1/ C’est vrai. Mais ce n’est pas cela qui gêne dans la démocratie, c’est tout le reste ! Et en l’occurrence dans ce premier point, la division. Un ami malien, musicien, 60 ans, me disait qu’autrefois quand tu chantais pour quelqu’un tu pouvais chanter depuis le président (le Mali était alors communiste et donc à parti unique) jusqu’à cette personne (descendre toute la chaine hiérarchique) en chantant les louanges de tout le monde, et, disait-il, tout le monde était content. Aujourd’hui c’est devenu compliqué. Si tu chantes pour celui-là, ceux qui ne sont pas du même parti ne vont plus vouloir que tu chantes pour eux etc...
Cela s’infiltre profondément dans la société. Dès que tu organise quelque chose qui prend un peu d’importance, dès que tu cesses d’être petit pour revenir moyen, tu dois faire allégeance à une mouvance politique. Sinon tu es canardé par tout le monde. Soit tu acceptes d’être récupéré soit tu meurs. C’est un vrai problème. C’est une des raisons qui font que tu es sois petit soit gros, pas de place pour l’intermédiaire. Je ne peux pas l’affirmer faute de connaitre assez bien l’Afrique et son histoire, mais il me semble que cela est lié, pas seulement, mais en partie lié à la démocratie. La lutte continuelle des partis pour le pouvoir entraîne la population dans son sillage, puisque les partis se hiérarchisent depuis « la base ». Cela dresse les gens les uns contre les autres.
Ce n’est certainement pas la seule raison, et je ne m’aventurerais pas à aller plus loin, je ne connais pas assez l’Afrique, mais il me semble que la démocratie a un rôle, et un rôle néfaste, là-dedans.
2/ Elle n’est pas inscrite dans les principes, c’est certain. Mais ces fameux principes, justement, sont tellement élevés par rapport à la réalité des individus, à leur réalité intérieure j’entends, que cela crée un hiatus. Dans notre vision de la démocratie, il y a en arrière plan l’idéal, le désir un peu immature de fabriquer un monde sans problème, comme si l’on voulait, d’une certaine façon, bannir le mal.
En Afrique, le mal fait partie de la vie terrestre de façon aussi certaine que le bien, et l’on considère qu’il est impossible d’avoir l’un sans l’autre. Le mal a donc sa place (on ne lynche pas tous les sorciers par exemple).
Il me semble que c’est cet idéal trop élevé qui génère de l’hypocrisie : faute d’atteindre cette perfection, on la singe. Il en va de même à l’échelle individuelle, le hiatus entre ce que vous êtes et ce que prétendez être (vis à vis des autres ou vis à vis de vous-même). C’est, je pense, le même phénomène à l’échelle collective. Et il me semble que l’Afrique est plus saine sur ce point, plus en phase avec ce qu’elle est réellement.
La démocratie est imbriquée dans cette structure psychique collective, elle en est un élément, c’est pour cela que vouloir l’implanter ailleurs est un non-sens.
Mieux vaudrait laisser l’Afrique forger un système qui lui ressemble, et que nous ne pouvons pas imaginer.
3/ C’est vrai, mais ces dictatures ne sont pas à proprement parler des régimes typiquement africains, ils sont les vassaux, pour l’Afrique francophone, de l’Elysée, ils sont son prolongement. Leur existence découle de la colonisation.
Vouloir à tout prix vendre la démocratie à l’Afrique (et au reste du monde) me semble inapproprié et violent. Mettre en place et soutenir des dictatures qui exploitent leur propre population pour s’attirer les bonnes grâces de la France, et dont les figures s’enrichissent personnellement ne vaut pas mieux. En dénonçant l’un, je n’encourage pas l’autre. D’ailleurs, on peut noter au passage que ce sont les mêmes qui clament « démocratie, démocratie » et qui installent et soutiennent des dictatures. Une illustration de l’hypocrisie dont je parlais ci-dessus.
4/ Chouette ! ;)
5/ Je me suis mal exprimé sur ce point. Ce que je veux dire c’est qu’en Europe (plus encore que dans les autres pays occidentaux il me semble) le mental est au centre de tout. Au centre des relations humaines (dans la manière que nous avons de notre approcher, de nous rencontrer), au centre de nous fonctionnement sociétal. Tout, ici, fonctionne en système. Vous voulez acheter une maison ? Vous entrez dans une machine : notaire, prêt, documents à fournir, truc machin... Vous perdez votre boulot, tac, ANPE, indemnités, années de cotisations etc etc... Tout, même la solidarité, fonctionne comme une machine. La démocratie s’inscrit dans cette logique : c’est un système qui repose sur des textes, toutes les lois sont créées selon des processus carrés, écrits, règlementés. Tout est encadré. Mais ces lois sont « froides », désincarnées, aveugles on pourrait dire. Qu’un individu regarde un autre individu et qu’au vu de sa situation particulière il détermine ce qu’il est bon de faire relève de l’exception et non de la règle. On dit que la règle doit être la même pour tous, et qu’on doit donc l’appliquer aveuglément pour éviter de créer des inégalités.
Tout cela pour expliquer que l’on fonctionne par rapport au mental : on anticipe, on mesure, on encadre, on écrit. On parle beaucoup pour ne rien dire aussi, il y a une énorme logorrhée, un pédalage à vide, on finit par se perdre dans des paroles inutiles.
Oui, il y a des gens qui aiment bien parler politique en Afrique, c’est vrai. Mais il y a une différence, je pense, plus en profondeur. Je ne sais pas comment formuler ça. On ne part pas dans des abstractions insondables comme en Europe, où l’on peut perdre pied avec la réalité au jeu du débat pour le débat (pourtant j’aime ça, je suis européen, et j’aime décortiquer les choses par la pensée et le langage). Si l’on parle politique c’est de façon concrète, simple, ou bien c’est un jeu, il y a du rire au second plan, derrière les mots et les attitudes. Il y a aussi toute une caste d’intellectuels africains qui ont été influencés par l’Europe, souvent par leurs études, et qui manient plus que les autres les concepts abstraits.
La grande différence est peut-être là : on va très loin en Europe dans l’abstraction, et la démocratie est une abstraction, vu son échelle, son appui sur un simple texte, vu que tout est réglé par la loi. Or l’abstraction et l’anticipation, propres du mental, sont moins présentes en Afrique. Les gens sont plus concrets, tout repose sur l’humain. Les règles de la société sont des règles traditionnelles, ancrées dans les corps, dans l’ascendance et dans la descendance donc dans la famille, ou bien en lien avec les réalités invisibles que nous avons carrément perdues de vue ici.
On n’est pas du tout dans les mêmes fréquences. Ce n’est pas la même façon de penser.
J’espère que je me suis fait comprendre, c’est pas évident à formuler.
6/ Je remarque que la démocratie a toujours fonctionné avec un bras droit. Que ce soit l’Eglise à l’époque des missionnaires et des « bons sauvages », ou que ce soit aujourd’hui le néolibéralisme ; la démocratie, en tant qu’impérialisme, a toujours été une seule des deux jambes du conquérant. Peut-être parce qu’elle est une boite vide et qu’il est plus prudent d’amener à celui à qui on l’impose de quoi la remplir, pour éviter qu’il ne prenne des décisions qui pourraient nous contrarier. Mais ce n’est pas parce que la démocratie est une boite vide que cette boite convient à tout le monde, et qu’elle est la seule boite imaginable. Il n’y a donc aucune raison de vouloir l’exporter à tout prix. Ça me semble même louche : pourquoi, finalement, voulons-nous à tout prix convertir le monde entier ? Pour le bien des peuples ? Qui peut y croire ? Qu’avons-nous à gagner, alors, à ce petit jeu - ou quels sont les ressorts qui nous poussent dans cette direction ? Autre sujet de débat...
Merci pour tes commentaires !
16/08 00:30 - quen_tin
A mon avis le Zimbabwé n’a jamais vraiment été une démocratie. Par contre au Ghana, ça (...)
16/08 00:19 - quen_tin
Pasou, apparemment c’est plutôt vous qui cultivez les clichés.
16/08 00:13 - quen_tin
Ce qui me gène, c’est que même s’il y a du vrai la dedans, on pourrait vite en (...)
15/08 18:09 - Raphaël
Et pourtant celui qui voyage en Afrique et qui va être capable - c’est dur, il en (...)
15/08 17:59 - Raphaël
1/ C’est vrai. Mais ce n’est pas cela qui gêne dans la démocratie, c’est tout (...)
15/08 16:38 - YVAN BACHAUD
Bonjour OUI instaurons la DEMOCRATIE en FRANCE. L’Europe puis le monde entier suivront (...)
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