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Commentaire de Henri Masson

sur Médecine sans frontières


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Henri Masson 26 juillet 2008 09:55

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Le Dr J. Lucas-Championnière, qui doit présider le IIIe Congrès de la Société internationale de Chirurgie écrit dans le Journal de Médecine et de Chirurgie pratiques du 25 Octobre 1908, à propos du dernier congrès de cette société tenu récemment à Bruxelles :

« La difficulté du mélange des langues n’a pas été vaincue, mais a été atténuée par des résumés bien faits en trois langues pour chaque rapport. l était possible de suivre sinon la totalité, au moins une part de la discussion, même sans savoir les trois langues officielles du congrès : l’anglais, l’allemand et le français.

« Il incontestable, en effet, que la multiplicité des langues annihile une partie des résultats des réunions internationales. La latin n’existe plus et l’Esperanto n’existe pas encore. »

Peut-on exprimer d’une manière plus nette et plus frappante la gêne apportée par la diversité des langues dans les congrès internationaux ?

« L’Esperanto n’existe pas encore », dit le Dr Lucas-Championnière, — en ce sens, certainement, qu’il n’est pas encore généralement admis dans les congrès internationaux, car dans beaucoup d’autres domaines les preuves de son existence et de sa vitalité se montrent tous les jours plus nombreuses ; — il appartient aux congrès médicaux eux-mêmes de lui donner désormais existence, en l’inscrivant au nombre des langues qu’ils admettent officiellement. Et bientôt la « difficulté du mélange des langues » ne sera plus seulement atténuée par d’insuffisants résumés en trois ou quatre langues,



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ne permettant de suivre qu’ « une part » seulement de la discussion, mais totalement et définitivement vaincue par l’idiome international, qui rendra possible et facile à tous les congressistes la compréhension immédiate de tous les rapports ou communications et la participation effective à toutes les discussions des congrès.

Le français étant ordinairement compris parmi les langues officiellement admises aux différents congrès, les médecins français se rendent peut-être moins facilement compte que certains de leurs collègues étrangers, des difficultés apportées dans les congrès internationaux par la diversité des langues. N’ayant, comme tous leurs compatriotes, qu’un penchant modéré pour l’étude des langues étrangères, ils profitent cependant de l’avantage que leur donne l’admission de leur idiome national au nombre des langues officielles des congrès, et ne songent peut-être guère au sort des confrères moins favorisés, dont la langue nationale n’a pas été admise. S’ils ne peuvent comprendre telle ou telle communication, faite en allemand, en anglais ou en italien, il leur est du moins possible de présenter dans leur langue leurs propres communications, — et c’est là certes pour eux un point important.

Mais un russe ou un roumain, par exemple,est obligé de présenter ses travaux dans une langue qui lui est étrangère, et qu’il doit cependant posséder assez parfaitement pour y traiter des sujets souvent très spéciaux. Combien de médecins français seraient capables, dans un congrès international, de présenter leurs communications en


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allemand, en anglais ou en italien, même s’ils sont en état de comprendre plus ou moins bien l’une ou l’autre de ces langues ? Autre chose est, en effet, de comprendre une langue ou de s’en servir soi- même.

Aussi ne faut-il pas s’étonner que ce soit surtout chez les nations dont la langue nationale n’est ordinairement pas admise dans les congrès, que soit le plus vivement ressenti et le plus souvent exprimé le besoin d’une langue internationale commune pour les congrès internationaux.

C’est, par exemple, le Dr Kabanov, privat-docent de l’Université de Moscou, qui écrit dans le journal de la très importante société médicale russe fondée en mémoire de Pirogov (1)

Beaucoup de ceux qui ont pris part à des congrès médicaux internationaux en ont certainement rapporté une très mauvaise impression. Chaque communication, rapport ou observation est loin d’être compris par tous les congressistes ; un grand nombre ne les comprennent pas, car en quelque langue que s’exprime l’orateur, elle se trouve ignorée de beaucoup d’entre eux.Il en résulte que les rapports allemands sont étudiés et discutés surtout par des allemands, les rapports français par des français, etc., selon les langues admises au congrès. Nous n’insistons pas sur ce fait que seuls peuvent prendre part aux congrès internationaux les médecins qui savent au moins une des langues


(1) « La langue internationale Esperanto et son importance pour les congrès médicaux », Journal de la société médicale russe fondée en mémoire de Pirogov, n° 7, 1907.


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admises, mais que la majorité des médecins de chaque pays est dans l’impossibilité absolue d’y prendre part à cause de leur ignorance des langues étrangères. Les médecins même dont la langue est admise au congrès ne peuvent pas tirer grand profit d’un congrès international, s’ils ne savent pas toutes les autres langues admises à ce congrès (1) Comme il y a dans chaque pays des congrès médicaux nationaux, congrès de médecins français, russes, italiens ou allemands, on ne voit pas très bien quel avantage peut avoir à prendre part à des congrès internationaux un médecin allemand, par exemple, pour échanger des idées avec d’autres médecins allemands ; il en pourrait faire autant chez lui, dans son pays, dans ses congrès nationaux, avec une moins grande dépense de forces, d’argent et de temps. Le but des congrès médicaux internationaux est l’échange d’idées entre médecins de divers pays et de diverses écoles, mais
comme dans les congrès actuels on emploie plusieurs langues, ce but ne se trouve atteint que dans une très faible mesure. Si cependant, malgré cela, on continue à organiser des congrès médicaux internationaux, cela ne prouve que le grand besoin de relations réciproques et de communication entre les


(1) Au congrès international de Madrid cinq langues étaient admises, et l’attention du congrès fut attiré sur le nombre croissant des langues admises pour les communications et discussions, en rapport avec le nombre également croissant des nations prenant part au congrès.Le congrès conclut qu’il était nécessaire de trouver un moyen de sortir de cette situation qui nuit certainement au développement des congrès internationaux.


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médecins des différents pays. Il n’est pas besoin de prouver que l’établissement d’une langue internationale ferait époque dans l’histoire des congrès médicaux et donnerait une puissante impulsion à leur développement en les rendant accessibles à la grande masse des médecins ; le but et le rôle essentiels des congrès internationaux seraient alors efficacement remplis.

« Voilà pourquoi il me semble très désirable que la langue Esperanto se répande le plus tôt possible parmi les médecins des différents pays, et qu’elle soit aussi le plus tôt possible acceptée comme langue officielle dans les congrès médicaux internationaux. C’est alors que ces congrès atteindront véritablement leur but, tous les médecins de tous les pays et de toute les nationalités ayant la possibilité d’y prendre part. » (1)

Le Professeur Demosthen, de la Faculté de médecine de Bucarest, inspecteur général de santé de l’armée roumaine, écrit de même au président de la Société Espérantiste de Roumanie :

« Vous savez qu’autrefois la langue médicale écrite et parlée était la même dans toutes les Universités et dans presque toutes les écoles de Médecine ; c’était le latin. Les examens, les thèses de doctorat, les ouvrages littéraires qui maintenant encore font la richesse des bibliothèques, étaient tous en latin.

« J’ai sous les yeux une dissertation de l’Université d’Iéna : « De morbo haemorrhoidali, diser-


(1) D’après la traduction en Esperanto que l’auteur a bien voulu faire et nous envoyer.



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tatio inauguralis... pro gradu doctoris... auctor Davidis Metzis... », imprimée en latin en 1858.
Ce n’est donc que depuis quelques dizaines d’années, que cet intermédiaire si précieux pour l’enseignement et pour les relations scientifiques, a été abandonné, et n’a été remplacé par rien d’équivalent, sinon de meilleur. Il me paraît que cet abandon d’une langue commune dans le domaine de la science et dans celui de la littérature médicale est un fait regrettable qui n’a pas été sans nuire à l’enseignement et aux progrès de la médecine.

« Il faut avouer qu’il n’est pas facile de chercher des traducteurs qui nous fassent connaître la littérature médicale imprimée dans des langues que nous ne connaissons pas, et quand il nous faut prendre part d’une manière effective à de grandes réunions internationales, où des questions très importantes sont traitées en diverses langues, celui qui n’est pas polyglotte y assiste sans pouvoir y participer activement, ignorant qu’il est du sujet de la discussion, et surtout des arguments qui y sont apportés. Dans ces conditions, il ne peut
sérieusement y prendre part, bien qu’il soit peut-être très compétent sur la question traitée. Pour prendre connaissance de ces communications, ou des propositions qui ont été faites, et des décisions qui ont été prises au sujet des questions, à la discussion desquelles il a assisté, il lui faut en attendre six a huit mois la publication, et ce n’est qu’après leur traduction dans une langue connue de lui, qu’il peut étudier les sujets qui l’intéressent.

« Je me suis trouvé dans des circonstances semblables au dernier congrès international d’Hy-


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giène et de Démographie qui s’est tenu l’an dernier à Berlin, et où j’ai entendu des communications
faites en anglais, en allemand, en français et en italien. Pour prendre part avec profit à un tel congrès, un allemand, un anglais, un français ou un italien doivent posséder trois langues étrangères, et s’il s’agit d’un russe, d’un turc, d’un norvégien, d’un japonais ou d’un roumain, c’est quatre idiomes différents qu’il leur faudra connaître en plus de leur langue maternelle. Je ne crois guère qu’il se soit rencontré dans ce congrès quelque membre aussi polyglotte. Il n’est pas douteux que quelques congressistes ne possédaient tout juste qu’une deuxième langue en plus de la leur. Un très grand nombre de médecins, la presque majorité des médecins allemands, anglais et français, ne connaissent que leur propre langue, et tous s’accordent à avouer la gêne et les difficultés qu’ils ont rencontrées avant de pouvoir être renseignés sur des questions discutées en des langues inconnues d’eux pendant des séances auxquelles ils assistaient. Il faut bien
noter, en effet, que dans tous les pays, la majorité des médecins est « monoglotte ».

« A l’une des séances du congrès de Berlin, deux confrères ont fait chacun une communication orale, l’un en anglais, l’autre en allemand. Comme je ne possède pas suffisamment ces deux langues, il m’a été non seulement impossible de prendre part à la discussion, mais même encore aujourd’hui, après quatre mois passés, j’en suis encore à attendre, pour prendre connaissance de ces communications, d’avoir reçu les comptes rendus du congrès, et de les avoir fait traduire.








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