Je disais que l’admiration des espérantistes pour tout ce qui se passe en espéranto est sans bornes ; tout ce qui sort de là est jugé comme de peu d’intérêt, et s’il est vrai qu’il serait techniquement possible d’avoir une conversation qui ne parle ni de Zamenhof ni de la pertinence de l’accusatif, les conversations sortent rarement de ces deux domaines. Là est le sectarisme, qui est une attitude fort répandue, même hors des sectes. À des degrés divers, lorsque nous refusons les différences de l’autre, nous en sommes tous coupables.
Notre panthéon moderne est divisé entre divinités bénéfiques et maléfiques. Hitler, Staline d’un côté, Einstein et Tolstoï de l’autre. Dans cet exemple, la frontière est claire. Si j’ai Einstein, Tolstoï ou un prix Nobel quelconque de mon côté, c’est que j’ai raison ; si par contre on me jette Hitler et Staline à la tête c’est que j’avais tort. Les choses sont beaucoup moins claires en ce qui concerne Fidel Castro ou le Pape, par exemple - bons, mauvais ? Ambidextres ? Rien de tout cela, braves gens, ce sont des Bons. Ils soutiennent l’espéranto. Dès que Karol Wojtyla prononçait ses vœux Urbi et Orbi, indépendamment du sens profond de son message, quelques zélateurs lançaient la nouvelle : « Écoutez bien le pape, cette année encore il parlera espéranto ». Ces alliés inattendus n’ont pas une seule fois attiré l’attention des foules sur le contenu, seul l’emballage leur ramène des clients.
Bien sûr, il faut faire la part des choses : l’espéranto est un agréable jouet. Mais il faut savoir que l’espérantisme, non seulement isole (le reste du monde ne parle pas comme Nous, peuple élu), mais en plus, comme démontré plus haut, il digère l’esprit critique.