En revenant d’une balade très peu
champêtre, nous nous rendons dans le quartier de Belleville à Paris.
Quelques heures plus tôt, une manifestation y avait démarré pour
dénoncer, selon les mots des organisateurs : « Les violences chroniques
dont est victime la communauté chinoise ». En cause : des vols de sacs,
agressions, dépouilles. Une manif aux relents bien réactionnaires,
comme en témoignent les slogans criés et inscrits sur les banderoles et
pancartes :« Sécurité pour tous », « Vive la citoyenneté », "Stop la
délinquance", drapeaux français, chinois et européens, hymne national.
On ne comprend pas bien de quelle violence il s’agit (ayant plutôt
l’habitude de phénomènes de violence intra-communautaire dont nous
parlerons plus tard), mais nous comprendrons plus tard ce qui se
cachait derrière cette manifestation.
Après
la fin officielle de la manif, l’ambiance est très chaude sur place,
des gens sont attroupés, des camions de flics arrivent en masse. On
entend à droite à gauche des bruits de casse, puis un torrent de
violence se déchaîne sur les flics, attaqués à mains nues et au corps à
corps par des centaines de personnes, qui leur jettent œufs, pierres et
bouteilles de verre. Des voitures sont retournées, des CRS se font
charger et sont obligés de reculer.
Face à ce déchaînement de
violence anti-flic, nous hésitons à entrer dans la danse, mais nous
attendons, par « prudence éthique ».
Tout d’un
coup, les gens se mettent à courir. Nous pensons que tout le monde fuit
une énième charge de keufs, mais nous nous rendons très vite compte
qu’il s’agit d’autre chose. Des manifestants étaient en train de
poursuivre des gamins, qu’ils ciblaient « noirs et arabes », en leur
lançant des bouteilles de verre. Un des gamins tombe à terre, et tente
de se réfugier sous le perron d’une porte. Courant à leurs côtés, nous
devons alors calmer la fureur des lyncheurs. Ceux-ci lâchent prise,
cette fois-ci. Nous comprenons, en écoutant les conversations : que
« les flics ne faisant pas leur travail, et laissant les voleurs en
liberté, les manifestants auraient décidé de prendre l’affaire en main
et de se venger eux-mêmes ». Nous comprenons aussi que tout serait
parti du vol du sac à main d’une manifestante par un gamin du quartier,
puis de la tentative des manifestants de livrer le gamin aux flics, qui
n’en auraient pas voulu. C’est à partir de là que les manifestants ont
déchainé leur violence contre les flics. Une violence sans retenue,
comme on a pas l’habitude d’en voir. Une violence pour punir les flics
de ne pas assez bien faire leur boulot.
Les flics
décident de battre en retraite, en noyant la place sous un épais nuage
de lacrymo tiré dans le tas. C’est plus d’une cinquantaine de cametards
de flics qui disparaissent en un clin d’œil, au moment même où la
violence commençait à atteindre un pic. Clairement, les flics ont
décidé d’abandonner la place, pour laisser se dérouler des violences
inter-communautaires, alors qu’une heure plus tôt, c’est contre les
flics que tout le monde s’acharnait. Se crée alors un ballet entre
trois à quatre cent membres de la communauté chinoise et quelques
gamins noirs et arabes, parfois passés à tabac au sol par plusieurs
dizaines de personnes, accusés à la va-vite d’être des voleurs, sous
les yeux assoiffés des journaflics ayant flairé l’odeur du sang et des
gros-titres, en bon charognards qu’ils sont. Mais précisons qu’à
l’heure où nous écrivons ces lignes, rien n’est encore sorti de précis
dans les médias sur ce qu’il s’est réellement passé. Nous avons pu
observer des sortes de milices improvisées, réunissant plus d’une
centaine d’asiatiques, allant dans la cité voisine pour casser du noir
et de l’arabe, dans une chasse à l’homme rappelant les pogroms.
Durant
ces émeutes, nous avons ressenti chez les émeutiers chinois une haine
farouche contre les « voleurs ». Par exemple, après qu’une voiture
banalisée de flics fut renversée, et son gyrophare coupé, des personnes
ont commencé à fouiller dans le coffre, immédiatement prises à partie
et lynchées car accusées d’être des voleurs, par les mêmes personnes
qui avaient retourné la voiture. Autant dire que l’incompréhension nous
gagne à ce moment.
Cette chaude après-midi, et
les évènements qui l’ont marquée, semblent préfigurer un scénario de
guerre civile qui se développe de-ci, de-là en ces temps de « crise ».
L’attitude de la police vient confirmer cette impression, elle qui a
quitté les lieux au moment où elle sentait que la rage à son encontre
était en train de remplacer la haine ethnique entre les gens. Nous
pouvons imaginer que pour le préfet une bonne émeute raciste est
préférable à une émeute tournée contre les flics, et autres symboles de
l’État et du capital (banques et autres McDonald’s sont restés intacts).
Au fond quel besoin d’une présence policière dans une émeute contre des « délinquants » ?
Précisons que toutes les semaines, des chinois se font rafler par
dizaines par les flics, et ce dans l’indifférence générale, sans qu’une
seule manifestation aussi importante ne soit appelée. De même, jamais
nous n’entendons une quelconque protestation contre l’exploitation de
chinois par d’autres chinois. Cette violence-là, celle de
l’exploitation, n’est jamais dénoncée.
Impuissants et tristes face à ce spectacle infâme, nous tenons tout de même à exprimer quelques positions claires.
Cette
journée a prouvé que toutes les émeutes ne sont pas bonnes, malgré ce
que peuvent en penser les quelques hooligans et nihilistes qui y
croient encore, par leur apologie de la guerre civile.
En outre,
nous croyons qu’il est nécessaire de déserter les guerres entre
pauvres, entre ethnies et entre toutes les communautés imaginaires,
entre tous les rôles sociaux tout aussi imaginaires : "honnêtes
travailleurs chinois« contre »voleurs arabes".
La guerre sociale
n’est pas la guerre de tous contre tous, mais la guerre qui de tout
temps a opposé la domination à tous ceux qui ne la supportent pas.
Encore et encore, il faudra nous battre contre les cancers nationalistes, ethniques, communautaristes, religieux et politiques.
Des anarchistes.