@Ma copine Rachel
on instruit pas des débiles vous en êtes la preuve
Les Grecs, les Arabes et nous. Enquête sur l’islamophobie savante" :
comment l’islam a transmis des savoirs antiques à l’Occident
La science n’est pas l’opinion. Le raisonnement et la démonstration
scientifiques obéissent à des règles et à des procédures. Et lorsqu’en
2008, Sylvain Gouguenheim, un historien spécialiste de l’Allemagne
médiévale, publiait un ouvrage intitulé Aristote au Mont-Saint-Michel.
Les racines grecques de l’Europe chrétienne (Seuil), dans lequel il
affirmait que le monde arabo-musulman avait joué un rôle mineur dans la
transmission du savoir grec vers l’Occident chrétien, de nombreux
universitaires, dont des spécialistes reconnus des questions pour
lesquelles Sylvain Gouguenheim disait vouloir faire oeuvre de
vulgarisation, réagirent avec vigueur
La
science n’est pas l’opinion. Le raisonnement et la démonstration
scientifiques obéissent à des règles et à des procédures. Et lorsqu’en
2008, Sylvain Gouguenheim, un historien spécialiste de l’Allemagne
médiévale, publiait un ouvrage intitulé Aristote au Mont-Saint-Michel. Les racines grecques de l’Europe chrétienne (Seuil),
dans lequel il affirmait que le monde arabo-musulman avait joué un rôle
mineur dans la transmission du savoir grec vers l’Occident chrétien, de
nombreux universitaires, dont des spécialistes reconnus des questions
pour lesquelles Sylvain Gouguenheim disait vouloir faire oeuvre de
vulgarisation, réagirent avec vigueur. Ils dénoncèrent tout autant les
erreurs contenues dans l’ouvrage, et l’absence de preuves, que
l’insistance de son auteur à vouloir relire l’histoire de la
philosophie médiévale en reniant l’apport de l’Islam. Ce faisant, le
médiéviste travestissait une opinion en savoir scientifique.
Optique post-coloniale
Les auteurs de Les Grecs, les Arabes et nous
ont perçu dans le succès public du livre de Gouguenheim, et dans le bon
accueil qui lui fut en général réservé par la presse, le symptôme d’une
« islamophobie savante », à travers laquelle des propos hostiles
à l’islam sont exprimés par des auteurs qui ont beau jeu, ensuite, de
nier toute volonté polémique. C’est dans une optique post-coloniale
qu’ils relisent ces événements récents, dans un contexte intellectuel
influencé par ce qu’ils nomment une « philosophie de l’histoire sarkozyste »,
et par les prises de position de Benoît XVI, en particulier lors du
discours de Ratisbonne (2006) : en y faisant allusion à une violence
intrinsèque de l’islam, le pape avait semblé vouloir renouer avec une
théologie de la « controverse ».
Tous ceux qui ont appelé
de leurs voeux, lors de « l’affaire Gouguenheim », un vrai débat
scientifique, se réjouiront de disposer d’une synthèse claire sur
l’état des connaissances. Les spécialistes, s’appuyant sur des sources
et des études nombreuses, montrent comment la philosophie médiévale et
la science moderne se sont progressivement bâties grâce à des héritages
grecs et arabes, comme juifs et latins. Ils rappellent aussi combien il
est erroné de vouloir considérer les religions comme des « »essences« homogènes et atemporelles »,
plutôt que comme des réalités historiques évoluant sans cesse et
s’influençant les unes les autres. L’oeuvre de traduction du monde
arabo-musulman au Moyen Age a été fondamentale, soulignent encore les
auteurs, et elle a favorisé la circulation des textes antiques. Enfin,
on sait aujourd’hui que toute pensée peut être formulée par n’importe
quelle langue : contrairement à ce que voudrait faire croire une vision
dépassée de la linguistique, l’opération de traduction du grec, langue
indo-européenne, vers l’arabe, langue sémitique, n’a été limitée par
aucune incapacité linguistique.
Mais au-delà même de ces questions circonstanciées, l’ouvrage propose
des grilles d’analyse pertinentes pour comprendre les rapports actuels
entre querelles idéologiques et production de savoirs scientifiques.
L’évolution des supports de l’information a modifié de manière cruciale
le statut de la preuve comme celui de l’expert. A lire les auteurs, si
cette affaire, qui aurait pu rester confinée au monde académique, a
trouvé tant d’écho dans l’espace public, c’est non seulement à cause du
rôle joué par Internet, mais aussi parce que la thèse d’
Aristote au Mont-Saint-Michel s’appuyait
en partie sur une rhétorique de la « révélation » : l’auteur laissait
entendre que les universitaires s’appliquaient à cacher la vérité sur
l’oeuvre de traduction latine des textes grecs, alors même que celle-ci
était analysée dans tous les ouvrages consacrés au sujet.
Certes,
le discours de l’historien est toujours « situé ». Mais c’est de la
capacité de celui-ci à assumer son positionnement méthodologique et
historiographique, comme de sa faculté à produire les preuves à l’appui
de son propos que dépend la fiabilité du travail scientifique. Deux
conditions parfaitement remplies par cet ouvrage.
Source : Le Monde 01/10/2009, Claire Judde de Larivière