oui, et le problème serait bien de trouver comment il aurait pu être bien plus moderne dans un siècle XX où tout le monde poétique a renvendiqué son drapeau. Comment il aurait pu se mettre lui et son art à distance de tous ses thuriféraires et autres imitateurs, lui aujourd’hui muséifié consensuel lui le modèle de Brigitte Fontaine d’Higelin, lui la réference poétique de Michel Drucker de Soan comme d’Yves Bonnefoy
A ce propos, copié du blog d’Assouline avril 2009 ici http://passouline.blog.lemonde.fr/2009/04/27/rimbaud-le-detail/comment-page-1/
Imaginons le pire.
La statue de Rimbaud a dominé le XXe siècle. Rimbaud est devenu le symbole de l’aventure littéraire, et au-delà même, l’allégorie de l’expression et de l’expansion vitale de l’être.
Le collège enseigne le “poète aux semelles de vent”. Plus d’un adolescent se sent encore frère de ce marginal en révolte. Des Illuminations fleurissent un peu partout. L’expérience rimbaldienne est l’alchimie absolue, le nec plus ultra de l’audace libératrice, en matière de création poétique.
Au nom magique de “poésie” l’école surréaliste vient à annexer à peu près toutes les expériences possibles - même si sous la férule du jeune homme audacieux et libérateur, jamais tant d’anathèmes, d’oukases et d’excommunications esthétiques ne sont prononcés qu’au cours de ces années 1920…
Bien sûr il est commode de mettre les morts dans son camp, de s’en faire des alliés d’autant plus puissants que virtuels. Rien n’empêche toutefois d’imaginer le pire.
Imaginons Rimbaud assistant à son intronisation.
L’invention poétique - l’invention artistique (comme politique, comme scientifique) - ne s’est jamais bornée à l’admiration docile. Elle est faite de conquêtes et de remises en cause. Explorer, élargir l’univers des sensations humaines passe même le plus souvent par le bris des anciennes idoles.
Car nous avons changé d’époque. Le temps est mort, où cinq poètes rassemblés dans une chambre pensent mettre la vérité du monde en sonnets (mardis de Mallarmé) ; où quelques symphonistes croient donner la suprématie à la musique allemande pour cent ans (Schönberg), où de grands fronts géniaux s’imaginent saisir l’essence du monde et défient le ciel grondant d’orage. Nous voici “à l’heure de la neurolinguistique ; de la bioacoustique ; et nous voici dans l’ère et l’aire “hi-tech” de tous les décloisonnements culturels”.
“Il est temps de sentir nos œillères - culturelles, linguistiques, lexicales. Voici l’Afrique, l’Inde, la Chine et cent contrées, cent mondes nous offrant leurs poètes, leurs chantres virtuoses, leurs shamans exaltés - naïfs, conscients, lucides, maîtres de leurs moyens, inspirés dans leur art. Leurs langues, classiques, dialectales, leurs styles secs ou fleuris y portent aussi bien à l’émotion intime qu’à l’introspection ou à la transe collective. Les fioritures extrêmes du kriti, le « récitatif aux huit timbres », le « chant chuchoté » - tant d’extraordinaires particularités de tous les arts du monde, les uns traditionnels, les autres récents (y compris les concerts de l’art pop, l’art vidéo, les « performances », la « culture urbaine »…) vivent manifestement hors cadre rimbaldien, mallarméen, mais saisissent le rapport au monde et rythment l’action bien plus sensiblement qu’un poème dans son livre... " (*)
N’y aurait-il donc pas d’au-delà à Rimbaud ?...