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Commentaire de easy

sur Trois esclavagistes reçoivent le Nobel de l'économie


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easy easy 12 octobre 2010 16:11



Il y a 30 ans, je ne savais rien de ce que Marx ou Nietzsche avaient dit du travail. Et, la tête dans le guidon, je bossais. Puis, vers 68 sans doute, j’ai commencé à assister à un phénomène qui m’avait beaucoup surpris : le discours syndical. Il y avait comme des gens super intelligents, qui parlaient super bien et qui disaient à ceux qui bossaient et grillaient leurs saucisses le WE entre potes : « Vous vous faites encouler à sec par le patronat »

Le soir, dans la barre, il y avait des représentants qui passaient et disaient à ma mère que concernant son assurance, « Vous vous faites encouler par des voleurs ».
Et le WE, il y avait des Témoins de Jéhovah qui sonnaient pour nous dire que « Vous vous faites encouler par Lucifer »

J’étais à la fois consterné et perplexe. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivais. La veille, je bossais, je regardais Zorro, je pensais aux filles, heureux comme Alexandre le Bienheureux et là, sous le coup de ce qu’on me disait, je devenais triste de me faire encouler par tous les trous sans rien sentir de spécial. Et en même temps, j’avais les yeux mouillés de reconnaissance envers tous ceux qui savaient mieux que moi qu’on m’encoulait en long, en large et en travers et qui se donnaient la peine de me prévenir.

Je voulus donc en savoir plous (bin oui, à force) et je courais vers ceux qui discouraient. De François de Closet qui conférençait que nous étions encoulés par les OVNIS à Mouna qui hurlait que nous étions encoulés par l’auto, le béton et le canon en passant par tous les JJSS et autres Matins des magiciens, plus j’apprenais que je me faisais mettre partout, plus j’avais hâte d’apprendre où encore je me faisais mettre. Comme si la découverte d’un nouvel encoulage purifiait les péchés des précédents.
 



Bosser pour une boîte, pour un patron est devenu, depuis 20 ans, soit une marque de grande débilité, soit une preuve d’idiotie.
Il devint capital de ne pas bosser pour le capital.


Chacun fonce alors vers un boulot de fonctionnaire, là l’ubermensch fonctionne certes dans une fonction m’enfin il ne bosse pas pour un patron. Pis en plus c’est comme altruiste car on bosse pour la collectivité. C’est pas con. 
Ceux qui bossent tout de même dans une entreprise (en jurant tous les grands dieux leur motivation d’enfer) font tout ce qu’ils peuvent pour ne jamais donner à penser aux collègues, au conjoint, à ses parents, à ses amis et à son chien, qu’ils se font empapaouter.


Je n’étais pas là, mais partant de ce que j’ai vécu et ressenti à mes débuts dans la vie professionnelle, je vais à croire que les gens qui bossaient dans les mines de charbon avant Zola, ignoraient superbement Nietzsche et trouvaient une ardeur sincère à bien faire leur boulot, sans penser un seul instant que leur sacrifice permettait à leur boss de jouer au golf dans le même temps. (Dans les mines de Lorraine, il y avait même eu une période où les mineurs croyaient être des héros sauvant la France. 30 ans après, ils se sont sentis boulets de la France. Idem pour toutes les industries autrefois flamboyantes).


De la même façon qu’il avait été possible de faire croire aux mères enfantant qu’elles étaient héroïnes, on avait pur faire croire aux ouvriers et agriculteurs qu’ils étaient indispensables à la Nation. Et les gens étaient fiers de se croire utiles, voire irremplaçables.

Et progressivement, chacun devint bachelier et plus personne n’a osé affirmer qu’il se plaisait à la chaîne chez Renault, Michelin ou Lip. A la rigueur on pouvait supporter la honte de bosser à l’usine mais il fallait au moins que ce soit payé nettement plus, il fallait que ça permette de se rendre en charter à Calcuta pour se délecter de l’extrême misère des bougnoules.

Je trouve que l’état d’esprit des travailleurs a beaucoup changé avec l’épisode des hôtesses de l’air, des pilotes de ligne, des stewards. Avec l’aviation, apparaissaient soudain des métiers paradisiaques où l’on passait la moitié du temps à servir le Champagne et l’autre à le déguster au bord d’une piscine à Rio ou Singapour.
Mais le cinéma aussi a joué un grand rôle dans la désillusion du travail laborieux. Pas facile de retrouner bosser sur une chaîne de conserverie quand la veille on a vu Gérard Philippe s’amuser comme un fou sur scène (GP a été un des rares acteurs adulés à ne pas réclamer un plus gros salaire que ses camarades de scène).

Et puis il y a eu les métiers de la télé dont on disait que c’étaient des jobs en or. Ensuite il y a eu le tennis, le golf... le foot. Des boulots super bien payés où il n’y a pas de risque que tes gosses te balancent que tu bosses comme un con pour un patron.


Alors je ne sais pas ce que ces 3 nobel d’économie ont découvert d’extraordinaire mais, à en croire notre ami Dugué, ils n’ont pas fait allusion au fait que de nos jours, en France, plus personne ne veut travailler pour un patron. Ce qui peut très bien expliquer qu’il y ait des demandeurs d’emploi en or sur le carreau et des offres d’emploi de merde non satisfaites.


J’ai relevé que ces Nobelisés auraient inventé le concept d’appariement « L’embauche se produit quand le demandeur d’emploi rencontre l’offre qui lui convient »
Très fort 

Moi, j’avais entendu le principe d’appariement il y a 35 ans. En cours de technologie, on nous expliquait que comme il était impossible de fabriquer des pistons et chemises de moteur parfaitement ajustés par usinage, on appariait les pièces usinées en les mariant entre elles en fonction du résultat d’usinage. Après en avoir fabriqué un tas, on les encoulait l’une dans l’autre au hasard et quand ça le faisait bien, on les appariait. 

J’avais également entendu parler d’appariement concernant les inventions. Il y a 40 ans et peut-être grâce à Système-D et le concours Lépine, on croyait dur comme fer aux inventions, aux dépôts de brevet. Comme les réussites d’invention fascinaient, des docteurs nous expliquaient que le succès d’une invention résultait d’une rencontre hasardeuse et heureuse entre une invention et un besoin. Une belle invention sans appariement devenait un échec.



Revenons au chômage en France. Ca fait donc 30 ans que j’entends tous les parents dire à leur gosse qu’il ne faut surtout pas faire éboueur, ni travailler à la chaîne et encore moins engraisser un patron. Il m’avait toujours semblé que ce discours allait finir en impasse.

Il me paraissait intenable ou impossible puisque chacun le réservait à ses enfants ou proches, à ses élèves aussi. Mais personne d’ici ne tenait ce discours face aux Chinois qui devenaient de plus en plus nos esclaves économiques. J’ai vu des gens revenir de Chine et me gaver de leurs séances diapos exposant les latrines moyennâgeuses mais aucun d’eux ne m’a dit avoir harangué les ouvrières chinoises en leur disant « Arrêtez de bosser comme pour les clopinettes, vous vous faites encouler par nous »


Moi, je trouve qu’on ne mérite un prix Nobel d’économie que si l’on parvient à élaborer un système social où tous les boulots sont confortables et bien payés.










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