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Commentaire de Henri Masson

sur Médecine sans frontières


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Henri Masson 26 juillet 2008 09:55

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LES CONGRÈS MÉDICAUX INTERNATIONAUX

C’est surtout par le développement des congrès internationaux, d’année en année plus nombreux et plus variés, que se manifeste la tendance moderne à l’internationalisation de la science » dont parlait le Professeur Diels dans son discours de rectorat de Berlin, et, parmi toutes les sciences, la science médicale est certainement celle qui marche au premier rang dans cette voie, les médecins de chaque nation sentant le plus vivement le besoin de connaître les progrès réalisés par leurs collègues étrangers dans la lutte contre la souffrance et la maladie.

« Ce sont les congrès médicaux internationaux qui réunissent le plus grand nombre de représentants de la science des diverses nations, ce sont eux qui sont les plus fréquents et qui attirent le plus l’attention du public. L’accroissement continu du nombre de leurs membres, l’étendue toujours plus grande de leur programme, montrent assez qu’ils sont devenus des manifestations périodiques nécessaires de l’activité scientifique médicale.

« Mais plus augmente le nombre de leurs membres appartenant à des nations différentes, plus les congrès médicaux s’approchent ainsi de leur but, plus vivement aussi s’y fait sentir un obstacle des plus graves : la diversité des langues. Les rapports, communications et discussions s’y font déjà en trois



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ou quatre langues ; il en résulte qu’à une communication faite en français deux contradicteurs font des
objections en anglais et en allemand. Combien parmi les assistants ne comprennent pas, soit le rapporteur
lui même, soit tel ou tel de ses contradicteurs ?

« Plus les congrès médicaux internationaux réuniront de membres, plus s’accroîtront et prendront d’importance de semblables difficultés, plus aussi s’affirmera la triste conviction de ceux qui y participent, qu’une grande partie de leur travail en commun est inutilement perdue pour beaucoup de
leurs collègues, et que des efforts et de l’énergie dépensés ressortiraient des résultats plus féconds,
s’il ne se rencontrait sur la route l’inévitable obstacle de la diversité des langues.

« La famille internationale de la science médicale croît et s’étend sans cesse ; sans parler des italiens, des espagnols, des suédois, des norvégiens, des danois, des tchèques, des serbes et des bulgares,
voici que les turcs et les japonais eux-mêmes entrent peu à peu dans sa constitution,… et l’on peut déjà
prévoir le dilemme malaisé qui se dressera inévitablement devant le comité d’organisation de tout
congrès international : d’une part, pour atteindre le but de pareils congrès — réunir des membres du
plus grand nombre de nations possible — on devra admettre le plus grand nombre de langues possible
pour les rapports et les discussions ; et d’autre part, en vue des résultats pratiques à atteindre et de la
possibilité du travail en commun pour tous les membres du congrès, il sera nécessaire de se restreindre à deux ou trois seulement des langues les plus connues. »



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Ainsi s’exprimaient, il y a dix ans, les membres de la Filiale d’Odessa de la société « Espero »
de St-Pétersbourg, dans un appel adressé au comité d’organisation du Congrès médical international de
Paris (1900), pour demander l’admission de l’Esperanto ce congrès, au même titre que les autres
langues (1).Et les considérations qu’ils faisaient alors valoir, ne se sont, depuis cette époque, que de plus en plus justifiées ; la gêne apportée dans les congrès internationaux par la diversité des langues
n’a fait qu’augmenter sans cesse, à mesure qu’y prenaient part des membres de nationalités plus
diverses, et la recherche d’une solution aux difficultés qu’elle cause, s’impose tous les jours davantage.

*
* *

Nous n’avons pas, on le comprendra, une très grande expérience personnelle des congrès médicaux internationaux, les maîtres de la science médicale y prenant plutôt part que ceux qui, comme nous, ne sont que leurs modestes élèves. Qu’il nous soit cependant permis de citer un fait dont nous avons été témoin au début de nos études médicales, et qui, a cette époque, nous a vivement frappé.

Un congrès international de Chirurgie se tenait dans le grand amphithéâtre de la Faculté, dont
la façade pavoisée de multiples drapeaux et ornée d’une grande inscription, annonçait au passant profane que derrière ces murs vénérables se tenaient de solennelles assises, auxquelles les représentants


(1) Lingvo Internacia, juin-juillet 1898, p. 82 et 83.



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les plus autorisés de la science chirurgicale étaient venus de toutes les parties du monde apporter la
contribution de leur savoir et de leur expérience.

Nous n’avions, à cette époque, jamais vu de congrès internationaux ; aussi profitant de l’occa-sion qui s’offrait à nous, nous entrâmes dans la salle des séances.

Nous imaginions par avance un amphithéâtre comble, où peut-être il nous serait impossible de trouver une place encore libre, et nous nous attendions à assister à quelque discussion pleine d’intérêt sur un sujet d’actualité chirurgicale .... Au lieu de cela, tout au fond du vaste hémicycle, une vingtaine à peine de congressistes semblaient écouter patiemment une communication qu’un professeur italien leur lisait en français sur l’extirpation qu’il avait faite, par voie sacrée, d’une tumeur du petit bassin.

Le professeur italien lisait du français ; mais quel français ! Et quelle façon de le prononcer ! Il nous était presque impossible d’y rien comprendre, et du chaos confus des syllabes ne se détachait, de temps à autre, que le mot « sacrum », prononcé « sacroum », à l’italienne, qui ajoutait invinciblement une légère pointe de comique à la grave dissertation du savant professeur (1).


(1) Nous n’avons nullement ici l’intention de tourner en ridicule la prononciation italienne de l’u latin, qui est d’ailleurs celle de la plupart des pays d’Europe, et celle sans doute aussi qui se rapproche le plus de la prononciation antique. Les français sont peut-être les seuls à le prononcer ü ou o, et non ou ; il n’en est pas moins vrai que la prononciation étrangère leur semble facilement ridicule.


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Si nous ne saisissions que quelques lambeaux de phrases dans cette communication, pourtant faite en notre propre langue, que pouvaient bien y comprendre les anglais, les allemands, les russes, les
serbes ou les bulgares, même s’ils savaient le français ? Sans doute, absolument rien, — et c’est probablement pour cette raison que, pendant la séance même, un bon nombre de congressistes se promenaient patiemment dans la cour de la Faculté, attendant sans doute que leur tour fût venu de lire
aussi leurs communications, ou que quelque compatriote prit la parole en une langue intelligible
pour eux.

Nous sortîmes, nous l’avouons, très désillusionné de cette première visite à un congrès international, et, tandis que nous quittions l’amphithéâtre, nous revenait malgré nous en mémoire cette définition fantaisiste, lue quelque part à propos d’un congrès international où l’on s’était peu compris :

« Une cérémonie où se réunissent des individus de diverses nationalités qui ne se comprennent guère, pour acheter par leur présence le droit de faire figurer leurs communications aux comptes rendus du Congrès, et prendre part, par la même occasion, à quelques fêtes et à quelques excursions à prix réduit ».

Malgré sa forme humoristique, n’y a-t-il pas un peu de vrai dans cette définition ?


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