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Commentaire de

sur Poussons le solide programme du FN dans ses retranchements...


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(---.---.26.214) 11 décembre 2006 12:51

Le Pen n’a pas tort de s’en prendre aux lobbies, aux politicards... Le problème, c’est que lui aussi il en fait partie.

C’est pourquoi il ne peut pas rompre avec le passé colonial, avec les « traditions » de l’extrême-droite... C’est « sa place » dans cet échiquier politique.

Mais la prolétarisation de la nation presque toute entière, survenue au cours des trois dernières décennies, fait que de toute façon Le Pen et le FN sont dépassés. La question de la nation ne peut plus se poser en termes du nationalisme à la Le Pen.

Lire, à ce sujet, l’excellent article d’hier sur le blog de De ço qui calt ?

http://blog.360.yahoo.com/quicalt

Prolétarisation des Français, fausses classes moyennes et mirage d’intégration à l’ordre économique

A l’approche des présidentielles de 2007, les futurs candidats promettent aux Français l’écoute et la proximité pour, semble-t-il, affronter les défis de notre époque, les changements qui seraient devenus nécessaires. A quelques formes près, le discours est partout le même : monde en pleine mutation, nécessité de s’y adapter... En clair, on nous offre de l’accompagnement pour les coups durs qui s’annoncent dans le cadre d’un système économique mondialisé auquel « nos élites » n’ont aucunement l’intention de s’opposer. Au même moment, on voit apparaître des analyses qualifiant de « classe moyenne supérieure » les Français qui gagnent plus de deux fois un plafond équivalent à 1.16 fois le SMIC. Et ceux dont les revenus dépassent 1.143 euros nets mensuels seraient des « classes moyennes » à qui il appartiendrait de « se montrer indispensables dans l’ordre économique ». Mais que signifie un tel discours, à l’époque du dumping social et du marché mondial de la main d’oeuvre ? Ce dont les statistiques font vraiment état, c’est d’une prolétarisation et d’une précarisation générales de la population française.

Il y a trente ou quarante ans, on entendait déjà parler de prolétarisation des couches moyennes. Ceux qui l’évoquaient étaient souvent traités de « totalitaires marxistes ». On les accusait même de vouloir amener le Goulag en France. Mais avaient-ils tort dans leur analyse ?

Et les médias bien-pensants qui promettaient aux Français un bonheur croissant, au développement incessant et perpétuel grâce au « progrès économique et technique », avaient-ils raison ? Les faits confirment-ils cette annonce ? Ne s’agissait-il pas, en réalité, d’une propagande politique destinée à faire croire que les problèmes de la société allaient se résoudre tout seuls, sans un changement politique radical ? Où en est-on après trois décennies de politique unique et toujours des mêmes discours et promesses ?

Les Editions du Seuil et La République des idées ont récemment publié un ouvrage intitulé : « Les classes moyennes à la dérive », du professeur à Sciences Po Louis Chauvel. Il fallait s’y attendre. Il semblerait qu’en France, pour être jugé « crédible » sur des questions de société, il faille être énarque, ou professeur à Sciences Po, ou quelque chose d’équivalent. Et peu importe que des dirigeants issus de ces écoles de la « pensée unique » aient déjà été à l’origine d’un certain nombre d’échecs graves dans la gestion de grandes entreprises ou d’établissements publics. Pour ne pas parler de leur rôle dans la direction politique du pays depuis une bonne trentaine d’années. Car, « brillantes analyses » à part, ce que l’on retire des chiffres, c’est que la situation sociale de la France est devenue catastrophique.

Les médias ont relayé avec une grande diligence la publicité du livre de Louis Chauvel : Le Figaro, dès le 12 octobre ; l’Humanité, le 18 octobre ; le Nouvel Observateur lui consacre cette semaine une rubrique très conséquente ; Le Monde avait même anticipé l’événement depuis le 2 mai, etc... Mais quelle est la spécificité de cet ouvrage ? Quelles idées de base cherche-t-il à faire passer ?

Bien sûr, à l’ENA et à Sciences Po on a affaire à des gens « modernes ». Pas question d’’analyser la société en termes de bourgeois et de prolétaires, avec des couches moyennes entre ces deux classes. Pour Louis Chauvel, il y aurait dans la France actuelle au moins cinq « groupes » ou classes, formés mécaniquement d’après les revenus nets. Marx s’était cassé la tête pour rien, en cherchant à comprendre des questions telles que les rapports de production, le capital et son évolution... L’auteur définit d’emblée un plafond de 1143 euros nets par mois, égal aux trois quarts d’un salaire « médian » de 1524 euros. La suite n’est pas compliquée. On fait partie du « groupe populaire » (sic !) si on gagne moins que ce plafond. Avec plus que 1.16 fois le SMIC, on ne fait pas partie des classes populaires. C’est un prof de Sciences Po qui vous le dit. Parle-t-il d’un pays dit « en voie de développement » ? Aucunement. Il s’agit bien de cette France qui, d’après la propagande officielle, aurait connu au cours des trois dernières décennies un développement incessant du bonheur de ses habitants grâce à ces partis politiques qui lui demandent à nouveau de voter pour eux en 2007.

Le professeur Chauvel vous explique qu’avec un revenu mensuel net entre 1143 euros (1.16 fois le SMIC) et le revenu « médian » de 1524 euros (1.56 fois le SMIC), vous faites partie de la « classe moyenne inférieure ». Entre 1524 euros et 2286 euros (2.32 fois le SMIC), on est dans la « classe moyenne intermédiaire ». Si on gagne entre ce dernier salaire net et trois fois le plafond de 1143 euros (soit, 3429 euros), on fait partie de la « classe moyenne supérieure », et les fortunés qui dépassent ce montant sont inclus dans le « groupe élitaire » (sans rire...). Mais les statistiques brutes sont bien plus intéressantes. 37.1% de la population en état de travailler fait partie du prétendu « groupe populaire » avec moins de 1143 euros nets mensuels. 65.1% gagne moins de 1524 euros, 88.5% a un revenu inférieur à 2286 euros et 96.9% gagne moins de 3429 euros. Le « groupe dit populaire » est pour plus d’un tiers formé d’ « exclus » avec moins de 666 euros mensuels nets. Des chiffres accablants si on pense, par exemple, au prix d’un appartement de deux pièces dans la proche banlieue parisienne. Qui peut vivre dignement dans la « démocratie française » de ce début de siècle ? Le pays a bien dégringolé depuis les années 1970, au point qu’on évite les comparaisons directes avec cette période.

On cherche à comparer cet ouvrage avec « Harcèlement moral » de Marie-France Hirigoyen, mais on passe sous silence le véritable trait commun. Dans les deux cas, le discours des « experts » écrase la parole des victimes du système, que l’on invite à « témoigner » mais dont l’opinion ne compte guère. La « bonne vérité » sort de la bouche des « spécialistes » agréés par le système. Et qui peut s’offrir les services d’un avocat spécialisé pour un litige un peu « dur » portant sur une affaire de harcèlement au travail ? S’il faut saisir rien que les Prud’hommes et le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale, le tarif d’un cabinet « costaud » peut, à la fin des courses, dépasser les dix-mille euros, soit trois fois le salaire mensuel de beaucoup de membres du « groupe élitaire » fabriqué par le professeur Chauvel. Quant à ceux qui gagnent le SMIC... Et, si l’affaire nécessite l’intervention des juridictions civile et pénale, la somme peut facilement doubler. En matière de litiges au travail, certains cabinets font directement des offres aux employeurs leur proposant des « forfaits licenciement » qui comprennent une visite du lieu de travail, la préparation de l’entretien de licenciement, la lettre de licenciement, les Prud’hommes et la Cour d’Appel. Pour les salariés, ce n’est guère la peine de lancer des offres de ce genre : la plupart ne peuvent pas suivre. Et que peut-on lire d’autre sur le livre de Louis Chauvel ?

Le Figaro écrit : « le salaire annuel d’un trentenaire lui permettait en 1984 de s’offrir 9 mètres carrés à Paris contre 4 seulement aujourd’hui ». C’est occulter sciemment l’essentiel : en mars 1977, Jacques Chirac est devenu maire de Paris et, dès sa prise de fonctions, il s’est employé à attirer versl’immobilier parisien les capitaux issus de la spéculation, notamment pétrolière. Une telle politique revenait à chasser de l’enceinte de Paris les citoyens aux revenus modestes. Il y a eu également la montée des taux d’intérêt et, depuis 1982, la politique dite d’abord « de rigueur » et ensuite d’ « austérité ». La véritable question n’est donc pas celle du pouvoir d’achat immobilier dans la ville de Paris en 1984, mais dans les années 1970 avant l’arrivée de Jacques Chirac à la Mairie. Le Nouvel Observateur évoque le cas d’un couple formé d’un cadre et d’une infirmière qui n’est plus en mesure de s’offrir de véritables soins dentaires. Mais il ne soulève pas la véritable question : combien de Français reçoivent, aujord’hui, des soins médicaux suffisamment conséquents ? Combien, confrontés à une maladie tenace ou difficile à caractériser, peuvent accéder à suffisamment d’analyses et de traitements pour aboutir à une complète solution du problème ? Le résultats d’une enquête indépendante pourrait s’avérer très différents de ce qu’affirment haut et fort les « experts » institutionnels.

Curieusement, presque personne n’a rappelé à cette occasion les revenus des principaux PDG, de l’ordre que quelques millions d’euros par an. Plus de cent fois les salaires de la plupart des membres du « groupe élitaire » . Ou les fortunes des super-riches français, de l’ordre de milliards d’euros et pouvant même dépasser les dix milliards, soit un million de fois le SMIC annuel. C’est comme si les oligarchies ne faisaient pas partie de la société. Un « oubli » qui n’empêche pas le Nouvel Observateur de citer, à propos de la prétendue « classe moyenne supérieure », ces incroyables propos d’un membre de l’Observatoire des Inégalités : « En France, on n’aime pas se dire riche. Alors, on se dit « classe moyenne »... Pourtant, le fait de pouvoir se payer une nounou ou une femme de ménage, c’est justement le signal qu’on est en train de sortir de la classe moyenne ». A nouveau, on ne parle pas d’un pays dit « pauvre » mais bien de la France théoriquement « riche ». Belle mentalité. Mais de tels propos cherchent, en somme, à cacher ou à dénaturer la réalité qui dérange. A savoir, la dégringolade économique et sociale du pays au cours des trois dernières décennies en dehors des grandes fortunes, d’une nomenklatura gestionnaire et de quelques affairistes.

Les dictionnaires qui assimilent prolétariat et travail manuel ont tort. Un prolétaire vend sa force de travail, manuelle ou intellectuelle, et ne participe pas aux profits découlant de l’exploitation de ce travail. C’est aujourd’hui le cas de la très grande majorité de ce que le professeur Chauvel appelle les « couches moyennes », voire même d’une partie de ce qu’il voudrait ériger en « groupe élitaire » mais dont les revenus sont inférieurs de deux ordres de grandeur à ceux d’un PDG. Le prolétariat comprend aujourd’hui, en tout état de cause, plus de 95% de la population française. C’est la deuxième réalité qui dérange, par les implications politiques que pourrait avoir une prise de conscience collective de ce phénomène social nouveau. Mais les faits sont là : comment valablement assimiler aux « classes moyennes » un revenu annuel de quarante-mille euros nets, alors qu’il faut plus de six fois cette somme pour s’acheter un petit logement ? On a affaire à du prolétariat « aisé », par rapport à la situation de misère et de précarité scandaleuses de ceux qui gagnent moins que le SMIC, mais pas plus. La « prospérité de la France » a cessé d’exister. Quant aux différents métiers et professions, ils ont été progressivement privés de leur autonomie et de la reconnaissance de leur qualification, la mondialisation et le dumping social aidant. Et, comme le reconnaissent tous les experts du système, la délocalisation de capitaux et entreprises se poursuivra à la recherche de salaires encore plus bas, sans qu’aucun des grands partis politiques qui sollicitent le vote des Français n’ait la moindre intention de l’empêcher.

Contrairement aux thèses de Louis Chauvel, il n’y a pas dans la France actuelle une multiplicité de « classes » mais une grande classe de prolétaires tendant de plus en plus à englober la quasi-totalité de la population, en face d’une « élite » très restreinte qui cumule des masses croissantes d’argent et des avantages de plus en plus scandaleux. Analyse « marxiste » ? Certains le diront, mais je pense qu’ils auront tort. Aujourd’hui, une telle constatation ne relève pas de la doctrine mais du simple bon sens. La notion de « nation » de la Révolution Française et celle de « prolétariat » du mouvement ouvrier du XIX siècle ont fini par fusionner sociologiquement à peu de chose près. Telle me semble être la donnée nouvelle, et la réalité gênante que les « élites » politiques s’emploient à étouffer mais qui explique leur coupure avec la population du pays.

C’est un incroyable paradoxe. On reprochait jadis au marxisme de chercher à diviser la société en classes sociales. Mais, maintenant que la nation toute entière devient de plus en plus du prolétariat à quelques super-riches près et laissant de côté une petite nomenklatura industrielle, financière, politique et étatique qui travaille pour ces super-riches, avec quelques patrons influents, propriétaires immobiliers, spéculateurs, rentiers... ce sont les « élites » de la pensée unique qui s’emploient à diviser la population en nombre de prétendus groupes et classes artificiels qui auraient, nous dit-on, des intérêts différents. Chacun devant rechercher sa place au sein d’un « ordre économique » qu’il n’est pas question de transformer en profondeur. Un discours qui semble bien refléter la crainte, de la part des milieux dominants, d’un mouvement social où une majorité écrasante de la population comprendrait qu’elle a des intérêts communs essentiels à défendre... et agirait en conséquence.


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