par JACQUES-FRANCOIS BONALDI :
20 mai 2009
Chaque fois que je place un texte sur des sites comme AgoraVox (pas souvent, je n’y sévis guère, justement pour la même raison qui me fait reprendre la plume), je ne cesse de m’étonner des réactions des « lecteurs » (entre guillemets, oui, parce que le problème, c’est que ces gens, comme chantait Jacques Brel, « ne lisent pas, monsieur »… ou alors ils lisent fortement biaisé) : mes textes sont argumentés, reposent sur des documents solides et incontournables, je parle en quelque sorte en connaissance de cause et preuves à l’appui, et je n’ai pourtant droit le plus souvent qu’à des réactions épidermiques, comme la vôtre, monsieur Julius.
Ainsi donc, la quantité de gens et d’institutions, tous et toutes des plus honorables, puisqu’on y compte, entre autres, nombre de Prix Nobels et les organisations d’avocats et de juristes les plus prestigieuses des États-Unis, sans parler d’organes du monde entier, plus la troïka de la cour d’Appel d’Atlanta et le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, tout ceci donc (je vous renvoie à la liste – incomplète – de ceux et celles qui soutiennent la requête des avocats des Cinq à la Cour suprême des États-Unis pour qu’elle réexamine leur cas du simple point de vue légal et de jurisprudence, sur la forme, par conséquent, non sur le fond : coupables ou non, ils n’ont pas eu droit à un « procès juste et impartial » compte tenu de l’endroit – Miami – où il s’est déroulé, des agissements du procureur et de la composition du jury), tout ceci est pour vous « propagande castriste » ! Vous avouerez que votre contre-argument est bien léger !!!!
Vous nous balancez par ailleurs comme une vérité d’évangile que les Cinq ont été condamnés pour espionnage et qu’ils ont reconnu être des espions. Là encore, vous vous (et nous) trompez.
Ils ont en effet été condamnés pour « espionnage », mais, ce qui est tout à fait différent, ils N’étaient PAS des espions. Et ce n’est pas là de ma part un jeu de mots : la justice n’est pas forcément juste, et, comme l’Histoire le prouve, vous pouvez être condamné sans être coupable.
Le ministère public étasunien a présenté contre eux un total de 26 chefs d’accusation, dont 24 étaient relativement mineurs et de caractère plutôt technique, et dont les Cinq n’ont reconnu que deux : ne s’être pas inscrits comme « agents d’une puissance étrangère » et avoir, pour trois d’entre eux n’ayant pas la nationalité étasunienne, utilisé une « fausse identité »… Des accusations passibles d’une peine maxima de cinq ans de prison. Par rapport à ces deux chefs d’accusation, les Cinq et leurs avocats ont fait valoir à titre d’arguments ce qu’on appelle en droit étasunien (le « common law » anglo-saxon, différent du droit romain) la « défense par nécessité », en quelque sorte l’équivalent du « cas de force majeure » : si vous voulez vous infiltrer dans des organisations terroristes au péril de votre vie et si vous désirez par exemple éviter qu’elles prennent des représailles contre votre famille, il est évidemment plus prudent de ne pas arborer votre véritable identité, ce que vous permet justement la « défense par nécessité », en vertu de laquelle vous pouvez techniquement violer une réglementation légale si vous le faites pour éviter un mal pire. Ainsi, aucune cour ne pourra vous accuser ni ne vous condamner pour « effraction de domicile » (qui est un délit) si vous êtes entrés chez votre voisin en son absence pour sauver ses enfants dans sa maison en flammes. Et ce « mal pire » dans le cas des Cinq n’était pas une vue de l’esprit, comme le prouvent les plus de 3 000 victimes fatales cubaines du terrorisme made in USA (et surtout in Miami) : il s’agissait pour les Cinq et les autorités cubaines de protéger des vies humaines, d’éviter des dommages aux personnes et aux biens et de prévenir des actes terroristes.
C’est tout ce dont les Cinq se sont avoués coupables. À aucun moment du plus long procès à s’être déroulé aux États-Unis (sept mois, je vous le rappelle), ils n’ont reconnu avoir fait de l’espionnage (contrairement à ce que vous affirmez) : ce qu’ils ont reconnu, le revendiquant comme un titre d’honneur, c’est de S’ÊTRE INFILTRÉS DANS DES ORGANISATIONS TERRORISTES DE MIAMI pour prévenir les autorités cubaine de leurs projets et les empêcher de causer des victimes à Cuba (et aux États-Unis). C’est qui est bien différent, reconnaissez-le, de l’espionnage. Et ils ont été si efficaces qu’ils ont permis aux autorités cubaines de faire avorter plusieurs plans et si sérieux dans leurs dénonciations que même Clinton s’en est alarmé (je renvoie, une fois encore, à mon texte) et a décidé d’agir. Ce sont là, je le répète, les deux seules accusations reconnues par les Cinq et leurs avocats.
Comment le code pénal étasunien définit-il l’espionnage ? Est passible de cette accusation « quiconque collecte et transmet des informations de défense nationale, ce qui implique une tentative de les obtenir afin qu’elles soient utilisées au détriment des Etats-Unis, ou une raison de le croire. »
Des informations relevant de la défense nationale, donc. C’est clair. Si vous prenez la peine de lire les extraits des actes du procès (119 volumes de transcription, des caisses entières de documents probatoires, 15 volumes de récits des faits, plus 70 témoins ayant défilé à la barre), vous constaterez que l’accusateur public n’a jamais pu prouver ses accusations d’espionnage ! Qui mieux est, il l’a avoué lui-même en s’adressant au jury : « Nous avons arrêté ces cinq hommes et nous avons saisi 20 000 pages de documents dans leurs ordinateurs, mais nous ne pouvons vous présenter, mesdames et messieurs du jury, aucune page d’information classifiée. » Le procureur fit venir à la barre comme témoin à charge l’ancien directeur de l’Agence de renseignements de la défense, la principale agence de renseignements des USA ; quand l’un des avocats des Cinq, Paul McKenna, lui demanda combien de ces 20 000 pages avaient à voir avec la défense nationale (et mettaient donc en danger la sécurité du pays), le général en question lui répondit textuellement, comme l’indiquent les minutes du procès : « Aucune, pour autant que je me souvienne. » Tout ce que le procureur put avancer comme argument pour prouver l’accusation d’espionnage, c’est qu’Antonio Guerrero travaillait, à un poste à faible importance, sur la base navale de Boca Chica, et qu’il envoyait des informations à Cuba. C’est bien ainsi qu’il présenta les choses aux jurés : un agent cubain envoyant des informations à son pays. Mais quelle sorte d’informations envoyait Antonio Guerrero ? Du domaine public, disponibles à tous : entre autres, sur les avions décollant et atterrissant à Boca Chica. Bien mieux, les autorités cubaines lui avaient dit de ne violer absolument aucune réglementation ni aucune mesure de sécurité de la base, et il fut si respectueux à cet égard que, bien que le gouvernement étasunien ait découvert deux ans avant son arrestation qu’Antonio était un agent, il n’en avait pourtant averti la chef de la base navale – selon le témoignage de celle-ci au procès – parce qu’il savait pertinemment qu’Antonio Guerrero n’avait violé à ce jour aucune mesure de sécurité de la base et que les informations qu’il envoyait à Cuba n’avaient rien à voir avec la défense nationale des États-Unis !
Les témoignages de généraux et de fonctionnaires présentés comme experts par l’accusation et comme témoins par les avocats prouvent aussi que les accusés n’avaient jamais cherché d’informations secrètes ou classifiées pouvant être utilisés au détriment des États-Unis et mettant en danger leur sécurité nationale (sans quoi, je le répète, il ne peut exister d’espionnage). Et ces témoins n’étaient pas des moindres. Je citerais entre autres, le général James R. Clapper, des forces de l’air, ancien chef de l’Agence de renseignements du Pentagone ; le général Charles Elliot Wilhelm, de la marine, ancien chef du Commandement Sud ; le général Edward Breed Atkeson, ancien chef d’état-major de l’armée aux renseignements ; le contre-amiral Eugene Carroll, ancien vice-chef des Opérations navales ; le colonel George Buckner, du commandement du système de défense aérienne de l’armée ; Stuart Hoyt, expert du FBI en contre-espionnage ; Richard Giannotti, expert du FBI. Toutes les informations utilisées par les accusés étaient du domaine public !
Et les preuves d’espionnage étaient si inexistantes que le Nuevo Herald, de Miami, porte-parole de la mafia terroriste au point d’avoir constamment accusé les Cinq bien avant l’ouverture du procès d’être des espions et d’avoir fait quasiment partie en quelque sorte du ministère public, se plaignait amèrement le 30 avril 2001 : « … le ministère public a assuré disposer de preuves et de documents en abondance au sujet des prétendues activités d’espionnage des accusés. Or, bien que le procès doive conclure comme prévu dans un mois, de nombreux observateurs et leaders communautaires se plaignent que ces preuves écrasantes brillent par leur absence, et la défense semble avoir assis l’exil cubain au banc des accusés… Si les choses continuent comme ça, ces espions vont être mis en liberté. »
Comment fait-on alors, me demanderez-vous, quand on est procureur aux États-Unis pour faire condamner des accusés sans preuves ? Oh, c’est assez facile. Il faut deux ingrédients. Le premier est un jury, pour ainsi dire, à la botte. D’abord, en éliminer les Noirs. Ensuite, avoir un président qui va dans votre sens : ainsi, celui du procès de Miami avait avoué sans ambages qu’il était contre la dictature castriste et qu’il rêvait du jour où elle serait renversée ; un second juré, un banquier à la retraite d’Illinois, avait un fils qui avait été marine pendant vingt et un ans et une fille toujours membre du FBI depuis quinze ans ; un troisième travaillait dans les bureaux du procureur général de la Floride au département pénal. Et ainsi, en gros, à l’avenant.
Le deuxième ingrédient est aussi aisé à manipuler quand vous êtes à Miami et que les accusés sont des révolutionnaires cubains : vous inventez une conspiracy. Qui signifie, selon le glossaire des Nations Unies sur la prévention du crime et la lutte contre la délinquance : « coalition ; concert frauduleux ; association de malfaiteurs » La conspiracy est donc une combinaison de deux personnes ou plus pour commettre un acte criminel. Et le gros avantage de ladite figure juridique pour le procureur, c’est qu’il n’a pas besoin de la prouver ! Il peut se contenter d’affirmer qu’il y a eu accord pour espionner, et le tour est joué : l’accord en soi est déjà un délit. Bref, les Cinq furent accusés, non d’espionnage – un chef d’accusation impossible à prouver – mais de « concert frauduleux pour espionner », qu’il n’est pas nécessaire de prouver… Pour le procureur, il suffit d’ « indices » de cette « association de malfaiteurs », de preuves basées sur des affirmations de tiers, jamais sur des faits avérés.
Avec un jury pareil, l’affaire était donc dans le sac pour cette première accusation : de fait, alors que le procès avait duré sept mois, que soixante-dix témoins avaient défilé à la barre, qu’il y avait cinq accusés, les douze jurés, sans poser la moindre question à la cour, sans élever le moindre doute, mirent à peine un jour à déclarer les Cinq coupables d’espionnage (et des autres chefs d’accusation, bien entendu). La juge, elle, les condamna ensuite aux peines maximales.
Que nul ne s’en étonne. Il s’agissait non d’un procès judiciaire, mais d’un procès foncièrement politique, et les preuves importaient peu… Et la justice eut, durant ces sept mois, les yeux plus bandés que jamais.
Quant au second chef d’accusation (« concert frauduleux pour commettre un homicide volontaire »), autrement dit un meurtre, il était du même tonneau. Je l’aborderai plus tard si j’ai le temps.
On ne règle pas dix années d’injustice, monsieur Julius, par des formules aussi légères que les vôtres. Avant de prononcer des jugements aussi lapidaires, renseignez-vous mieux au préalable.
Quant aux affirmations de Marc Bruxman, qui n’ont rien à voir avec le propos de mon article, je les lui laisse… Quelqu’un qui traite Fidel Castro de « connard » vole trop bas pour que je perde mon temps à lui répondre.
JACQUES-FRANCOIS BONALDI
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