@Doctory,
Vous approchez la décision du conseil constitutionnel selon trois questions primordiales dont la première est sans aucun doute possible celle qui permet d’articuler l’ensemble des réponses ; c’est principalement la notion de liberté individuelle.
1) cette femme en burqa (ou niqab) manifeste-t-elle un comportement libre ? La réponse est non : en effet, cet accoutrement lui aurait été imposé par son mari ; lorsqu’elle était au Maroc, elle circulait sans voile. Par ailleurs, quand bien même se serait-elle, de sa propre volonté, attifée de cet accoutrement, le fait de le porter implique la disparition de toutes ses autres libertés : elle n’est plus libre de travailler (une femme ainsi habillée est totalement et définitivement inembauchable dans quelque entreprise que ce soit, même si la Halde serait capable de ne pas être de cet avis). Elle perd aussi d’autres libertés essentielles, telles que, par exemple, courir pour attraper son bus, sentir le soleil sur son visage et le vent dans ses cheveux, ne pas crever de chaud en plein été, se baigner dans la mer, etc. ;
Il me semble qu’une femme décidant de vivre (car c’est une décision individuelle) avec un homme à la condition de porter une burqa ou tout autre signe distinctif est la première des libertés. Elle avait autant libre choix d’accepter ou de refuser. La véritable question est donc bien : est-ce que cette femme a été forcée de rester avec cet homme ? Cette question peut aussi être posée aux femmes violentées par leur conjoint. Après, tout le reste de votre propos est sans fondement ; vous comparez un concept qu’est la liberté à des capacités de faire. Si vous appliquez ce type de raisonnement dans tout les domaines, notre système économique est tout aussi contraignant.
2) cette femme peut-elle se considérer comme égale aux autres citoyens ? Non, dit le Conseil d’Etat, elle se retrouve dans une situation manifeste d’infériorité, et ne peut jouir dans les faits d’aucune des libertés dont bénéficient ceux et celles dont elle prétend aspirer à être une concitoyenne. Qui plus est, elle semble considérer l’égalité comme une non-valeur, ce qui est gênant quand on veut être Française ! ;
Encore une fois, la référence est la liberté. En tant que concept ou capacité à faire ? Et l’égalité n’est pas du tout une tendance au conformisme, il ne faut pas confondre.
3) cette femme manifeste-t-elle de la fraternité ? Comment pourrait-elle se prétendre fraternelle alors qu’en cachant entièrement son visage dans la rue, elle affiche ouvertement son mépris vis-à-vis des hommes et des femmes dont elle déclare pourtant souhaiter être la concitoyenne ! La fraternité commence avec la communication, quelle communication peut-il exister avec une femme ainsi habillée ? Qui serait tenté de lui adresser la parole ?
Là, on touche au pur fantasme ! Qu’est-ce qui permet de dire que tel ou tel accoutrement met en exergue le mépris ou l’acceptation d’autrui ? D’autre part, la communication ne repose pas du tout sur l’apparence physique ; même si j’admets aisément que la tenue vestimentaire, dans ce contexte précis, n’engendre pas une volonté délibérée d’entrer en contact. Mais cela ne repose que sur le postulat que la communication ne peut être que directe et en présence des interlocuteurs.
C’est en fait une décision qui repose sur un postulat de base fortement orienté par les sociétés occidentales correspondant à notre propre perception du fait religieux autant dans d’autres cultures que dans notre propre société. La décision tend donc à admettre que la soumission (librement consentie ? du moins sans réponse sur cette question) pour fait religieux exclusivement musulman n’est pas acceptable dans la société française ; mais que la soumission (librement consentie, elle aussi ?) tant dans d’autres contextes religieux (il existe des intégristes de tout poil) ou même dans des contextes de pure violence sont admissibles (puisqu’il n’est pas possible d’en démontrer la véracité ou non).
La liberté ne se résume pas exclusivement à être en conformité avec ce que l’Etat ou toute personne de la société attend de vous. La liberté consiste à faire ses propres choix en connaissance de cause. Le Conseil Constitutionnel a-t-il démontré qu’elle avait fait un choix sans en connaître les conséquences ? Non. A-t-il démontré qu’elle n’avait pas le choix ? Il admet, à mots converts, le contraire ; étant libre, elle a acceptée une contrainte. Le Conseil Constitutionnel n’a donc pas du tout jugé la faculté ou non à être libre de cette femme, mais des conséquences de son choix au regard du conformisme ambiant.
Tant je serais d’accord avec vous sur le fait que d’un point de vue purement personnel, le choix qu’elle a fait est criticable, même qu’il faille combattre ce type de comportement, mais je ne serais pas d’accord pour soutenir qu’un organisme représentant l’Etat se cantonne à émettre des jugements sur les choix individuels des personnes ; cela sous-tend à une attente qui penche allégrement vers du conformisme.