Sylvain Besson
Le président repart en province pour mettre en scène son action
économique. Décryptage d’un spectacle très organisé, artificiel, mais
qui continue à plaire.
« Un
beau discours, très rassurant… C’est important ce qu’il dit là, le
président… Je suis surpris, il a l’air bien au courant des problèmes de
délocalisation… » Les employés de l’usine Faurecia, fabricant de sièges
automobiles installé dans la verte campagne de la Suisse normande,
avaient l’air contents, jeudi, d’avoir écouté Nicolas Sarkozy.
Malgré
l’usure du pouvoir, la crise et des phrases entendues mille fois depuis
son élection, les tournées en province du chef de l’Etat continuent de
faire mouche auprès d’un certain public. Et la soigneuse mise en scène
de ce « Sarkoshow », qui a repris hier après la pause estivale, n’est pas
étrangère à son succès.
Décor et public préparés
Le
spectacle commence dès l’aube, avec la mise à disposition d’un avion de
transport militaire pour les journalistes qui couvrent l’événement.
Arrivés à l’usine, flambant neuve et encore presque vide, les médias
reçoivent les consignes de la journée. Elle se découpe en trois
« séquences » : le président visite ; le président fait une « petite
allocution informelle » devant les salariés ; le président participe à
une table ronde pour l’emploi. L’important, tout le long, est de
« laisser travailler le pool images », les photographes et caméras qui
seront « au contact » du président.
Le
décor et le public ont été préparés à l’avance. Derrière la table
ronde, en toile de fond, il y aura des salariés et des personnalités
locales, triés par le préfet pour être représentatifs de la population :
un homme en fauteuil roulant, des femmes, un cadre « issu de la
diversité ». Sur l’estrade, en face d’un podium surchargé de caméras, la
direction de l’usine a disposé des apprentis en blouse blanche, qui
entoureront Nicolas Sarkozy lorsqu’il parlera aux salariés.
Selon
des syndicalistes, ces novices ont été sélectionnés selon un critère
bien précis : leur taille. « Vous voyez, il n’y a que des petits »,
s’amuse un représentant de la CGT. De fait, aucun des apprentis ne
dépasse le président de plus de quelques centimètres.
Nicolas
Sarkozy arrive en hélicoptère, accompagné de ministres, de conseillers
et d’aides de camp. Mâchonnant quelque chose, parfois interrompu par
son téléphone portable, il inspecte d’un air blasé mais souriant les
chaînes de montage. Les explications l’intéressent modérément, mais il
a un mot pour chaque employé : « Quand il y a un nouveau produit, on vous
met en formation ? D’où venez-vous ? Cameroun ? Yaoundé ? Vous soudez, là… »
Son discours est calibré pour répondre aux angoisses des ouvriers de
l’automobile. « Le rôle du président, c’est d’aller partout où on a
besoin de lui, lance-t-il. Des avions, des automobiles, des bateaux,
c’est ça une grande économie. […] Je le dis : la France ne sera pas un
désert industriel. » La promesse d’investir des fonds publics dans
Faurecia, au cas où un concurrent étranger voudrait l’acheter, est bien
reçue dans cette entreprise considérée comme « opéable » par ses salariés.
« Est-ce qu’il a été bon ? »
Le
« Sarkoshow » n’a pas toujours été aussi bien huilé. Le président traîne
comme un boulet ces images du début de mandat, le « descend un peu le
dire » furibond lancé à un pêcheur qui l’insultait, le « casse-toi
pauv’con » adressé au mauvais plaisant du Salon de l’agriculture. Mais,
aujourd’hui, ses déplacements atteignent des sommets de minutie :
interdiction aux caméras de contourner l’estrade présidentielle – on
risquerait de les voir à l’écran – ; ministres en costume sombre,
disposés sur fond d’apprentis en blouse blanche, pour offrir un coloris
optimal aux caméras et photographes.
Le caractère
artificiel de ces rencontres avec le peuple agace parfois. Cet été, le
ministre de l’Education, Luc Chatel, s’est fait brocarder après la
visite d’un supermarché dont les clients étaient en fait des employés,
amenés par l’entreprise pour « faire masse » (le même procédé a été
utilisé jeudi pour remplir l’usine Faurecia).
« Les médias se sont
indignés, ils ont dit « vous trichez », s’amuse le sociologue Denis
Muzet, président de l’institut Médiascopie. Sans doute que c’était trop
mal joué pour passer à l’antenne. Mais quand c’est bien joué, ils s’en
accommodent. »
Le
public non plus n’est pas dupe. « Quand un homme politique est filmé sur
le terrain, c’est un artefact, les gens le sentent, ajoute Denis Muzet.
La question n’est pas « est-ce que c’est vrai ? », mais « est-ce qu’il a
été bon ? ». C’est la force de Sarkozy : c’est un artiste télévisuel, il
emballe un peu tout le monde par sa capacité à établir une proximité,
de l’empathie. » Les visites d’usines dans des coins reculés risquent
donc de se poursuivre avec une fréquence croissante, jusqu’à l’élection
présidentielle de 2012. Comme aime le dire Nicolas Sarkozy, qui ne boit
presque pas : « C’est du gros rouge. » Lui, au moins, n’en a pas perdu le
goût.
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