Le problème n’est pas tant la dénonciation d’une forme de judéomanie, mais la manière dont certains retrouvent une argumentation qui rappelle singulièrement l’antisémitisme d’une époque qu’on croyait révolue. Notamment en développant le raisonnement suivant :
a) dès qu’on met en cause un Juif, tous les Juifs se mobilisent ; b) dès qu’on critique les Juifs, on veut faire taire par censure ; c) les Juifs se plaignent de mauvais traitements, mais, quand ils sont au pouvoir, ce sont des tyrans sanguinaires ; d) la Juiverie internationale a une puissance inversement proportionnelle au nombre de Juifs dans le monde ; e) pour finir, à force d’exaggérer, les Juifs suscitent des réactions parfois excessives, à leur encontre (qu’ils ont bien mérité...)
J’ai trouvé un article édifiant du ’Dearborn Independent’ publié en novembre 1921 et qui a le mérite d’égréner toute la litanie de reproches. C’est une attaque contre un certain Louis Marshall, président du ’American Jewish Committee’, sorte de CRIF à l’américaine.
On s’en prend à ses activités pendant le congrès de Versailles, où son organisation aurait ’imposé au monde le Programme juif’ ; on dénonce l’Union soviétique comme une création monstrueuse de la Juiverie, une "living illustration of the ruthlessness, the stupidity and the reality of Jewish power, endless power, fanatically mobilized for a vengeful end’.
Intéressant de noter comment en 1920 la Russie communiste détient, dans le discours anti-juif, la même place qu’Israël en 2008.
On s’en prend aussi à la mobilisation juive en faveur de Juifs mis en cause par la ’justice des goys’, dans les Affaires Dreyfus et Frank. Je cite, en soulignant les expressions qui me paraissent avoir des équivalents actuels dans la mise en accusation de la ’judéomanie’ :
"The case of Leo Frank, a Jew, charged with the peculiarly vicious murder of a Georgia factory girl, was defended by Mr. Marshall. It was one of those cases where the whole world is whipped into excitement because a Jew is in trouble. It is almost an indication of the racial character of a culprit these days to note how much money is spent for him and how much fuss is raised concerning him. It seems to be a part of Jewish loyalty to prevent if possible the Gentile law being enforced against Jews. The Dreyfus case and the Frank case are examples of the endless publicity the Jews secure in behalf of their own people. Frank was reprieved from the death sentence, and sent to prison, after which he was killed. That horrible act can be traced directly to the state of public opinion which was caused by raucous Jewish publicity which stopped at nothing to attain its ends. To this day the state of Georgia is, in the average mind, part of an association of ideas directly traceable to this Jewish propaganda. Jewish publicity did to Georgia what it did to Russia—grossly misrepresented it, and so ceaselessly as to create a false impression generally. It is not without reason that the Ku Klux Klan was revived in Georgia and that Jews were excluded from membership."
En somme, le pauvre Frank (l’auteur de l’article ne se prononce pas sur sa culpabilité) a été lynché parce que les Juifs avaient exaspéré l’opinion publique... On croirait entendre ceux qui, dans les journaux, mettent aujourd’hui en garde les Juifs contre une trop grande visibilité dans la défense d’Israël, et une trop forte tendance à crier à l’antisémitisme...
Plus significatif encore dans le débat en cours, l’auteur de l’article s’en prend spécifiquement aux pressions exercées par les organisations juives sur les médias - l’éditeur Putnam en particulier. En somme, Marshall s’arrogerait un droit de censure - empêchant la sortie des Protocoles des Sages de Sion. Or le journaliste ne défend pas ce livre en soi, mais reproche à Marshall (et aux organisations juives) de ne pas faire confiance à l’intelligence des lecteurs, capables de décider pour eux-mêmes.
En vous présentant cet article mon but n’est pas de dire ’rien ne change’, et encore moins d’énoncer une équation simpliste du genre "s’en prendre à la ’judéomanie’ - et même relever qu’elle existe - c’est donner dans le bon vieil antisémitisme d’antan". Même si force est de constater que pour certains c’est effectivement le cas (peut-être que certains lecteurs trouveront d’ailleurs que cet article de 1921 est marqué du sceau du bon sens...)
Plutôt de mettre en garde contre une singularisation excessive des réactions de défense (parfois excessives, abusives ou maladroites) d’une communauté en particulier.
En effet, on aurait aimé que les Noirs américains aient eu à leur service, dans les années ’20, les mêmes outils de ’lobbying’ pour se défendre des discriminations et des lynchages.