Lucilio
Merci de ne pas me tutoyer...
Vous avez oublié quelques détails...
Ce serait gentil de m’en remercier
Le Chili est le seul pays du
monde à avoir conduit l’expérience de la privatisation complète des
retraites durant une période de plus d’un quart de siècle. A ce titre,
il fait figure de laboratoire. Inspirée directement des théories de
Milton Friedman et imposée de façon autoritaire par le général Augusto
Pinochet, la réforme fut mise en œuvre dès 1980, sans consultation
aucune du Parlement ou de l’opposition, par l’économiste libéral José
Piñera, qui voyait dans la capitalisation le système idéal (3).
Le pays se relevait alors d’une crise très profonde et vivait une
période de renouveau économique et de croissance rapide, dépourvue de
récession majeure. Sans connaître de hausses spectaculaires, les
salaires augmentaient régulièrement et, par un effet mécanique, les
capitaux s’accumulaient dans les caisses de sécurité sociale. Dans le
même temps, la privatisation des entreprises offrait des occasions
d’investissement extra- ordinairement
rentables.
Avant que l’actuel effondrement boursier ne vienne ébranler la
confiance des opérateurs financiers et ne discrédite l’utopie des
intérêts capitalisés, les Bourses et monnaies des pays émergents, dont
le Chili, profitèrent considérablement de l’énorme bulle spéculative des
années 1990 à 2000, et les compagnies administratrices de fonds de
pension chiliens (Administradoras de Fondos de Pensiones, AFP) purent,
pendant près d’un quart de siècle, afficher des taux annuels de
rentabilité exceptionnels, de l’ordre de 10 %.
Plus de droits pour les hommes que pour les femmes
En apparence, le Chili réunissait les conditions optimales pour
faire la preuve de la supériorité de la capitalisation. Pourtant, les
Chiliens réalisent aujourd’hui que les AFP ne sont pas en mesure de
tenir leurs promesses. Des millions d’entre eux percevront au moment de
leur départ en retraite des sommes infimes (de 8 à 16 euros par mois),
quand le salaire minimum est de 135 000 pesos (156 euros).
Que s’est-il donc passé ?
Depuis 1981, à
l’exception des 3,8 % de Chiliens qui parvinrent à conserver leur ancien
régime par répartition (parmi eux, les militaires et les policiers) et
des 3,5 % cotisant à la caisse des indépendants, l’ensemble de la
population active est obligatoirement affiliée à un régime par
capitalisation. Cependant, le marché de l’emploi est devenu si précaire
que seuls 11 % des salariés parviennent à effectuer des versements sur
une base mensuelle. Les statistiques communiquées par les AFP
elles-mêmes démontrent qu’en moyenne les deux tiers des assurés ont
cotisé moins d’un mois sur deux ; la moitié, moins d’un mois sur trois ;
et un tiers, moins d’un mois sur
cinq.
Dans les mégapoles des pays émergents, la frontière entre secteurs
d’activité formels et informels est de plus en plus floue. Des millions
de travailleurs alternent contrats de courte durée et périodes de
chômage ou de travail indépendant, en attendant un emploi plus stable.
La précarité est encore plus patente pour les femmes, qui opèrent un
va-et-vient constant entre emploi salarié et travail au foyer. Dans un
tel contexte économique et social, un système prévisionnel reposant sur
l’hypothèse d’une manne générée par les intérêts capitalisés de
l’épargne salariale ne pouvait se
maintenir.
Après avoir entendu les critiques et recueilli les propositions
émanant entre autres de l’opposition de gauche, la présidente Michelle
Bachelet décidait, au début de 2008, d’instaurer un « filet de sécurité »
garanti par l’Etat : une allocation publique de solidarité d’un montant
de 120 euros par mois, équivalant à 60 % des revenus salariaux les plus
modestes, et un complément alloué aux bénéficiaires des AFP recevant
des prestations inférieures à 315 euros. L’adoption de ces mesures
prouve à l’évidence qu’une politique de retraite par capitalisation,
même menée dans les meilleures conditions, ne répond pas aux besoins
essentiels d’une population. Au Chili, elle laisse sans revenu les deux
tiers des retraités..."
(Manuel Riesco)