Les autonomes ciblés
La police surveille depuis des mois la nébuleuse « anar ».
Fabrice Tassel Libération 12/11/2008
Ils sont quelques centaines, un millier au maximum, mais depuis quelques mois, ils mobilisent l’attention des services de police et de renseignement. La mouvance de l’ultra-gauche, « anarcho-autonome » selon la terminologie de Michèle Alliot-Marie, semble avoir repris du poil de la bête depuis la mobilisation anti-CPE, en 2006. D’autres mouvements comme les manifestations lycéennes en 2007 ou, la même année, l’opposition à la LRU (loi sur le statut de l’université) ont accéléré la création de petits groupes de militants plutôt jeunes. L’élection de Nicolas Sarkozy a, selon les spécialistes du sujet, accentué leur radicalisation. Selon le criminologue Alain Bauer, « cette résurgence d’une ultra-gauche radicale se fait sur le modèle du terrorisme de la période précédant Action directe. Il s’agit de groupes peu professionnalisés mais très présents sur le terrain. » Si les personnes interpellées hier sont toutes les auteurs des opérations des dernières semaines contre le réseau TGV, Alain Bauer estime qu’il « s’agit de montrer qu’elles peuvent réaliser des opérations groupées. C’est une sorte de test grandeur nature de leur capacité à frapper simultanément sur plusieurs points du territoire ».. Un des épisodes ayant le plus tendu les relations entre cette mouvance et les autorités s’est déroulé en janvier 2008. Lors d’une manifestation proche du centre de rétention administrative de Vincennes, trois hommes d’une trentaine d’années sont interpellés en possession de clous, de ruban adhésif, de produit allume-feu, ainsi que d’un sachet contenant 2,3 kilogrammes de poudre blanche. Analysée, celle-ci se révèle être un mélange très explosif de sucre et de chlorate de soude. Des documents d’inspiration anarchiste sont saisis à leur domicile. L’enquête est alors placée dans le champ du terrorisme, et les trois hommes écroués pendant plusieurs mois, ce qui provoque de forts remous dans la communauté « anar ».
Poudre blanche.
Quelques jours après ces arrestations, un homme de 23 ans est arrêté à un péage de Vierzon (Cher) lors d’un banal contrôle douanier. Lui aussi est détenteur d’un kilo de chlorate de soude et de documents expliquant la fabrication d’une bombe. L’homme était accompagné d’une femme de 27 ans dont l’ADN correspond à une empreinte relevée sur un engin explosif artisanal retrouvé sous une voiture de police garée devant le commissariat du XVIIIe arrondissement de Paris, le 2 mai 2007, quelques jours avant le second tour de l’élection présidentielle. Présenté par la police comme des membres de la mouvance ultra-gauche, ce couple a été mis en examen pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». En août 2007, la découverte de deux engins explosifs sur le campus d’HEC, sur lequel devait se rendre Nicolas Sarkozy pour l’université d’été du Medef, confirme que l’élection du chef de l’Etat n’est pas étrangère à certaines de ces actions.
« Emballement ».
C’est à cette époque, début 2008, que Michèle Alliot-Marie exprime publiquement son inquiétude : « L’affaiblissement à droite comme à gauche des partis politiques qui permettent d’exprimer les frustrations sociales se traduit, l’histoire de France et de ses voisins le montre, par l’apparition de mouvements radicaux et violents. » La ministre de l’Intérieur révèle alors que, depuis plusieurs mois, les antennes régionales des Renseignements généraux font « remonter » vers Paris toutes les informations sur des groupes d’inspiration anarchiste. Les ex-RG, rebaptisés Direction centrale du renseignement intérieur, ont ces derniers jours transmis aux policiers antiterroristes les renseignements ayant abouti aux interpellations d’hier. « Avec ce genre de groupe, le risque d’emballement est fort, estime Alain Bauer. Une opération réussie peut entraîner une radicalisation encore plus forte. » En juin, la chancellerie avait adressé aux parquets des consignes de fermeté en raison d’une « multiplication d’actions violentes attribuées à la mouvance anarcho-autonome », et la demande de se dessaisir de ces enquêtes au profit de la section antiterroriste de Paris. De fait, ces derniers mois ont été marqués par de nombreuses opérations de vandalisme, mais il est compliqué d’y lire une stratégie globale, et même de mettre des noms sur des groupes ou des leaders