bouts de papier des formules abracadabrantes que lui seul est capable de retrouver, du style Einstein, c’est terminé ! Je ne dis pas qu’il faut instituer le désordre comme règle de conduite, mais tout de même c’est un point de vue de notaire, ça n’a rien àvoir avec la recherche scientifique.
A quand l’obligation pour les écrivains de tenir au propre leurs manuscrits dans des cahiers numérotés parce qu’ils pourraient autrement tromper leur monde ? Un huissier derrière chaque créateur, c’est ce à quoi on veut arriver ?
La vraie recherche, c’est par définition une déviance. La recherche scientifique est non réconciliable avec le monde précédent, ou alors c’est tout ce qu’on veut sauf de la recherche.
En tant qu’individu, la seule question que je puisse poser à la Délégation à l’Intégrité Scientifique de l’INSERM est la suivante : si par hasard un chercheur, fonctionnaire à l’INSERM, était accusé de fraude de façon illégitime, c’est-à-dire sans preuve, est-ce que la Délégation le défendra ?
Est-ce qu’il ne va s’agir que de faire la chasse aux "vilains petits canards" de la recherche ou bien également une chasse aux "vilains gros fusils" ?
 

Et vous avez posé cette question à la Délégation ?

Oui, je leur ai posé la question, et il m’a été répondu que ce n’était pas leur boulot...
A l’occasion de cette interview, je tiens d’ailleurs à dénoncer une fraude que tout le monde connaît, et qui consiste pour des éditeurs de revue à refuser des articles pour des raisons qui ne sont pas scientifiques.
 

Et qui seraient ??

La non conformité au paradigme actuel. On a eu le cas d’articles d’astrophysique publiés avec la mention "unbelievable", ou bien refusés parce qu’ils dérangeaient la théorie dominante.
Fabriquer des résultats faux est une fraude, mais sans conséquence sur la science. Par contre tuer des résultats vrais, c’est une fraude encore pire ! Parce que là c’est l’essence même de la science qui est menacée...


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