Voici un texte d’un écrivain guadeloupéen Ernest Pépin plein de réalisme
Comme de nombreux Guadeloupéens, je suis fasciné par cet homme qui
> a réussi à faire entrer un noir à la maison blanche. Les
> commentaires élogieux pleuvent de partout. C’est l’état de grâce
> bien mérité. Pourtant une petite voix me souffle : et nous ?
>
> Et nous guadeloupéens qu’avons-nous fait ? Que faisons-nous ? Que
> ferons-nous ?
>
> Passé les brûlures de l’esclavage, passé les interminables débats
> sur l’identité, passés négritude et créolité, comment devons-nous
> aborder le XXIème siècle dans une perspective qui soit la notre.
>
> Je ne renie aucune parcelle de mon passé et je suis solidaire de
> tous les combats que nous avons menés mais je voudrais me
> positionner résolument dans l’avenir.
>
> Nous sommes un petit pays. Une petite lèche de terre peuplée
> seulement de 400.000 habitants et pour le moment nous sommes hors-
> jeu dans notre présent et presque condamné à quémander l’avenir à
> ceux qui nous gouvernent. Chacun y va de sa chanson, de son
> parcours, de ses rêves. C’est précisément cela qui nous manque :
> une chanson commune, un parcours commun, un rêve commun. Peut-être
> avons-nous besoin de savoir ce qu’est une société. Je veux dire une
> entité sociale, économique, politique, culturelle dont les rouages
> s’articulent dans un système cohérent et efficace.
>
> Je constate que nous sommes une somme de revendications syndicales
> obsessionnellement tournées vers les questions salariales, le
> maintien des avantages acquis, la guerre contre le patronat etc. Et
> ceci nous condamne à des postures agressives ou impuissantes. Plus
> grave, agressives ET impuissantes. Ce ne sont pas les miettes
> lâchées ici ou là qui vont changer la donne en l’absence de tout
> projet viable.
>
> Je constate que nous nous noyons dans le puits de la consommation.
> Les panneaux publicitaires fleurissent. Les voitures de luxe
> encombrent les routes. Les gadgets de toutes sortes tiennent lieu
> d’accès à la modernité. La modernité est un mot terrible. Cela
> fonctionne comme une machine à broyer le passé, la culture
> (reléguée au rang de tradition !), les manières de penser, de faire
> et de vivre. Nous voulons être en première classe sans nous soucier
> de la destination du train.
>
> Moi, j’ai envie de crier : construisons les rails, construisons le
> train, construisons la gare.
>
> Nous avons le choix entre trois options :
>
> - Laisser rouler les choses au risque de se perdre.
> - Devenir indépendant au risque de s’appauvrir ;
> - Tenter une autonomie au risque de se faire gruger.
>
> Il y a toujours un risque ! C’est là notre douleur et c’est là
> notre lâcheté. En réalité, je crois qu’il faut reformuler un projet
> guadeloupéen en toute responsabilité et en toute lucidité.
>
> Qu’est-ce à dire,
>
> Définir (redéfinir) quelle peut-être notre fonction économique,
> sociale, politique et culturelle. Et surtout définir (redéfinir)
> notre relation à la France et à l’Europe pour sortir de
> l’assistanat (cette mendicité de droit) et de l’infantilisation (ce
> légitime impôt prélevé par les bailleurs de fonds). Il faut donc
> commencer par nous définir nous-mêmes en ayant le courage et
> l’humilité d’éviter les postures victimaires ou héroïques, les
> positions dogmatiques, les immobilités conservatrices, les impasses
> de l’idéologie et le suivisme soi-disant moderniste. Cela fait
> beaucoup de contraintes mais la lucidité est à ce prix.
>
> - Nous sommes, le plus souvent, de piètres chefs d’entreprise.
> - Nous sommes le plus souvent des petits tas d’égoïsmes et au mieux
> des petites bandes de corporatismes.
> - Nous sommes, le plus souvent, de mauvais maris, de mauvaises
> épouses et pour finir de mauvaises familles.
> - Nous sommes, le plus souvent, une société violente au niveau des
> individus et au niveau du collectif.
> - Nous sommes le plus souvent des viveurs au jour le jour, des
> jouisseurs inconséquents. Toutes les industries du loisir le
> savent : boite de nuit, sex-shop, déjeuner champêtre, hôtels, Midi-
> minuit. Etc.
> - Nous sommes le plus souvent des travailleurs toujours en grève,
> en congé, en dissidence, en ruse et en laxisme.
> - Nous sommes le plus souvent abonnés à la seule culture populaire,
> oublieux de la culture du monde et trop matérialiste pour
> comprendre qu’un poème, qu’un roman, qu’un tableau, qu’une chanson,
> qu’une pièce de théâtre, etc. ne sont ni des divertissements ni des
> exutoires mais des problématiques d’un autre possible de nous et du
> monde.
> - Nous sommes le plus souvent une insociété comme on dit une
> incivilité.
> Et avec ça toujours empressé de nous comparer à la France comme si
> le monde entier, les seuls modèles, les repères absolus
> appartenaient à une France en crise depuis longtemps.
>
> Nous regardons de haut la Caraïbe et nous ignorons les Amériques.
> C’est pourtant selon la formule consacrée notre environnement
> naturel. Alors que nous sommes si riches de l’argent des autres !
>
> Il est de bon ton de dire qu’il ne faut pas diaboliser la
> Guadeloupe, qu’il ne faut pas se flageller et qu’il faut positiver.
> Toute critique est assimilé à une trahison ou à du vomi. Posons-
> nous la question qu’est-ce qui est positivable ?
>
> Une jeunesse aux abois !
> Des citoyens irresponsables !
> Des personnes âgées de plus en plus isolées !
> Un nombre grandissant d’exclus !
> Un pouvoir local sans vision !
> Des intellectuels bâillonnés par la proximité !
> Des artistes impécunieux et subventionnés !
> De grandes messes jubilatoires !
> Une impuissance économique chronique !
> Un tourisme impensé !
> Des rapports de classe et de race viciés par le passé !
>
> J’aime la Guadeloupe, mais je crois qu’il faut lui dire ses quatre
> vérités. Pas de presse capable de conscientiser ! Pas d’émissions
> éducatives et formatrices ! Une université trop extravertie. Un
> artisanat désuet. Une langue créole qui fout le camp ! Nous le
> disons entre nous, en petits comités. Nous le chuchotons mais nous
> avons honte de le crier en public. Comme dit Franky, c’est la vie
> en rose ! Césaire l’a écrit : « un paradis absurdement raté ».
> Maryse Condé l’a craché : la Guadeloupe n’est pas un paradis ! Et
> nous sommes là plein de rancœurs rancies, pleins de rêves non
> muris, admirateurs des autres, ébahis devant notre moindre
> prestation d’humanité, toujours dans la logique du rachat. Ah nos
> sportifs ! Au nom de quoi, le fait d’être guadeloupéen fait d’un
> exploit sportif un miracle ? A moins de douter de soi et d’estimer
> inconsciemment que nous n’avons pas droit à l’excellence.
>
> Et c’est la première leçon que je tire d’Obama : le droit au droit
> à l’excellence.
>
> La deuxième étant de casser, de répudier tous les discours qui
> obstruent l’horizon : la race, konplo a neg sé konplo a chien ! Nou
> sé neg ! le fandtyou ! Cette moquerie permanente de tous ceux qui
> tentent, qui osent et même parfois qui font. Etc.… Cette mise en
> dérision de nous-mêmes !
>
> La troisième étant de doter la Guadeloupe d’un vouloir collectif
> qui transcende les différences, les rancunes, les sottes
> compétitions, les querelles idéologiques, les xénophobies, les
> nombrilismes, les chauvinismes à bon marché.
>
> La quatrième étant de miser sur l’intelligence, toutes les formes
> d’intelligence, pour élever le débat au-dessus des querelles de
> personnes.
>
> La cinquième d’assumer notre histoire, toute notre histoire, par
> nous, pour nous, sans mendoyer une reconnaissance que nous ne nous
> octroyons pas très souvent. C’est de nous-mêmes, de notre énergie,
> de notre créativité, de nos talents, de nos forces, de notre
> rigueur, de notre respect pour nous-mêmes que viendra la
> reconnaissance et non de telles ou telles victoires plus
> symboliques que réelles.
>