La science, Allègre et nous
On peut, à l’instar de Denis Sieffert,
réunir Claude Allègre, Georges Frêche et Michel Charasse (mais sûrement
aussi quelques autres) dans le parti des « beaufs », lesquels sont
identifiables par leur discours trivial, l’apologie de la croissance,
ou le choix du scientisme contre la précaution. Les « beaufs de
gauche », tout autant que ceux de droite, s’avèrent ainsi en forte
proximité avec les manières et la philosophie sarkozystes, ce qui peut
expliquer la place démesurée que les médias accordent à leurs saillies.
Le bouquin d’Allègre sur le climat se vend très bien, ce qui pourrait
laisser croire que la critique de la science officielle est populaire.
Ce n’est pas exact, pourvu qu’on ne confonde pas la science (le savoir,
la connaissance) avec son enfant bâtard quand elle a copulé avec le
négoce (la technoscience, l’« innovation compétitive »). Le public est
intrigué plutôt que séduit par le combat solitaire, et a priori supposé
courageux, d’un scientifique qui se dresse quasiment seul contre le
discours majoritaire, celui du Giec mais aussi du bon sens, qui voit
bien que l’homme a épuisé sa planète. Pourtant, la posture d’Allègre ne
peut pas suffire à lui donner raison, surtout si on connaît
les arrangements avec la vérité dont le personnage est coutumier depuis
plus de trente ans mais qu’il camoufle soigneusement.
Comment choisir où est la « bonne science » entre les travaux du
Giec et les insultes d’Allègre ? Le débat sur la réalité et surtout sur
l’origine des changements climatiques introduit une nouveauté dans les
rapports entre science et société : ici, il ne s’agit pas d’expertiser
des artifices mais le savoir lui-même. Cependant, la question porte des
conséquences immédiatement politiques et économiques, et il est alors
tentant de donner raison au Giec parce que ses conclusions, largement
consensuelles, desservent les intérêts des lobbies industriels. Dans
l’affichage médiatique, les négationnistes du climat sont largement
gâtés (la plupart des débats opposent un membre du Giec à l’un d’eux,
comme si tout se valait) parce qu’ils rassurent et qu’ils encouragent
la pulsion de consommer. Pétroliers, constructeurs d’automobiles,
banquiers ou marchands d’OGM, tous les puissants soutiennent les
« savants » qui œuvrent afin que rien ne change dans nos modes de vie…
jusqu’au mur final.
Pourtant, prétendre que l’ennemi objectif des méchants est forcément
celui qui porte la vérité est un peu facile et tricherait avec la
raison. Quand le verdict des experts est conforme aux intérêts des
puissants, comme il arrive presque toujours, le citoyen doit
s’interroger sur la qualité vraie de la vérité scientifique. Mais on ne
peut pas supposer que la complaisance nourrisse les rapports du Giec,
insupportables pour les apôtres de la croissance infinie. Alors, ces
rapports ne pourraient être invalidés que par l’erreur. Pourtant, sauf
peccadilles dûment dénoncées par les climatio-sceptiques, on peine à
croire que des erreurs significatives aient pu passer inaperçues lors
de l’élaboration par des milliers d’expert. Ainsi, par la seule raison,
ceux qui ne sont même pas climatologues sont amenés à soutenir les
résultats du Giec contre les élucubrations d’Allègre !