• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


Commentaire de Naja

sur L'élaboration des normes psychiatriques


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

Naja Naja 27 septembre 2008 12:56

Bonjour, 

En commentaire à ce très riche article, je voudrais revenir sur le parallèle fait entre l’inquisition et l’éradication de la pédocriminalité. Je ne remets pas en question les similitudes exposées ni leur pertinence mais j’entends insister sur les différences.
Entre autres en complément de la réponse apportée plus haut par l’auteur à une remarque de Philippe Renève. Je cite  : "Tout d’abord, il est très étonnant de voir, à propos des "pédophiles", qu’en deux ou trois décennies seulement, on soit passés d’une tolérance amusée envers le pépé qui tripotait les petites filles dans la cour à une répulsion très forte - je ne dis pas qu’elle est injustifiée - pour des délinquants abhorrés. Quel est le cheminement d’idées et médiatique qui a changé aussi vite "l’opinion publique" et pourquoi ?"

A l’auteur  : j’ai bien lu que vous annonciez clairement de quel côté vous vous placiez. Votre position démontre que l’on peut tout à fait condamner avec fermeté les actes pédocriminels sans pour autant se transformer en inquisiteur barbare et/ou liberticide. Merci pour cela.
J’espère que le paragraphe ci-dessous s’avèrera inutile aux lecteurs de votre article et des commentaires qui s’en suivent. Dans le doute, je me permets d’enfoncer certaines portes ouvertes. Ce à la lumière d’autres discussions et lectures... principalement votre ouvrage sur l’inceste. J’espère ne pas trop planer en le faisant.

---

L’anormalité de la pédocriminalité et celle de l’hérésie -ou hétérodoxie- se distinguent par leur nature. L’acte pédocriminel manifeste en soi une abomination qui est absente de la seule affirmation d’une non conformité à l’ordre établi. Non que les guerres de religions n’aient pas conduit à des atrocités, mais le simple fait de ne pas épouser la doctrine catholique n’est pas en soi une monstruosité. Violer des enfants si.
Je précise que je distingue ici clairement les fantasmes pédophiles des passages à l’acte. Si je qualifie l’acte de monstrueux (au sens d’innomable/indigne), je n’estime pas que le fantasme le soit. Et je ne considère pas pour autant ces criminels comme des monstres. Je les connais assez pour savoir combien ils nous ressemblent. Et je les sais aussi trop nombreux et trop bien intégrés à nos sociétés pour ne pas penser que les désigner ainsi serait une absurdité. Voilà donc des hommes qui, de fait, ne sont pas des monstres et qui pourtant commettent des actes que les autres hommes jugent monstrueux... il y a là un paradoxe sur lequel nous devrons bien finir par nous pencher. Et ce n’est effectivement pas en minimisant ces crimes ou en banalisant ce mal que nous pourrions le résoudre.
Les menaces que représentent ces deux déviances ne sont pas non plus du même ordre. Quand l’hérésie met en péril des dogmes religieux et la morale qui en découle, quand l’étrangeté ou la "folie" éprouvent le bien-fondé de nos normes... la pédocriminalité s’attaque à l’humanité en transgressant les tabous fondateurs de toute civilisation. Dois-je préciser que que cela ne saurait justifier la moindre barbarie à l’égard de ces criminels ? (Voilà qui est fait).

A ne pas garder à l’esprit ces distinctions, on peut être amené à penser que la condamnation morale de la pédocriminalité n’est qu’une question relative. Relative aux bonnes moeurs d’une époque. On pourra alors considérer que ces dernières ne sont pas meilleures ou pires que ne l’est toute doctrine. Si bien que la morale qui conduit à réprouver ces actes n’aurait pas plus de valeur ou de sens que n’en avait celle prônée par les extrémistes catholiques du temps de l’inquisition.
Un point de vue qui au fond revient à affirmer que les idéaux démocratiques sont dogmatiques. Il est vrai que quand on voit ce qui se commet au nom de la démocratie, il est tentant de réfuter d’un bloc la valeur de ses principes. Sauf qu’on peut commettre tout au nom de n’importe quoi, ou plutôt n’importe quoi au nom de ce qui nous sied.
A l’extrême de cette position relativiste, certains estimeront alors que condamner moralement la pédocriminalité s’apparente à une énième forme de prêche qui ne peut résulter qu’en oppression. Raisonnement pervers qui peut aller loin, pour peu qu’il s’adjoigne au déni. C’est ainsi que j’ai parfois lu que le signalement des pédocriminels avérés rappelait tristement les actes de délation sous le régime de Vichy. (Si si, je l’ai lu, et pas qu’une fois). Ca fait froid dans le dos...

---

Enfin, comme indiqué dans l’article, l’effroi et le dégoût suscités par la pédocriminalité comportent d’autres dimensions, au delà de la seule peur de l’inconnu. L’ampleur du phénomène et le silence qui l’entoure révèlent une profonde perte de sens de nos valeurs simplement humaines. Et cela nous renvoie à des questions pour le moins effrayantes. Retour au paradoxe souligné plus haut  :
Devons-nous intégrer à notre image de l’Homme cette part d’ignominie ou l’en exclure ? En tant que représentant de l’Humanité, porterions-nous tous en nous une potentielle "monstruosité" ? Comment s’en protéger (de soi-même et pour les autres) ? Nécessairement par des actes de pur exorcisme ? N’avons-nous pas la responsabilité d’assumer ce sombre pendant de notre humanité ? Il est plus rassurant de répondre "Oui, mais moi, je ne suis ni pédophile ni criminel, ça ne me concerne donc pas !". Oui, et ? Eux ne seraient pas des hommes alors ?
De vertigineuses interrogations qui facilitent d’autant l’instrumentalisation de nos peurs. Précisément parce que la mise en oeuvre de solutions purement répressives permettent de les éluder. C’est aussi cet escamotage qui rend la coercition si pernicieuse. 

C’est sur ces rassurantes considérations que je vous laisse...

 


Voir ce commentaire dans son contexte





Palmarès