Messieurs,
Je ne me pose pas en victime, mais quand mon intégrité journalistique est en cause, vous comprendrez que pour un journaliste indépendant avec 30 ans de carrière derrière lui, c’est un peu embarrassant.
Je me devais de réagir.
Aussi, je n’ai jamais prétendu être le seul journaliste à avoir travaillé sur ce dossier, loin de là. Dans une enquête comme celle-ci il y a beaucoup de travail en amont, comme la compilation de tout ce qui a été écrit, filmé et dit. J’ai donc pu connaître le travail de mes confrères sur le sujet depuis 1995.
J’ai simplement expliqué avoir été le seul à y avoir mis le temps nécessaire pour comprendre les évènements, rencontrer les personnages clés de l’affaire, d’analyser les comportements, les recouper et raconter. Mais surtout de savoir ce qui s’est passé à Djibouti avant, pendant et après la mort du magistrat en Octobre 1995. Dans les affaires criminelles, les premiers éléments de l’enquête de police, les premiers témoignages sont, par expérience, toujours importants, parfois essentiels. Et ceci n’a pas été facile dans un pays qui était à priori hostile à toute intrusion journalistique de français dans cette affaire. Cette situation s’est aussi reproduite en France où des fonctionnaires témoins indirects du drame et leurs subordonnés se voyaient accusés à outrance par des tiers d’être impliqués dans un vaste complot politico-militaire destiné à couvrir l’assassinat d’un magistrat dans le pays qu’ils servaient. Brandissant le respect du secret de l’instruction et le devoir de réserve, je me voyais refusé à toute demande d’entretien.
Tout cela a pris du temps.
Ceci dit, puisque vous me prêtez une "lecture diplomatique" à cette affaire, je me permets de vous rappeler que l’assassinat d’un magistrat par les dirigeants d’un État étranger est un acte extrêmement grave qui frôle l’acte de guerre. Et c’est dans ce sens que l’ont apprécié d’ailleurs les juges qui ont instruit cette affaire, en particulier les premiers dont vous faites référence. En France, les juges ne sont pas assassinés tous les jours, surtout quand il n’existe pas de mobile sérieux : les juges Michel et Renaud ont été abattus par ce qu’ils s’étaient attaqués aux mafias liées au trafic de drogue. On aurait pu toujours raconter qu’ils avaient été éliminés par les services secrets français car leurs enquêtes allaient remonter jusqu’à eux. Car c’est bien connu, les services secrets financent leurs coups tordus avec de l’argent noir provenant du trafic de drogue pour ne pas laisser de traces !
Plus sérieusement, serait-ce simplement envisageable que le Président de la République Jacques Chirac au nom des intérêts supérieurs de l’État, les intérêts stratégiques, diplomatiques et militaires de la France à Djibouti ait choisi de "couvrir" un chef d’État étranger, sachant pertinemment que ce dernier était responsable de l’assassinat dans des conditions effroyables d’un magistrat français, laissant une veuve et deux enfants en bas âge ? Et qu’il ait lancé ses conseillers et ses diplomates dans un vaste complot les obligeant à cacher, mentir, épier, conspirer et comploter pour faire oublier cette affaire, d’enrayer les investigations de 4 juges d’instruction indépendants et de systématiquement faire obstruction à la justice et d’entraîner aussi des juges instructeurs et la brigade criminelle dans ces mensonges ?
Puis d’impliquer la hiérarchie de 4 Ministères à Paris, ainsi que leurs représentants à Djibouti et leurs épouses qui étaient pour beaucoup, des amis du couple Borrel.
Dois-je vous rappeler puisque vous avez une parfaite connaissance du dossier- contrairement à moi-, que la Juge Sophie Clément en charge aujourd’hui du dossier et qui a fait savoir en juin 2007 que l’instruction s’orientait aujourd’hui vers un assassinat et non un suicide, n’avait-elle pas aussi expliqué n’avoir jamais subi de pressions de qui se soit et encore moins de l’exécutif ? Le Président en total respect de la séparation des pouvoirs a laissé la justice travailler. Et ne s’est jamais exprimé à ce sujet comme sa fonction l’exige, ce qu’il lui a valu toutes les insinuations rocambolesques que l’on entend aujourd’hui.
Ne pensez-vous pas finalement qu’il aurait été plus facile de rapatrier nos ressortissants -comme cela a été le cas au Rwanda et en Côte d’Ivoire- et de rompre avec un pays responsable d’un acte gravissime que représente l’assassinat d’un magistrat détaché ? Un pays qui je vous le rappelle a un besoin vital de notre présence militaire, et de la coopération.
De toutes façons, vous apprécierez aujourd’hui qu’il s’agissait d’un très mauvais calcul de la part du président de la République puisque l’influence des États-Unis a largement dépassé celle de notre pays et que les contrats de grands travaux et chantiers de développement, services etc. ont été remportés par des pays autres que la France,
Et que notre présence économique est aujourd’hui quasiment nulle, si ce n’est la fréquentation par nos militaires des cafés, restaurants et bars à filles qui pullulent dans cette ville de garnison.
D’autre part, il est vrai que je n’ai jamais interviewé Madame Borrel ou ses avocats. C’est moins vrai pour le procureur de Paris, Jean Claude Marin. Normal, me direz-vous, il fait aussi partie du complot.
Par contre j’ai assisté à sa première conférence de presse lors de la présentation du film de Bernard Nicolas, ainsi qu’à des débats à travers la France lors de la sortie du livre.
À force de multiplier pendant 14 ans interviews, conférences de presse, films, je connaissais parfaitement la version de Madame Borrel ainsi que les éléments du dossier qu’elle communiquait pour appuyer ses accusations. Et pour tout dire, au départ je pensais que Bernard Borrel pouvait après tout avoir éliminé par les djiboutiens. Puis c’est en vérifiant certaines affirmations que je me suis aperçu qu’il y avait des choses qui ne collaient pas.
Puis il y a eu son livre, co-écrit avec le journaliste Bernard Nicolas que j’ai confronté à ma suggestion dans une émission en direct sur la chaîne 24h, le jour où Madame Borrel était reçue par Nicolas Sarkozy à l’Élysée. Je n’ai jamais vécu une telle expérience où un confrère survolté s’en ai pris violemment à moi et à mes méthodes journalistiques parce que j’osais contredire sa version. Je savais trop bien que toute contradiction, ou question par exemple sur l’état psychologique du juge Borrel les semaines qui ont précédé son décès me valaient les foudres de Madame Borrel, comme je l’ai constaté personnellement au début de mon enquête lors d’un coup de fil anodin. J’ai vu aussi comment un journaliste de télévision a subi une pression insensée lors de la diffusion de son sujet sur 7 à 8 qui explorait les deux thèses comme on l’attend d’un journaliste digne de ce nom. Même chose pour un journaliste djiboutien qui avait osé demander lors d’une conférence de presse des renseignements sur les lettres et l’argent laissées par le magistrat quelques heures avant sa mort.
Aujourd’hui le dossier d’assassinat ne tient que par deux éléments : le témoignage de deux exilés djiboutiens, et les expertises médico-légales effectuées 7 ans après les faits par un collège d’experts franco-suisse encadré par le responsable de l’Institut de Criminologie de Lausanne.
Pour les premiers, j’ai retracé leur vie et leur carrière militaire, ainsi que la genèse de leur témoignage. En me renseignant sur le premier d’entre eux, je n’ai pas mis longtemps avant de vérifier qu’il était décidément un bien curieux personnage. Aussi, je trouvais étrange que ce déserteur de l’armée djiboutienne, écarté de la Garde Présidentielle pour un chapelet de forfaits commis à Djibouti, avait fait une demande d’asile en France à son arrivée à Roissy sans parler de Borrel, ce qui l’aurait certainement aidé à obtenir le statut de réfugié politique qui lui sera d’ailleurs refusé. Ce ne sera que 3 mois plus tard en Belgique qu’il parlera pour la première fois de ce qu’il avait vu et entendu au Palais Présidentiel, mais en donnant des versions différentes. Son témoignage sera le point de départ de l’affaire d’État.
En ce qui concerne les conclusions des experts, elles me paraissaient quelque peu hâtives et orientées car ceux-ci avaient ignoré des éléments importants et facilement décelables lors de leur transport de justice à Djibouti. Non pas qu’ils se trompaient mais avaient tout simplement ignoré un témoignage capital de la personne qui s’occupait des vacations funéraires à Djibouti. Et ne s’étaient même pas posé la question de savoir comment la dépouille du magistrat avait été remontée du ravin escarpé où il avait été retrouvé.
Je fus surpris d’apprendre que le responsable de ce collège d’experts était le même spécialiste engagé par le milliardaire égyptien Mohamed Al Fayed quelques jours après l’accident qui avait coûté la vie à son fils Dodi et à la princesse Diana. Le même qui affirmera que le sang du chauffeur prélevé par Dominique Leconte la directrice de l’Institut médico-légal de Paris, en présence d’un officier de la brigade Criminelle, avait été confondu avec celui d’une autre personne !
Encore et toujours le « conspirationisme »…
30/03 16:29 - primo levi
Désolé pour l’humour cher monsieur, mais un homme de loi n’en a pas toujours...si (...)
30/03 12:34 - Chris Laffaille
Je ne me rabaisserai pas à réagir à vos piques perfides et à vos insinuations à l’humour (...)
30/03 10:11 - primo levi
Enquêter n’est pas un crime certes, et M.Lafaille a tout à fait le droit de le faire ; (...)
29/03 23:22 - Chris Laffaille
Messieurs, Je ne me pose pas en victime, mais quand mon intégrité journalistique est en (...)
29/03 15:23 - hubert
@chris lafaille, Se poser en victime dans une affaire criminelle, simplement pour avoir été (...)
28/03 19:54 - primo levi
Me Lafaille a-t-il rencontré Mme Borrel, ses avocats, le Procureur de la République de Paris, (...)
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