Thèse de Doctorat en Médecine de Pierre Corret
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AVANT-PROPOS
« Une pensée souvent exprimée, mais sur laquelle on ne saurait trop attirer l’attention, est que l’établissement d’une langue internationale est une des nécessités les plus urgentes de la civilisation actuelle. »
Ainsi débutait un mémoire sur « La langue internationale » adressé en 1899 l’Académie des Sciences morales et politiques par M.Ernest Naville, philosophe genevois, associé étranger de cette académie. (1)
La même idée se trouvait exposée dans une note communiquée l’année suivante à l’Académie des Sciences par M. Ch.Méray, professeur a l’Université de Dijon, correspondant de l’Institut : « Il serait puéril, disait-il, d’insister devant l’Académie sur la grave incommodité qu’inflige à tous les hommes civilisés, aux savants en particulier, la diversité des langues naturelles et la difficulté de leur acquisition pour les étrangers. Cette situation trop connue a fait naître, elle rend de plus en plus pres-
(l) Comptes rendus des séances de l’Académie des Sciences morales et politiques, 1889, p. 632 et 653.
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sant, le besoin de quelque idiome artificiel facile qui put immédiatement servir d’interprète entre tous ceux qui ne parlent pas une même langue nationale .... » (1)
Et M. le Général Sebert, membre de l’Académie des Sciences, appelait de nouveau l’attention de cette académie sur la question d’une langue internationale, dans sa séance du 9 avril 1901. (2)
En Allemagne, le Professeur Hermann Diels, recteur de l’Université de Berlin, dans son discours de rectorat, prononcé le 3 août 1906, sur Les devoirs internationaux de l’Université » (3), après avoir éloquemment montré le grand intérêt que doivent prendre tous les peuples à 1’« internationalisation » de la science et de la culture intellectuelle,afin que chacun d’eux puisse tirer profit des progrès réalisés par les autres, et recommandé dans ce but les échanges internationaux de professeurs (qui se font déjà entre l’Allemagne et les Etats-Unis)comme moyen de réaliser cette internationalité du savoir,a été amené a constater que « la principale difficulté qui menace sérieusement l’idée d’échanges internationaux et semble rendre impossible la corn-
(1) Comptes rendus des séances de l’Académie des Sciences, t. CXXXII, p. 874.
(2) Comptes rendus des séances de 1’Académie des Sciences, t. CXXXII, p. 869 et 874.
(3) Internationale Aufgaben der Universität, Rede zur Giedächtnisfeier des Stifters der Berliner Universität Kön g Friedrich Wilhelm IlI. in der Aula am 3. August 1906 gehalten von Hermann Diels. (Preussische Jahrbücher, herausgegeben von Hans Delbrück. Berlin, Verlag von Georg Stilke. Heft III, September 1906, p. 387).
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préhension réciproque dans une plus grande mesure,... est la diversité des langues » (1).
Bien d’autres savants, avec ceux que nous venons de citer, déplorent la « grave incommodité » que leur inflige, ainsi qu’à tous les hommes civilisés, la diversité des langues naturelles et sentent le besoin de « quelque idiome » qui puisse servir aux communications internationales entre individus de langues maternelles différentes
« La communication des peuples est si grande, disait déjà Montesquieu en 1728, qu’ils ont absolument besoin d’une langue commune ».
Les immenses progrès accomplis de nos jours par tous les moyens de communication, ont rendu ce besoin de plus en plus vif, et nombreux sont aujourd’hui ceux qui tireraient les plus grands avantages de l’emploi d’une langue internationale :
0r, une telle langue existe et est actuellement employée dans le monde entier, pour leurs relations écrites ou orales par des milliers d’individus de toutes nationalités :
« Si l’on vous disait », écrit M. Emile Boirac, Recteur de l’Académie de Dijon, « il existe un moyen très simple, très pratique d’entrer immédiatement en correspondance avec des gens de tous les pays du monde, parlant les langues les plus diverses, qui grâce à lui vous comprendront, vous répon-
(1) Eine Weltsprache oder drei ? Antwort an Herrn Professor Diels von Professor Louis Couturat (Paris). (Sonderabdruck aus « der Deutschen Revue », herausgegeben von Richard Fleischer. Stuttgart und Leipzig Deutsche Verlags-Anstalt).
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dront, sans que vous soyez obligés de savoir leurs langues, sans savoir eux-mêmes un mot de français, et que pour vous procurer ce moyen il vous suffira d’une vingtaine d’heures d’étude et d’une dépense de quelques francs, — sans aucun doute vous accueilleriez une affirmation aussi étrange avec un sourire d’incrédulité ; et cependant elle est rigoureusement vraie. Ce moyen existe ; il n’est autre que la langue internationale proposée en 1887 par le Docteur Esperanto, pseudonyme du Dr Louis Zamenhof, de Varsovie, qui est devenu par la suite le nom même de la langue. » (1)
C’est ce moyen, si précieux pour les savants, et pour tous d’une acquisition si facile, dont nous voudrions, dans cette thèse, montrer l’utilité particulière pour les médecins. Et, ce faisant, nous croyons nous rendre plus utile, et aider davantage au progrès de la médecine, que nous ne pourrions le faire par quelque contribution à l’étude d’un point quelconque d’anatomie ou de pathologie.
D’autres, d’ailleurs, nous ont précédé dans cette voie : déjà la langue internationale a fait le sujet d’une thèse soutenue devant la Faculté de Droit de Dijon (2) l’Esperanto a même été pratiquement employé, comme nous le dirons, dans une thèse
(I) Qu’est-ce que l’Esperanto ? Par M. Emile Boirac, Recteur de l’Académie de Dijon. — Montpellier, Imprimerie G. Firmin, Montane et Sicardi.
(2) D’une langue auxiliaire internationale au point de vue du Droit des Gens, par M. Louis Fauvart-Bastoul, docteur en Droit, avocat à la Cour d’Appel, président de l’Association Générale des Etudiants. (Thèse, Dijon 1902).
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de Zürich, sur la théorie de la torsion de l’humérus (1).
Et, s’il nous manque pour aborder un pareil sujet l’autorité que donnent l’âge et le savoir, nous sommes heureux de nous appuyer sur celle de nos Maîtres, qui ont bien voulu nous communiquer leur opinion sur le sujet que nous nous proposons d’étudier. Qu’il nous soit permis de leur exprimer ici notre plus vive reconnaissance.
Professeur Grasset :
J’ai beaucoup causé d’Esperanto avec le Recteur Boirac, notamment lors du dernier congrès de Dijon. C’est vous dire que je m’intéresse beaucoup à la question que vous allez étudier. Malheureusement, mon amour est resté platonique et j’ai reculé devant l’étude de cette langue internationale, très rationnellement faite et qui, très répandue, rendrait aux savants les services que rendait autrefois le latin ....
Professeur Lépine :
Je suis d’avis que l’adoption d’une langue scientifique internationale est devenue nécessaire ; car un savant ne peut posséder toutes les langues dans lesquelles se publient actuellement des mémoires,
(l) Beitrag zur Theorie der Torsion des Humerus, nebst einer kurzen Uebersicht in Esperanto (Internationale Hilfs-sprache). Inaugural-Dissertation zur Erlangung des philosophischen Doktorwürde vorgelegt der Hohen philosophischen Fakultät der Universität Zürich (Matematisch-naturwissenschaftliche Sektion) von Francois Lambert. Begutachtet von Herrn Professor Dr Martin. (Thèse, Zürich 1904).
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qu’il a souvent besoin de lire in extenso. Parmi les langues artificielles susceptibles de devenir l’idiome scientifique international, 1’ Esperanto, dans ces dernières années, a obtenu le premier rang ;et, selon moi, cette langue sera extrêmement utile comme langue internationale d’affaires. Il n’est cependant pas démontré, à mes yeux, qu’une langue scientifique internationale doive être nécessairement artificielle. Le français, à cet égard, aurait bien des avantages.
Professeur Soulier :
Vous pouvez me considérer comme on ne peut plus favorable à l’Esperanto ; autant que vous, je crois à son utilité, à la possibilité de son adoption comme langue auxiliaire internationale en médecine. Je me sers de vos expressions, on ne saurait mieux dire, et je vous applaudis.
Professeur Bergonié :
Je vous félicite d’avoir pris ce sujet de thèse qui est on ne peut plus intéressant, et j’espère que votre travail fera avancer d’un bon pas cette question qui préoccupe tous les travailleurs scientifiques.
Voici bien résumée mon opinion sur l’utilité et la possibilité de l’adoption d’une langue auxiliaire internationale en médecine :
« L’utilité de l’adoption d’une langue auxiliaire internationale en médecine ne peut, je crois, être discutée. Elle est éclatante et devient une nécessité tous les jours plus pressante. Pour un point particulier de cette vaste question on peut le démontrer : Avec la spécialisation de plus en plus
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étroite qui se fait chaque jour, tous les périodiques d’une spécialité doivent être lus par chaque spécialiste de cette spécialité. Or, comment pouvoir lire avec fruit ces périodiques (au moins 10 pour les spécialités les moins répandues), si chacun est écrit dans une langue différente ? Voilà pour l’insuffisance du Polyglottisme.
Les spécialistes ont d’autant plus d’intérêt à se tenir au courant des découvertes et des progrès ayant trait à leur spécialité que celle-ci est plus étroite. Il faut connaître vite et exactement pour appliquer ou pour chercher mieux. Alors, ceux qui ne savent pas les langues sont handicapés vis-à-vis des autres, et ceux qui les savent (?) sont astreints à un entraînement continu dont le temps serait mieux employé à chercher. Comme tout irait mieux si chaque auteur pouvait faire un résumé de son mémoire en une langue auxiliaire que publierait le périodique, en même temps que le mémoire original. Les auto-referat lus et compris par tous, quel rêve II est cependant réalisable grâce à la langue auxiliaire ! »
Dr Achard :
J’ai maintes fois déploré de n’être pas polyglotte, et dans mes recherches bibliographiques, j’ai connu le déboire de rencontrer d’importants travaux écrits en des langues peu répandues. Je me souviens, à l’époque où j’étudiais la rétention des chlorures, de certain mémoire hollandais dont nous ne pûmes, avec mon collaborateur Laubry,
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obtenir qu’au prix de beaucoup de temps et de peine, une bonne traduction.
Il m’arrive souvent, comme secrétaire de la rédaction des Archives de Médecine Expérimentale, de recevoir d’auteurs étrangers des manuscrits de mémoires, traduits dans un tel français, qu’ils sont non seulement illisibles dans la forme, mais parfois tout-à-fait inintelligibles dans le fond. L’utilité d’une langue scientifique commune ne me paraît donc pas contestable.
Le latin remplissait ce rôle autrefois. Il est aujourd’hui bien délaissé ; d’ailleurs il se prête de moins en moins au développement continu du langage technique. L’adoption d’une des langues actuellement vivantes serait sans doute repoussée par les adeptes de la plupart des autres. Dans les congrès internationaux, trois ou quatre langues sont reconnues officielles, et ce petit nombre est déjà une gêne. Or, il suffit d’avoir fait partie du comité d’organisation d’un de ces congrès, pour savoir avec quelle vivacité les délégués de certains pays réclament l’accession de leur idiome national à ce privilège. Puisse au moins la crainte de l’Esperanto être pour eux le commencement de la sagesse ! Car s’il fallait à tous donner satisfaction, le nombre des langues ayant singulièrement crû et multiplié depuis les temps bibliques de la tour Babel, l’édifice de notre science risquerait de rester fort au-dessous de ce monument historique.
(suite dans le commentaire suivant)
30/03 17:13 - J.F. Clet
Et la liste des verbes irréguliers* ? En combien de temps l’avez-vous apprise ? (ou (...)
18/12 06:15 - Tuwo Rhuyzar
Bonjour. Je vous avoue avoir été surpris par votre article, m’attendant à tout autre (...)
11/09 14:57 - esperantulo
Si Zalka savait lire, il aurait tout de suite compris que rien dans les premieres lignes, on (...)
23/08 07:41 - Henri Masson
Dankon Grizaleono, pro via aprezo. Mi esperas baldaŭ kunmeti la tuton ĉe alia (...)
22/08 11:41 - Grizaleono
Grand merci, Monsieur Masson, pour le grand travail fait par vous. Dankegon, sinjoro Masson, (...)
22/08 09:29 - Henri Masson
Suite du résumé en espéranto de la thèse de doctorat en médecine de Pierre Corret (...)
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