Alors, peut etre ça
Convertie
il y a quatre ans au christianisme - Habiba jugée hier à Tiaret et
condamnée 3 ans de prison ferme
jeudi 22 mai 2008,
par Aksil
Amnay
Le procureur a requis
la peine de trois ans de prison ferme à l’encontre de K. Habiba
pour pratique « sans autorisation d’un culte non musulman ».
Le ministère des Affaires religieuses s’est constitué « partie
civile » dans cette affaire. Le verdict est attendu pour mardi
prochain. 6 membres de la même église seront jugés le même jour à
Tiaret.
Tiaret. De notre envoyé spécial
C’est le chemin de croix qui commence pour Habiba. Elle est de
l’ouest du pays, de Tiaret, elle a la foi chrétienne et elle
risque trois ans de prison ferme. Habiba K., la trentaine bien
entamée, convertie il y a quatre ans au christianisme, a été jugée
hier en correctionnelle par le tribunal de Tiaret. La jeune femme,
ancienne employée d’une crèche à Oran, est accusée par le
ministère public de pratiquer un « culte non musulman sans
autorisation ». Une première dans les annales judiciaires. La
situation est d’autant plus inédite, car il s’agit du premier
procès où la pratique libre de la foi chrétienne est vertement
remise en cause. Jusque-là, l’appareil judiciaire s’est borné à
juger les affaires liées au prosélytisme. Une dizaine de procès a
été intentée dans ce sens à travers de nombreuses villes du pays,
Oran, Mascara, Sidi Bel Abbès, Béjaïa,... et plusieurs membres de
l’Eglise protestante ont été condamnés à des peines de prison
avec sursis, assorties d’amendes lourdes allant jusqu’à 500 000
da. Face à son juge, Habiba n’avait pas hier le cœur au
reniement, ni aux dérobades. Zen, la voix presque éteinte, de
nature, elle assumera au prétoire, sans détour, avoir choisi Al
Massih, le Christ. Une vingtaine de jours auparavant, elle tenait
tête au procureur de la République et refusa d’abandonner sous la
contrainte sa nouvelle foi. « C’est soit le tribunal, soit la
mosquée », lui aurait signifié le procureur. Au juge qui la
bombarde de questions, un ton moqueur, un ton amène, elle raconte
sans s’encombrer de détails et dans un silence religieux sa
passion, ses premiers pas dans l’église et son arrestation fin
mars par les gendarmes de Tiaret. « A l’église, on t’a
fait passer l’examen d’admission céleste ? », lui
demande le juge. Silence dans la salle. « On t’a fait boire
l’eau qui te mènera droit au paradis », revient encore à la
charge le magistrat après que Habiba ait fait mine de ne pas
comprendre la question. Elle répond par un « oui ». Un
« oui » qui doit signifier qu’elle a été baptisée.
Le juge lui demande de nouveau pourquoi elle transportait dans ses
bagages une quantité d’ouvrages religieux, des évangiles
notamment. « On n’en a cure que vous deveniez chrétienne ou
bouddhiste, c’est entre vous et votre Créateur, dites-nous que
faisiez-vous avec tous ces livres. »
Le délit imaginaire
« Je revenais par bus d’Oran, répond-elle, où j’étudie
à l’Ecole d’études bibliques. A l’entrée de la ville, les
gendarmes qui dressaient un barrage sur la route sont montés dans le
véhicule et sont venus directement vers moi et ont fouillé mes
bagages. J’avais des livres sur moi. Mes livres à moi. » Le
procureur, silencieux depuis l’ouverture de la séance,
l’interrompt brusquement : « Que faisiez-vous avec une
douzaine d’exemplaires du même livre ? Ce n’est quand même
pas pour votre usage personnel ? Vous les distribuez à votre
entourage, n’est-ce pas ? Vous prêchez avec la parole
chrétienne ? », s’adresse-t-il à la frêle silhouette
de Habiba. Le délit imaginaire. Il n’en fallait pas plus pour
enflammer l’avocate, Me Khalfoun, du barreau de Tizi Ouzou. Venue
expressément à Tiaret pour assurer la défense de Habiba, après
que certains avocats de la ville aient refusé de plaider dans cette
affaire, Me Khalfoun, connue surtout après les retentissants procès
des émeutiers du « printemps noir » de Kabylie et des
« gendarmes assassins », bat en brèche les accusations
du ministère public qui, dit-elle, ne reposent sur aucun fondement
juridique. « On ne juge pas sur les intentions, mais sur les
actes », plaide-t-elle. L’infraction est à ses yeux
« imaginaire » et n’est étayée par aucun texte
juridique. « Dois-je rappeler à ce propos l’un des
sacro-saints principes du droit pénal, à savoir qu’il ne peut y
avoir accusation ou condamnation sans texte réglementaire »,
s’adresse-t-elle au tribunal. L’article 11 de l’ordonnance de
février 2006 fixant les règles et conditions d’exercice des
cultes autres que musulman, explique l’avocate, ne peut être
appliqué au cas de Habiba. « Lorsque ma cliente a été
arrêtée, elle n’était pas en train de prêcher. Elle ne
distribuait pas des bibles. Elle était assise seule dans ce bus qui
l’a ramenée chez elle », déclare Me Khalfoun. L’article
11 en question traite uniquement des cas flagrants d’« incitation,
d’utilisation de moyens de séduction » afin de convertir des
« musulmans à une autre religion » dans les lieux
publics et aussi la fabrication et la distribution de documents
imprimés ou audiovisuels visant à « ébranler la foi des
musulmans ». Des infractions passibles d’une peine de 2 à 5
ans de prison et à une amende allant de 500 000 à 1 million DA.
Dans l’ordonnance précitée, aucune « trace » d’une
éventuelle mise en accusation d’individus pour « pratique
sans autorisation d’un culte autre que musulman ». Autant
dire, une « invention » du parquet. Pis, s’interroge Me
Khalfoun, « quelle est cette autorité, morale ou
administrative, habilitée à délivrer une autorisation pour
pratiquer telle ou telle religion ? » Tout en réclamant
l’acquittement de sa cliente, l’avocate de la défense en appelle
au respect de la Constitution qui garantit à toute personne le droit
à la liberté de la pensée, de la conscience et de la religion.
L’avocat de la partie civile (la direction des affaires religieuses
de la wilaya de Tiaret dont est originaire l’actuel ministre des
Affaires religieuses et des Wakfs, Abdallah Ghlamallah, Ndlr) se
contentera de déclarer au tribunal que les tentations
d’évangélisation représentent une « menace pour la
sécurité nationale ». Rappelons que récemment, le ministre
des Affaires religieuses a nié toute « persécution » à
l’encontre des convertis au christianisme et a déclaré, suite
notamment aux pressions de la communauté internationale, que l’Etat
algérien ciblait uniquement les « sectes ». Mardi
prochain, six autres membres de la communauté chrétienne de Tiaret
seront jugés par le même tribunal pour prosélytisme. Le verdict du
« procès Habiba », qui ne manquera certainement pas de
faire des remous, sera connu le jour même.
Mohand Aziri
Journal : El Watan Edition du : 21 mai 2008