Précisément ! On le peut. Voire, on le doit.
S’il ne s’est pas imposé aux citoyens, il s’est imposé aux gouvernants. Dans la pratique, ça revient au même, et les jérémiades des réfractaires aux langues étrangères n’y changeront pas grand chose.
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que s’érige une langue de communication aux côté des langues d’usage local. Il existe des termes précis pour ça : langue vernaculaire, pour l’usage local, et langue véhiculaire pour l’usage inter-communautaire.
Le français lui-même, que nous prenons pour une langue unique et immémoriale, fut la langue véhiculaire imposée contre une flopée de dialectes et de patois. On peut toujours apprendre l’occitan, le basque ou le breton, qui ne sont pas des langues « mortes ». Le français s’est imposé. Ou plutôt il a été imposé autoritairement par les élites. Et effectivement, dans la durée, cela revient au même et nous voyons le Picard et le Savoyard défendre avec passion la langue qui fut imposée à leurs ancêtres.
C’est faire preuve d’aveuglement que de croire que le français peut tenir lieu, à nouveau, de langue véhiculaire. A tout prendre, il vaudrait mieux se féliciter que la langue véhiculaire soit l’anglais, avec ses très nombreuses racines latines, que nous partageons ainsi que l’alphabet, plutôt que la langue d’autres pays promis à certaines formes de domination mondiale... Le jour où ce sera le mandarin ou le pékinois, nous aurons bien d’autres problèmes d’adaptation.
C’est aussi faire preuve d’une consternante hémiplégie de se raisonner comme dépossédé de sa langue quand on est obligé d’en acquérir une autre, comme si le cerveau n’en pouvait contenir qu’une. Il ne faut pas craindre de perdre la faculté de lire nos auteurs classiques (et encore, pour Rabelais ou Montaigne dans leur langue originale, je vous souhaite bien du plaisir), quand on acquiert la faculté de découvrir une littérature étrangère en plus de la sienne. Faire passer cet enrichissement pour un appauvrissement est un crime contre la culture, en plus d’un combat d’arrière-garde. Rions, plutôt, de ceux qui, n’ayant que l’anglais pour langue maternelle, ne verront pas l’intérêt d’acquérir d’autres langages : ils n’auront qu’une littérature pour les édifier, là où le bilingue en a deux. Vive les polyglottes.
Alors, certes, il y a injustice, peut-être, dans le choix de l’anglais comme langue véhiculaire. Pourquoi pas d’autres langues ? Simplement parce qu’aucune autre ne fait consensus. Encore que... on peut effectivement se demander s’il ne serait pas plus consensuel de prendre pour langue véhiculaire un langage qui forcerait tout le monde à faire le même effort d’acquisition... Il existe bien de telles langues, et, en y réfléchissant, je vois bien que tel est maintenant mon lumineux destin que de brandir face à vous l’étendard glorieux d’un juste combat : défendre cette nouvelle langue véhiculaire qui fera l’unanimité : le latin.
Bien à vous,
L’Ankou