Autant je peux trouver un certain esthétisme à voir deux boxeurs ou boxeuses se foutre sur la gueule, autant je n’en trouve aucun dans la mise à mort programmée du taureau.
Déjà il y a une inégalité de traitement entre les protagonistes d’une corrida. Le taureau n’est pas spécialement entrainé à combattre un pantin en habit de lumière, son propriétaire développera avant tout sa puissance et sa combativité, certainement pas son adresse et son agilité qui seraient pourtant de plus sûrs moyens pour l’animal d’embrocher le pantin.
Normal me direz-vous puisqu’il s’agit de montrer encore à ceux qui en douterait à l’heure où l’on parle d’envoyer des hommes sur Mars pendant que chaque minute plusieurs dizaines d’enfants meurent de misère dans le monde, que l’intelligence de l’homme est supérieure à l’instinct animal. L’homme et sa vanité...
Mais avec les corridas il ne s’agit pas tant de montrer la supériorité que de justifier ainsi la domination de l’espèce humaine sur toute les autres espèces comme mise en scène de la supériorité des hommes. L’intelligence serait alors l’étalon qui nous permettrait de hiérarchiser les formes de vie, hiérarchie au sommet de laquelle se trouverait les humains (à l’intérieur desquels il existerait aussi une hiérarchie selon le sexe, la race, l’origine, le métier...) puis les animaux (mammifères, reptiles puis insectes), viendrait les plantes, ensuite le plancton, microbes, virus... Il va sans dire que cette position que nous aimons imaginer être « au sommet de l’échelle alimentaire » (bien que les vers et les mouches que nous dénigrons se repaissent de nos cadavres...) nous autorise à tous les abus sur les espèces supposées inférieures.
Le pire dans cette mise en scène de la supériorité de l’intelligence humaine comme justification de notre domination est la glorification de la violence et de la fascination qu’elle peut exercer, violence du concept : une mise à mort programmée et attendue du public, violence de la joute elle-même par les efforts physiques que déploient les deux adversaires : le seule violence qui à l’instar des boxeurs puissent à mon sens trouver une justification esthétique, violence des pénétrations des piques destinées à affaiblir le taureau trop coriace, violence de la pénétration des épées dans la chair et des jaillissements de sang lors de la mise à mort, violence de la souffrance de la bête... et surtout violence gratuite qu’aucun impératif de survie ne vient expliquer, juste la vanité.
Il n’y a pas de violence sans souffrance. Magnifier l’un sans se soucier de l’autre c’est agir sans conscience. On ne doit pas user de violence lorsque notre intégrité physique ou celle d’autrui n’est pas en jeu. La violence doit être un réflexe de survie, pas un spectacle monté en institution, pas une corrida.