• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


Commentaire de claude

sur Les Roms : un gibier européen ?


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

claude claude 25 avril 2009 19:40

oups !

y’a un bug sur le texte de rené girard ! je le remets.

Tout le monde connaît le mécanisme du « bouc émissaire » qui consiste à accuser un individu ou un groupe minoritaire d’être à l’origine des maux dont peut souffrir la société dans son ensemble. A priori, tout le monde s’accorde à dire que c’est dangereux et injuste mais le mécanisme ne cesse de se reproduire en changeant de forme et de victime. Aurait-il une fonction régulatrice si primordiale que les communautés ne puissent pas s’en passer ?


Pour René Girard [1], au commencement de toute société, il y a la violence. Pour lui, cette violence est fondée sur le désir mimétique, c’est à dire l’imitation : nous ne désirons que ce que l’autre désire. Girard explique notamment que le moteur des choix que nous faisons dans le cadre de la société de consommation est ce besoin d’imitation qui nous désigne ce que nous devons désirer ou non. La globalisation amplifiant bien évidemment ce phénomène. Ce désir mimétique serait à l’origine d’un cycle infernal produit par l’escalade du désir concentré sur un même objet causant un antagonisme contagieux et délétère. En outre, le mimétisme questionne la singularité des êtres et peut déstabiliser quelque peu la construction identitaire.


Par ailleurs, Girard explique que l’ordre social est fondé sur la différence, à chacun sa place, sa fonction. Le désir mimétique met à mal cet ordre social : lorsqu’un certain seuil d’indifférenciation est atteint, il conduit à la violence et menace de détruire le groupe, la société. Pour l’auteur, la société moderne vit une crise d’indifférenciation généralisée  : fin de la différence entre les peuples, les classes, les rôles, les sexes... La question fondamentale qui se présente donc à toute société est de canaliser le désir mimétique et la violence qu’il entraîne. C’est la que le bouc émissaire va jouer son rôle. Il va permettre de transformer cette violence auto-destructrice de « tous contre tous » en une violence de « tous contre un » fondatrice d’un nouvel ordre et d’une paix sociale. Le sacrifice du bouc émissaire va arrêter la crise.


L’idée de sacrifice implique qu’il y ait un minimum de ritualisation de l’acte. Il ne s’agit pas d’une violence barbare et chaotique mais d’une violence qui revêt un caractère à la fois ponctuel et légal. Cette violence doit paraître légitime à la majorité de la communauté pour qu’elle produise son effet de catharsis des pulsions agressives. Dans nos sociétés modernes, ce sont les règles normatives et l’institution judiciaire qui vont être le moyen le plus efficace de légitimation de cette violence : si c’est la loi, cela doit certainement être juste... La fonction de cette ritualisation de la violence est la reconduction des règles de différenciation.


Afin d’expulser cette violence intestine, le bouc émissaire doit correspondre à certains critères. Premièrement, il faut que la victime soit à la fois assez distante du groupe pour pouvoir être sacrifiée sans que chacun ne se sente visé par cette brutalité et en même temps assez proche pour qu’un lien cathartique puisse s’établir (on ne peut expulser que le mal qui est en nous...). Aussi, le véritable bouc émissaire de la tradition hébraïque est à la fois différent par sa qualité d’animal et semblable par son caractère domestiqué. Deuxièmement, il faut que le groupe ignore que la victime est innocente sous peine de neutraliser les effets du processus. Troisièmement, le bouc émissaire présente souvent des qualités extrêmes : richesse ou pauvreté, beauté ou laideur, vice ou vertu, force ou faiblesse. Enfin, la victime doit être en partie consentante afin de transformer le délire de persécution en vérité consensuelle.


Au cours de l’Histoire des hommes, les exemples ne manquent pas d’atrocités qui furent perpétrées selon le processus décrit ci-avant, un des paroxysmes étant ce que l’on a appelé la Shoah. L’Allemagne nazie s’est notamment construite sur l’idée que toutes les souffrances que son peuple devait endurer depuis la fin de la première guerre mondiale étaient dues à un complot planétaire dont les Juifs étaient les principaux instigateurs.

Dans l’entre deux guerres, l’Allemagne est le théâtre d’une crise économique grave, de tensions sociales exacerbées et de débordements de violence qui mènent le pays au bord de la guerre civile. Dans ce contexte, cette violence intestine va être redirigée vers des boucs émissaires tels que les homosexuels, les communistes, les Tsiganes et vers les Juifs. Ainsi, ces derniers sont à la fois pareils (Allemands, Polonais, Hongrois, Français,...) et différents de par leur judaïté, la propagande nazie leur attribue des qualités extrêmes telles que la cupidité et la malignité (les opposant ainsi à la prétendue race aryenne supérieure), cette même propagande conforte la population allemande dans l’idée que les Juifs ne peuvent par définition pas être innocents. Quant au consentement partiel des victimes, cette condition ne joue pas quand on atteint un tel degré d’horreur et de barbarie indicibles : un génocide. Ici, la violence est légitimée par un racisme d’Etat : violence encadrée, méthodique, industrielle. Le mécanisme du bouc émissaire est au cœur de la déshumanisation.


Le cas de la Shoah, par son extrême « exemplarité », nous avertit des dangers du racisme, de la haine et des dynamiques qu’ils engendrent. Mais le risque existe de considérer que c’est une histoire tellement atroce qu’elle nous paraît venir d’une époque désormais révolue et qui ne nous concerne plus directement. Or, si l’époque est bel et bien différente, les processus de désignation du « coupable » semblent être, toutes proportions gardées, les mêmes.


En effet, plusieurs événements socialement acceptés à notre époque semblent avoir la même « architecture ». En Belgique, la politique d’immigration qui autorise les centres fermés et les expulsions est assez édifiante en la matière. Ainsi, quel peut être l’intérêt pour l’Etat belge d’investir des moyens financiers disproportionnés pour l’expulsion manu-militari d’étrangers frappés d’un ordre de quitter le territoire ? Pour répondre à cette interrogation, il est intéressant d’utiliser la grille de lecture fournie par Girard. Dans un contexte que crise d’indifférenciation généralisée, l’expulsion de l’étranger « illégal » semble d’abord avoir une portée symbolique.
En effet, tant que les richesses mondiales seront réparties aussi inégalement qu’aujourd’hui, l’immigration sera un fait que les expulsions ne pourront que ralentir. Faute de pouvoir stopper l’immigration, ces mesures d’ « éloignement du territoire » ont pour principale conséquence d’aboutir à une certaine criminalisation de l’étranger. Les immigrés perdent leur qualité d’Homme pour devenir des « illégaux », comme s’ils étaient intrinsèquement hors-la-loi...foncièrement différents... Ceci répond donc au besoin de différentiation exprimé par Girard. Il semblerait donc intolérable que tout le monde puisse avoir les même droits. Quel serait encore la raison d’être d’un état-nation si tous les étrangers qui vivent sur son territoire ont les mêmes droits que les nationaux ?
La communauté « belge » n’aurait plus de raison d’être.

Ainsi, le racisme et la discrimination interviennent quand l’intégration est achevée ou est en cours. C’est quand il y a plus de ressemblances que de différences que ces dernières sont mises en exergue, notamment par le racisme. Dans une société « multiculturelle » où l’identité nationale est en crise (en recomposition), la fonction de l’expulsion de l’étranger serait d’envoyer un message apaisant : « Oui, il existe encore des différences, un dedans et un dehors ». L’illégal expulsé serait alors rédempteur d’une société désireuse de racheter sa faute : avoir mis l’ « homogénéité » du groupe en péril par le fait migratoire. La « double peine » a la même fonction : une peine de prison pour la faute individuelle et une expulsion pour que la société se dédouane totalement. Ici, l’effet cathartique est d’autant plus fort si l’étranger est né en Belgique où y vit depuis longtemps : à la fois proche et différent, certainement coupable puisque condamné, le renvoyer dans son « pays d’origine » c’est apaiser les tensions internes de la société en affirmant qu’il n’« était pas des nôtres ». Enfin, dans cette même optique, on pourrait également affirmer que les jeunes filles exclues de leur école parce qu’elles portent un foulard islamique sont les boucs émissaires d’un système scolaire défaillant et générateur de violence qui refuse de se remettre en question.


En conclusion, il semble clair que notre société a tendance à apaiser ses tensions internes en jetant l’anathème sur des boucs-émissaires désignés. Les immigrés, leurs descendants et les étrangers sont les figures classiques et idéales du bouc émissaire. Ces mécanismes de désignation du coupable ont comme inévitable corollaire le développement des racismes interpersonnel et institutionnel. L’Histoire nous a montré à maint reprises combien ce processus est pervers et dangereux. Il peut entraîner les hommes dans une spirale de violence ô combien mortifère. Cela est très inquiétant si l’on considère que Girard semble affirmer que c’est un mécanisme « normal » de résolution des tensions, que les sociétés ont depuis toujours fonctionné de la sorte. Dès lors, il est délicat de répondre à la question de départ : « Les communautés peuvent-elles s’en passer ? ». Malheureusement, cette inquiétante interrogation reste en suspend. Toutefois, une lueur d’espoir pointe sur le constat plutôt pessimiste : pour Girard, une dernière condition pour que le mécanisme du bouc émissaire fonctionne est qu’il doit rester caché. Dès lors, pour lutter contre ce procédé injuste et le racisme qui en découle, il est du devoir de toute personne conscientisée de les dénoncer, de faire la lumière sur les falsifications de la vérité, de combattre toute forme de haine et de stigmatisation sous peine de voir la barbarie marquer à nouveau l’Histoire humaine de son empreinte !


[1] René GIRARD : philosophe, archiviste, paléographe, professeur de littérature française. A notamment écrit : « La violence et le sacré », Grasset, 1972, Paris et « Le bouc émissaire », Grasset, 1982, Paris. Toutes les informations à propos de René Girard et son œuvre sont issues des articles publiés sur les pages web suivantes  :
  http://www.philo5.com/Les%20vrais%20penseurs/24%20-%20Rene%20Girard.htm
  http://www.philophil.com/dissertation/autrui/1_bouc_emissaire.htm
  http://home.nordnet.fr/ jpkornobis/Girard/frontiere1a.html
  http://home.nordnet.fr/ jpkornobis/Girard/TextesGirard1.htm
  http://polaristo.com/jfpelletier/doctorat/047.htm ainsi que de l’article : « Le bouc émissaire », Marie-Claude Lavallée in Vies à vies, volume 13, numéro 4, Mars 2001, Université de Montréal, Québec.


Voir ce commentaire dans son contexte





Palmarès