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Commentaire de Courouve

sur Signes distinctifs : chevaux de Troie ou besoins identitaires ?


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Senatus populusque (Courouve) Courouve 23 octobre 2006 16:33

Ce débat, un temps polarisé sur les adjectifs « ostentatoire », « visible » ou « ostensible », avant de retenir la « manifestation » de croyances religieuses, n’a pas tenu compte de ce qu’avec ce voile islamique, sorte de heaume textile composé de plusieurs pièces, parfois étendu, tel un uniforme, à l’ensemble du corps (burqa), ce n’est plus la personne qui porte un signe ou un insigne, mais au contraire le signe qui enveloppe et cache la personne.

De là les problèmes avec les photos d’identité ; comment identifier à coup sûr les élèves ou étudiantes et les candidates aux examens tels que le bac, contrôles continus et concours, avec ce voile à géométrie variable, qui commence parfois au ras des sourcils ?

Le sénateur centriste Nicolas About avait déposé une excellente proposition de loi pour régler ce problème d’identification des personnes sans stigmatiser personne. Elle n’a malheureusement pas été examinée par le Parlement. C’est cette légitime exigence d’identification des personnes qui fit demander au maire U.M.P. de Nogent-sur-Marne que les futures mariées soient découvertes lors de la cérémonie du mariage civil, et aux banques que les personnes se présentent tête nue à l’entrée, voire sans lunettes de soleil.

Le voile dans la rue et dans les transports publics reste gênant, car il modifie notre espace public traditionnel. En admettant que circulent dans nos rues des personnes non identifiables, des OVNI (objets voilés non identifiables), nous changerions de société.

B - Ce problème du voile comporte bien sûr plusieurs autres aspects :

Religion et laïcité : on a presque tout dit là-dessus, sauf le ridicule du Parti Socialiste à évoquer, dans des propositions de lois, des “signes philosophiques” que personne n’avait jamais vus ... La croyance religieuse, comme d’ailleurs la nature des préférences sexuelles, devrait rester dans le for intérieur. Ce rapprochement n’est pas artificiel, puisque les religions se sont essentiellement fait connaître, au cours des siècles, par leurs prescriptions autoritaires en matière sexuelle. D’où la conclusion que ni les associations religieuses d’étudiants, ni les associations féministes ou homosexuelles, n’ont leur place dans les locaux universitaires. Si cet espace d’enseignement (les lieux universitaires) doit être neutre, ce n’est pas par caprice laïcard, mais bien pour maintenir une possibilité d’enseigner efficacement un savoir objectif, à visée universelle, forme de savoir que les Grecs et Romains anciens nous ont léguée.

Comment étudier tranquillement si l’on avait désormais, dans la classe ou dans l’amphi, le « public » divisé en deux camps, comme au stade ?

Les lieux de prière ou de culte n’ont pas non plus leur place sur les campus universitaires (pas davantage que les saunas gays pour le culte du dieu latin Priape, mais qui n’y sont pas encore, à ma connaissance ...). Dans cette affaire du voile, l’aspect « prosélytisme », pression sur les « tièdes », doit évidemment être pris en compte. Précisons que l’on trouve effectivement, à plusieurs reprises, l’injonction du port du voile des femmes dans les sourates XXIV et XXXIII du Coran.

Nicolas Sarkozy trouve la loi de 1905 trop ancienne, usée, dépassée, vieillie, il voudrait la décaper. Mais si le temps faisait quelque chose à l’affaire, c’est par la plus ancienne Déclaration de 1789-91 qu’il faudrait commencer. On sait que depuis 1973 cette Déclaration fait partie du bloc de constitutionnalité (par décision du Conseil Constitutionnel). Et que dire de l’ancienneté de ces religions que nous vante Nicolas Sarkozy dans son avant-dernier livre ...

Trouble à l’ordre public, un peu partout, et partout de plus en plus : dans les hôpitaux, où des femmes voilées, accompagnées de leurs maris, demandent à être soignées à leur manière sexiste, avec agression de médecins ; certains nous ramènent au souvenir de l’époque des bonnes soeurs hospitalières ... mais elles n’ont jamais été associées, de près ou de loin, à un quelconque terrorisme catholique ... Si l’islam fait peur, il y est pour quelque chose. L’islam dérange car ses pratiques religieuses entrent progressivement en conflit avec notre mode de vie. Il y a communautarisation des commerces généralistes, quand certains magasins arrêtent, pour tous leurs clients, la vente d’alcool pendant le mois du Ramadan, quand les boucheries « hallal » ou les rayons « hallal » dans les supermarchés se répandent et renforcent le communautarisme de séparation.

Il y a une difficulté, que soulevent les islamistes. L’article 10 de la Charte Européenne des droits fondamentaux (Traité de Nice, décembre 2000) dispose : « Ce droit [à la liberté de pensée, de conscience et de religion] implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public [souligné par Cl. C.] ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites [souligné par Cl. C.]. » Cet article suit de très près l’art. 18 de la Déclaration universelle de 1948 (ONU) et l’art. 9 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (Conseil de l’Europe). Or l’autorité des traités en droit français est supérieure à celle des lois ; l’art. 55 de la Constitution de 1958 dispose en effet : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie. » Cette disposition s’applique aux lois postérieures aussi bien qu’antérieures aux traités, mais il revient en général au Conseil d’État et à la Cour de cassation de la faire appliquer. Le traité de la Constitution européenne reprenait « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites » (partie II, article II-70) ; selon le Conseil constitutionnel, cette disposition serait à interpréter par chaque pays selon ses traditons nationales, une large marge d’appréciation étant laissée aux États par la Cour européenne des droits de l’homme.

L’avis du Conseil Constitutionnel n’a pas été sollicité par ceux qui en avaient le pouvoir, et la loi 2004-228 du 15 mars 2004 a été publiée au J.O. du 17 mars. L’avenir nous dira si cette loi, qui a résisté au chantage des preneurs d’otages, pourra être appliquée compte tenu de nos engagements internationaux, et au cas où elle ne serait pas, quelles seront alors les solutions juridiques appropriées


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