C’est un argument classique, face à une mesure politique qu’on n’aime pas, que d’évoquer le spectre d’une dérive et déclarer par conséquent qu’il faut éviter de faire le premier pas, de peur de glisser et de se retrouver bientôt – par inadvertance - au 100e pas. Mais si la position juste est le 15e pas, il faut faire le premier, le deuxième et tout le chemin jusqu’à 15. Puis s’arrêter là. Pas avant, ni après. Act Up entretient délibérément la confusion entre les actes et le statut sérologique, mais comme le fait remarquer Zalka, personne ne s’est jamais retrouvé devant un tribunal parce ce que son test était positif. Et si cela devait arriver (peu vraisemblable en France), je serai du même côté qu’Act Up, puisque je pense – pour reprendre ma métaphore - que la position juste est le « 15e pas ». Vous saluez l’action de l’association car elle nous évite cette dérive (« le 100e pas »). Mais nous sommes dans la dérive inverse (« 1e pas »). Vivre dans un pays où l’on peut contaminer sciemment plusieurs partenaires, par la tromperie et la dissimulation, sans risquer grand-chose, est sans doute préférable à un pays où l’on pourrait se retrouver en prison à cause de la composition de son sang. Il vaut toujours mieux un coupable en liberté qu’un innocent en prison c’est vrai. Mais c’est injuste pour ceux qui font les frais de ces comportements irresponsables et destructeurs (Marie et les autres). Effectivement, je crois que lorsqu’on est séropositif et qu’on le sait, on a certains devoirs, certaines responsabilités qui sont plus grandes. C’est comme ça, et ce n’est pas négociable, même si cela peut paraître inique. On ne peut pas d’un côté exiger des médecins qu’ils vous donnent « des explications complètes sur toutes les procédures médicales et sur les risques qu’elles comportent », de pouvoir « choisir ou refuser les modalités des traitements qui leur sont proposés », et de « prendre des décisions pour leur vie en tout connaissance de cause » (principes de Denver) et de l’autre revendiquer le droit de pouvoir cacher des informations vitales à son partenaire pour l’empêcher de faire un choix éclairé et de veiller à sa santé. Et pourtant c’est ce que veut Act Up. On me dira que ce n’est pas la même chose, que les médecins sont des médecins, qu’ils doivent respecter le serment d’Hippocrate. Mais le serment d’Hippocrate n’est qu’une déclinaison déontologique de principes moraux universels. Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse. Ne nuit pas à autrui pour assouvir tes besoins sexuels. La décision de faire l’amour (et ses modalités) se prend à deux disent-ils. Oui, mais l’accord ne vaut que si les deux partenaires ont échangé des infos de base, notamment au niveau des MST. Sinon ça s’appelle de la tromperie, de la manipulation. Se faire manipuler n’est pas choisir librement. Pourtant, c’est ce que revendique Act Up : on ne doit pas mentir aux séropos, mais par contre les séropos ont le droit de tromper, mentir, manipuler, (voire produire des faux comme Tristan), pour accéder à leurs fins (coucher avec quelqu’un), même si cela implique de nuire gravement à la santé de ce partenaire et sans jamais risquer de procédure pénale.