Et à ceux qui prétendent que les conflits entre Orient et Occident sont
engagés par certains peuples orientaux pour justifier le repli des
occidentaux sur eux-mêmes, René Guénon répond : « Déclarons-le très
nettement : l’esprit moderne étant chose purement occidentale, ceux qui
en sont affectés, même s’ils sont des Orientaux de naissance, doivent
être considérés, sous le rapport de la mentalité, comme des
Occidentaux, car toute idée orientale leur est entièrement étrangére,
et leur ignorance à l’égard des doctrines traditionnelles est la seule
excuse de leur hostilité. Ce qui peut sembler assez singulier et même
contradictoire, c’est que ces mêmes hommes, qui se font les auxiliaires
de l’« occidentalisme » au point de vue intellectuel, ou plus
exactement contre toute véritable intellectualité, apparaissent parfois
comme ses adversaires dans le domaine politique ; et pourtant, au fond,
il n’y a là rien dont on doive s’étonner. Ce sont eux qui s’efforcent
d’instituer en Orient des « nationalismes » divers, et tout «
nationalisme » est nécessairement opposé à l’esprit traditionnel ;
s’ils veulent combattre la domination étrangère, c’est par les méthodes
mêmes de l’Occident, de la même façon que les divers peuples
occidentaux luttent entre eux ; et peut-être est-ce là ce qui fait leur
raison d’être. En effet, si les choses en sont arrivées à un tel point
que l’emploi de semblables méthodes soit devenu inévitable, leur mise
en œuvre ne peut être que le fait d’éléments ayant rompu toute attache
avec la tradition ; il se peut donc que ces éléments soient utilisés
ainsi transitoirement, et ensuite éliminés comme les Occidentaux
eux-mêmes. Il serait d’ailleurs assez logique que les idées que ceux-ci
ont répandues se retournent contre eux, car elles ne peuvent être que
des facteurs de division et de ruine ; c’est par là que la civilisation
moderne périra d’une façon ou d’une autre ; peu importe que ce soit par
l’effet des dissensions entre les Occidentaux, dissensions entre
nations ou entre classes sociales, ou, comme certains le prétendent,
par les attaques des Orientaux « occidentalisés », ou encore à la suite
d’un cataclysme provoqué par les « progrès de la science » ; dans tous
les cas, le monde occidentale ne court de dangers que par sa propre
faute et par ce qui sort de lui-même. » (p. 171 – chap. VIII : L’envahissement occidental).