Une relation biunivoque entre deux ensembles est une relation qui à chaque élément du premier ensemble fait correspondre un élément et un seul du second. Si l’on a pu établir une telle relation, alors on est en droit d’assimiler les deux ensembles car on peut passer de l’un à l’autre de façon automatique en appliquant la table d’équivalence ou la règle explicitant la relation biunivoque.
On peut considérer que les Bretons, dans leur immense majorité, pour des raisons culturelles et historiques que l’on a pas besoin de détailler, portent en eux deux vocations nationales : la bretonne et la diasporique, c’est à dire, au fond, la française.
Elles ne sont jamais traitées sur le même niveau, ce qui est parfaitement normal, mais cette relation n’est pas biunivoque et, de fait, pénalise l’efficacité d’une coordination pourtant souhaitée par les deux groupes.
La nationalité française de la diaspora bretonne est visible partout, elle est évidente, et se place d’emblée comme marqueur efficace d’altérité. Sans disserter sur les caractéristiques de cette nationalité et de ce qu’elle peut justement impliquer dans le rapport à la notion d’altérité (!), on constate que, sorti des frontières françaises, un Breton assume généralement parfaitement cette nationalité. Cette nationalité implique par ailleurs très fortement, voire consubstantiellement, un attachement fort à l’Etat, ce qui dans un contexte diasporique, implique une solidarité de citoyenneté, plus qu’une solidarité nationale. Par ailleurs, il faut souligner que les relations internationales ne sont vécues que sur un mode interétatique (confusion si courante anglais/britannique, exemple parmi tant d’autres)
La nationalité bretonne de la diaspora, elle, est vécue de façon
hirsute. Pour des raisons évidentes (perte de la langue pour les Bretons
concernés, ignorance quasi totale de l’histoire de Bretagne, réflexe
d’Etat) la nationalité bretonne se comporte à peu près exactement comme
ce que la psychanalyse traditionnelle désigne comme l’inconscient, avec
le lot de lapsus, d’actes manqués, qui viendrait en quelque sorte
parasiter la visibilité lisse d’une nationalité française affichée. Ce
refoulé national s’exprime également dans une sorte de rhétorique que
nous qualifierons de poétique : autosatisfaction purement verbale d’être
breton (cela n’est pas et ne peut pas être réellement vécu pour
l’instant), nostalgie et amour déclaré du pays, dans les limites que lui
réservent les clichés français (la mer, la gastronomie, un certain
folklore, musical ou culinaire). Une place à part doit être réservé au
discours économique ou technocratique : « la Bretagne est riche,
compétitive, a réussi à s’en sortir… ».
Pour nous, il s’agit purement et simplement de légitimer avec les moyens
du bord la résurgence individuelle de sa propre nationalité bretonne.
Une sorte de lapsus travaillé, de sublimation rhétorique d’un sentiment
qui de toutes façons, ne s’inscrit jamais dans le réel.
Dans tous les cas, la relation entre Breizh et la diaspora est univoque et est délimité par les acteurs politiques, économiques, associatifs, identitairement corrects et déclarés représentatifs de la Bretagne, et les formules obligatoires (”nous sommes ouverts sur le monde”, “nous nous intéressons à la diaspora” ? “Le thème de la diaspora est très tendance”,”donnez-nous votre fichier d’adresses”, etc. ») qui rappelle la colonisation, la prière au chapelet ou la politesse conventionnelle.
A qui s’adresse réellement ce discours ? Il pourrait être utile de se demander si pour les Bretons expatriés, le marqueur d’altérité n’est pas plus important que le marqueur de la nationalité bretonne qu’ils utilisent. L’essentiel étant, ne l’oublions pas, de vivre, de s’insérer, de se démarquer, dans un contexte international où la nationalité française apporte alors tout ce dont l’expatrié peut avoir besoin (services consulaires, formalités administratives, sécurité, scolarité, santé).
Dans le contexte général de la diaspora, on peut regretter le refoulement de la nationalité bretonne et ses conséquences, mais il faut bien reconnaître la difficulté pour le Breton de l’Étranger d’inscrire sa nationalité bretonne dans le réel. A cela deux raisons : i) la relative ignorance de la Bretagne des motivations et des réalités de la vie de l’expatrié ii) la relative condescendance des acteurs politiques, économiques, associatifs, déclarés représentatifs de la Bretagne vis a vis des Bretons de l’Etranger iii) hors des frontières de France, les bretons sont français. Dans un environnement francophone, la citoyenneté française devient même le seul critère apparent d’altérité.
Les acteurs politiques, économiques, associatifs, déclarés
représentatifs de la Bretagne ne devraient pas penser que les Bretons de
l’Étranger souffrent du « syndrome de l’utérus » causé par l’éloignement
de la Bretagne. Les Bretons de l’Étranger ne fantasment pas leur propre
Bretagne. S’ils sont coupés des réalités quotidiennes bretonne, ils ne
se réfugient pas pour autant dans la folklorisation de la Bretagne. Dans
tous les cas, la nostalgie reste un phénomène individuel, et la
Bretagne est une auberge espagnole. Si en Bretagne, le peu de tissu
social breton, (et par là nous entendons aussi bien un réseau bancaire
commun, un secteur de prospection pour un commercial, que les migrations
des étudiants à Rennes ou à Nantes, voire France 3) peut forger un
embryon de sentiment national, à l’étranger, il ne peut être que
différent et plus préoccupée des réalités du pays d’accueil.
Bref, encore plus qu’en France, être breton à l’Étranger ne sert
strictement à rien, sauf si une réelle relation biunivoque s’instaurait
entre les Bretons de Bretagne et les Bretons de la Diaspora.
La préoccupation affichée de “faire la promotion d’un site dont
l’objectif est de recruter les Bretons de l’étranger pour en faire des
ambassadeurs” n’a aucun sens et ne peut, à l’étranger, évidemment pas
exister, Le discours devient parfaitement inefficace. Le discours, dans
un tel contexte, ne peut attirer que plus de « rêveurs » encore qu’ils
n’en attirent en Bretagne. Adieu l’efficacité.
Il nous semble que l’on retrouve ici ce qu’il y a de pire en Bretagne, du point de vue de l’inscription de l’identité bretonne dans le réel.
Il nous semble qu’il y a un gros manque de discours. De la rhétorique poétique ou mythique, il faut passer à la rhétorique du business, au sens d’une pratique quasi culturelle, où la réussite des exportations bretonnes et les investissements bretons à l’étranger sont avant tout le marqueur d’une réussite nationale bretonne. On peut imaginer de faire de la communauté bretonne de la diaspora une sorte de plateforme stratégique opérationnelle, en ayant en tête que l’action commerciale et les pratiques utilisées ici apporteront des éléments de méthodes pour la Bretagne elle-même.
Mais cette relation doit être biunivoque. Une diaspora ? Oui, pourquoi pas. Mais c’est tout un tissu social à construire ou à reconstruire, des services à proposer (aide administrative, pallier la solitude, etc.), des aides pour les Bretons de l’Étranger à la création d’entreprises en Bretagne, des appuis logistiques et humains d’aides à l’exportation et notamment d’exportation de l’expertise bretonne.
Claude Guillemain
Réseau des Bretons de l’Etranger - RBE -
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