Bonjour Philippe,
J’ai terminé votre livre hier et j’ai vraiment été impressionné par la quantité d’informations qu’il recèle. Quel beau travail vous avait fait là !
Jean-François Six, Dominicain spécialiste de St Thérèse et fondateur de l’IFM (Institut de Formation à la Médiation) aimait souvent à dire que seuls les pessimistes étaient capables de faire avancer le monde positivement. Il se méfiait énormément des optimistes parce que, disait-il, ils sont pétris d’idéaux et que les idéaux ont toujours fait mauvais ménage avec le réel. L’enfer est pavé de bonnes intentions… De Gaulle, qui était un grand pessimiste, aimait à rappeller : « L’histoire n’avance qu’à coups de boutoir ! »
J’ai aimé votre livre parce qu’il est pessimiste. Du vrai pessimisme : celui qui décrit le présent tel qu’il est… À partir de là -et seulement à partir de là- on peut tenter une prospective qui a des chances de tenir la route.
À la page 133 dans le paragraphe « Un nouveau paradigme » on sent poindre derrière vos mots une intuition sur le « merveilleux de la vie ». Ça m’a rappelé ce passage de Bernanos dont la fin, je pense, vous parlera beaucoup :
« Notre joie intérieure ne nous appartient pas... il faut que nous la donnions à mesure, que nous mourions vides, que nous mourions comme des nouveau-nés (…) avant de se réveiller, le seuil franchi, dans la douce pitié de Dieu, comme dans une aube fraîche et profonde.
J’aime la vie, la vie que les imbéciles parcourent à toute vitesse, sans prendre le temps de la regarder, la vie pleine de secrets admirables qu’elle met à la disposition de tous et que personne ne lui demande jamais. »
On peut raisonnablement dire que Teilhard de Chardin est le « prophète » d’Internet. Il avait déjà vu dans les tranchées de la Première Guerre, (ses premiers grands écrits datent de 1917 « Écrits du temps de la guerre ») que le monde s’en allait vers ce qu’il appelait « la prise ». Il pressentait que l’humanité toute entière était en train de "s’agglomérer" en un seul bloc sur toute la surface de la Terre et il a nommé cette nouvelle couche pensante et unifiée de l’humanité, la Noosphère.
Si vous avez le temps (et croyez-moi vous ne le perdrez pas !) peut-être pourriez-vous tenter de lire « Le phénomène humain ». Teilhard, en scientifique de renom (il était géologue et paléontologue), y démontre toute l’évolution de la matière vers l’Esprit. Toute la matière est tendue (et cela depuis le commencement de l’univers il y a 15 milliards d’années) vers la prise de conscience de sa propre existence, dont l’Homo Sapiens Sapiens (l’Homme qui pense qu’il pense apparu il y a de cela juste 35 000 ans), c’est à dire les Hommes modernes, nous, ne sont que les prémices.
Je ne saurais trop vous conseiller de commencer par la fin, c’est-à-dire du chapitre 3.3 « La terre moderne » et de revenir ensuite au début du livre. C’est-à-dire, en fait, de commencer par sa vision qu’il a du présent et de l’avenir pour ensuite comprendre sur quoi il a scientifiquement bâti cette vision par son étude du passé géologique et anthropologique. C’est fascinant !
Je ne vous le cache pas, cette lecture est difficile, il y a un vocabulaire à intégrer parce que Teilhard a été obligé d’inventer des mots nouveaux pour décrire ce qu’il voyait… Nous mettrons des siècles à intégrer ce nouveau paradigme qu’il a offert à notre esprit il y a de cela presque 100 ans maintenant.
On ne peut comprendre la révolution Internet et le monde aujourd’hui si l’on n’a pas asimilé, dans notre vision du réel, la dimension de la Noosphère. Tout l’univers, toute la matière, toute l’énergie humaine, le temps et l’espace sont traversés -par et dans le dedans des choses- par " un chant d’amour " chargé d’un sens et d’une intention. C’est complètement fou, mais c’est un des grands apports de la mécanique quantique que d’avoir révélé qu’il n’était pas absurde de conjecturer que le réel ultime était porteur d’une intention… ce que n’avait pas pu faire jusqu’à présent la physique classique. ici
Un des axiomes préférés de la physique quantique est : « La vérité ne peut s’atteindre que par un chemin radicalement relatif. » Tout un programme ! C’est ainsi que se termine votre livre :
« Ne suivez pas les routes toutes tracées.
Au contraire, allez là où il n’y a pas de route,
et commencez à creuser le chemin… »
J’ai beaucoup aimé cet aphorisme anonyme qui a pressenti que le chemin ne se parcourait pas mais qu’il se creusait. Oui, l’espace ne se parcourt pas, le temps ne se déroule pas du passé vers l’avenir, tous les deux se creusent par le dedans des choses... et par amour...
Cordialement
Alain