Comme j’écris ces lignes, Nicolas Sarkozy s’envole pour Tbilissi après avoir rencontré Dmitri Medvedev à Moscou. L’histoire lui jette ainsi un défi que sans doute il n’attendait pas : sauver la paix dans le monde en contribuant à arrêter une opération de déstabilisation de l’oligarchie anglo-américaine, menée dans le contexte d’une désintégration économique mondiale.
Ce que cette opération vise est l’existence même des États-nations, en les jetant les uns contre les autres au profit d’un Empire financier régnant dans un climat de chaos. C’est la politique de George Soros, de l’European Council on Foreign Relations de Mark Leonard et Robert Cooper, de leurs alliés néo-conservateurs américains comme Robert Kagan et de leurs amis européens comme Javier Solana. Pour mener sa mission, notre Président doit comprendre de quoi il est question, considérant que s’il entend réussir il devra compter demain parmi ses adversaires ceux qui hier l’ont fait prince. Il devra mesurer qui sont les « hommes de Londres » et ce qu’ils représentent historiquement. Puis agir, en toute indépendance et sans compromissions, sans tenir compte, ni des menaces de Bruxelles, ni des apeurés de son propre camp, en vue d’un changement d’ordre.
Nicolas Sarkozy a en main un atout principal. Il comprend l’importance de la Russie et son retour sur la scène du monde et il admire les Etats-Unis. Il ne peut donc être tenu pour défavorable à l’une ou à l’autre, et il est en même temps porteur de la tradition gaullienne de l’Etat-nation. Enfin, la France et l’Allemagne, au printemps dernier, ont su résister au président Bush et ne pas accepter la Georgie au sein de l’Otan. Sans cette clairvoyance, l’Otan se trouverait aujourd’hui directement impliquée dans une guerre qui n’est en rien la sienne, au nom de l’assistance mutuelle que se doivent ses membres en cas de conflit et au profit de l’oligarchie britannique.
La faiblesse de la France peut dès lors se transformer en force si la situation n’est pas vue comme une chose en soi, mais comme la composante historique de forces qui l’ont déterminée. Relire Machiavel aiderait notre Président à se situer dans la bonne position, au point de transformation stratégique et diplomatique d’un moment décisif de l’Histoire.
Ce qui a été examiné à Moscou paraît un départ acceptable : les Géorgiens retournent dans leurs casernes, abandonnant leur aventure, les Russes arrêtent leur progression militaire sur le terrain, la mission russe en Ossétie du sud et en Abkhazie se trouve renforcée, on ne reconnaît pas « l’intégrité du territoire » que réclame la Géorgie et on négocie sur le futur de deux régions qui, rappelons-le, ont exprimé quasi-unanimement leur volonté d’indépendance en 1992.
Cependant, il faut aller tout de suite beaucoup plus loin. Il n’y aura pas de paix en Europe et dans le monde sans un nouvel ordre économique international rétablissant la priorité du travail humain et de l’équipement de la nature sur les capitaux fictifs des opérateurs financiers. C’est le Nouveau Bretton Woods pour lequel tant de personnes se battent depuis pratiquement la chute du mur de Berlin. L’aventure irresponsable d’un Président géorgien douteux, dont toute la carrière et celle de ses acolytes a été financée par George Soros et ses amis, ainsi que le coup d’arrêt russe, deviendrait ainsi l’occasion, puisque de tout mal doit sortir un bien supérieur, de revenir à une politique de paix par le développement mutuel.
Cependant, il faut être pleinement conscients que ceux qui fomentent la guerre ont entrepris une politique de déstabilisation à l’échelle mondiale, dépassant de loin la Géorgie : l’arc de crise part des opérations contre la Chine, notamment celle des Ouïghours, passe par le Pakistan et l’Afghanistan, atteint la Géorgie et tout le Caucase, frappe l’Iran et aboutit aux Balkans. C’est le vieil axe de guerre de l’Empire financier britannique, auquel une Présidence française digne de ce nom doit faire face.
Pas comme une chose en soi, mais en considérant, par rapport à cette déstabilisation, l’enjeu majeur de l’élection présidentielle américaine. En considérant, M. Sarkozy, que cette Amérique que vous dites aimer, et que je crois, vous aimez sincèrement pour bien des raisons, ne peut être ni celle d’un John McCain qui menace de bombarder l’Iran, entend écarter la Russie du G8 et a pour proche conseiller politique Randy Scheunemann, un va-t-en guerre qui était le lobbyste de Mikhaïl Saakachvili, ni celle de Barack Obama, qui est comme Mikhaïl Saakachvili, l’homme de George Soros et menace lui aussi la Russie du haut de son incompétence satisfaite, après avoir prononcé à Berlin un discours porteur de l’esprit de la guerre froide. Ces hommes sont des dangers pour leur pays. Serait-ce trop demander, M. Sarkozy, que vous réfléchissiez davantage à ce que représente M. Obama, avant de le couvrir de fleurs, et que vous mesuriez mieux le mouvement populaire qui se dessine là bas en faveur d’une autre politique, d’une vraie rupture avec l’ordre de Bush et de Cheney, avec lequel vous devriez faire preuve de plus de fermeté ? Suivez en tous cas de près la Convention démocrate de Denver, qui peut réserver bien des surprises.
Nous avons été nombreux à apprécier la façon dont vous avez remis M. Peter Mandelson à sa place. Vous êtes à votre meilleur quand vous ne prenez pas de gants, et que vous écoutez les conseils de ceux qui comprennent les enjeux de la paix et de la guerre. Soyez donc franc et direct avec M. Saakachvili, en comprenant tous les tenants et aboutissants du jeu de George Soros et de ceux qui tirent les fils londoniens de sa marionnette.
Il est temps que vous deveniez un Président d’envergure, et voilà que l’histoire vous en donne l’occasion. Commencez par dire à M. Saakachvili qu’il ne sent pas la rose et que vous, vous ferez tout ce qui est en votre pouvoir pour empêcher cette « nouvelle guerre mondiale » qu’il annonçait stupidement devoir se dérouler sur « notre terre » en mai dernier. A vous qui aimez la France et l’Amérique, je dirai qu’il est temps de penser comme Roosevelt et De Gaulle, cette fois pour éviter une nouvelle Grande guerre. Parfois, comme disait le poète allemand Friedrich Schiller du temps de la Révolution française, un grand moment de l’histoire échoit à un peuple petit. Se pourrait-il que cette fois, un homme de votre taille se grandisse à la mesure de son moment de l’Histoire ? Si le défi n’est pas relevé, les meilleurs se moqueront de vous et les pires vous maudiront de n’avoir pas été à la hauteur.