Bonjour Morpheus,
et merci, merci beaucoup pour cet article aussi intéressant que l’ampleur du flop qu’il semble avoir fait...
Ne vous découragez pas, j’espère sincèrement que vous nous pondrez les deux suites très bientôt.
Je n’ai pas lu le Venus project mais vu les Zeigetz et addendum (même si c’est un peu loin pour ma mémoire de poisson rouge).
Les aspects que vous soulevez sont fondamentaux : vous avez visé juste !
Entrons par là, pourquoi avez-vous visé juste ? On peut raisonnablement supposer que votre parcours qui n’a pas grand chose à voir avec celui de fresco, vous permet de poser un regard complémentaire, et DONC salutaire. Peut-on voir toutes les inscriptions d’une bouteille d’eau en se tenant d’un seul côté ? Peut-on, dans la finitude de la vie, être de tous les bords à la fois ?
Ce point montre, je crois, le biais fondamental de toute « cratie » qui n’est pas la plus multiple possible : elle se prive d’informations fondamentales.
La carence d’information est la manifestation, le stigmate, le fait, du monolithisme, ou la déficience de points de vue, d’approches. Mais c’est la conséquence STATIQUE. D’un point de vue dynamique, que se passe-t-il ?
Beaucoup plus de choses, et beaucoup moins de maîtrise.
En effet, pour faire simple et intuitif, si à chaque instant nous occultons d’une manière ou d’une autre des approches, nous façonnons des projets qui divergent exponentiellement de ce qui serait raisonnable pour nos intérêts.
On peut bien entendu objecter que tout savoir à chaque instant est impossible, et c’est vrai, mais l’idée est de s’interdire d’inhiber des approches en en favorisant d’autres. Je veux dire, non pas sombrer dans la cacophonie, mais permettre que l’expression bien ordonnée d’une idée ou d’un projet (y compris sa réalisation), n’inhibe pas l’expression d’autres idées, même (ou surtout) contradictoires. Il faut apprendre à COMPOSER, et non plus à DÉCOMPOSER.
Mais alors comment faire ? en effet on pourrait schématiser la « gouvernance » en quelques modèles distincts, mais la démarche de tout organisme (individu, groupe, institution, état, groupe d’états...) agissant est toujours la même :
Observation>analyse>intégration à la connaissance>détermination des projets (ou politiques)>action
La démarche est universelle (sauf cas très particulier du genre : prise d’halucinogènes>délires>saut par la fenêtre, mais on s’en passera).
La question est de savoir quelle forme de gouvernance employer pour limiter les biais de cette méthode universelle.
D’abord, la première chose, et qui est déjà faite, mais dans une certaine mesure que je vais critiquer, c’est de fermer la boucle en rajoutant >observation après « action ».
Il est nécessaire de donner toute sa dimension au principe du cycle. Tout droit, on ne va nulle-part. En circuit ouvert, l’humanité perd une quantité phénoménale d’information. Il faut fermer le circuit de l’action de l’homme pour former une roue plus à même de nous faire avancer efficacement. La rétroaction entre action et observation est capitale. La rétroaction est en effet la condition sine qua none du progrès non destructeur. Car comment avancer en poussant à bout des logiques finies sans les réinterroger pour les adapter à la réalité mouvante du monde, sinon en les remplaçant à base de tables rases successives, si dispendieuses, parfois traumatisantes, brutales, et souvent dommageables pour la mémoire de l’humanité (voire par exemple la révolution « verte », celle de la culture intensive qui porte si mal cette couleur) ?
Mais il ne va pas de soit que telle ou telle gouvernance permette de lui donner la dimension nécessaire.
Aujourd’hui par exemple, cette rétroaction est étouffée par les fameuses « contraintes », de tous ordres : économiques, politiques, structurelles, administratives, culturelles... qu’on nous assène pour nous dire que les concepts c’est bien beau, mais la réalité est là, et elle est pas jolie !
L’idée est donc, non pas de détruire ou de nier les réalités que sont l’économie, la politique, l’administration et la culture, mais, compte tenu de ces réalités justement, de définir les termes d’une gouvernance à même de composer avec ces réalités, sans compromettre la nécessité de cycle entre action et observation. Il est évident comme on va le voir, que la gouvernance adéquat finirait par modifier en profondeur et de façon dynamique les contraintes sus-citée.
Revenons à notre introduction via le danger de la réduction des points de vue, la nécessité de la pluralité et de son entretien, car nous avons avec toutes ces idées un beau...cycle conceptuel : en effet, quel meilleur « outil » pour observer ce que l’on fait que « l’autre ». Super outil « l’autre » pour nous tirer de la ligne droite infernale. « L’autre », et a fortiori la multiplicité DES autres, est l’arme ultime qu’il faut ménager pour avancer de façon avisée.
Or qu’est-ce donc que « les autres », sinon d’autres organismes agissants, c’est à dire effectuant eux aussi le cycle en question, auquel nous avons le droit et le devoir dans la mesure de notre énergie disponible, de contribuer par l’observation ?
Il apparaît ainsi que le cycle sain n’existe qu’en tant que noeud dans un réseau de cycles, et que la bonne gouvernance devrait, à mon avis et c’est l’idée que j’ai tenté de faire sentir en ces quelques lignes, s’attacher à promouvoir la société en tant que machine métacyclique.
On a vu pourquoi alors (et vous émettez des doutes légitimes dans votre article) tout monolithisme, y compris une technocratie « bienveillante », ne rempli pas les bonnes conditions pour cette société de cycles, mais il y a une autre dimension capitale qu’il faut penser pour créer les conditions de ces cycles : l’idée de résilience.
La résilience, qui a de multiples définitions, mais que j’entend comme la faculté d’un organisme à exister par delà les difficultés, les changements, autrement dit, c’est ce que vous appelez la faculté d’adaptation, l’adaptabilité.
Je vais brièvement expliquer pourquoi cette dimension fondamentale s’oppose à la volonté de puissance, tout en s’y raccordant, mais en la manifestant de façon bien plus évoluée que les manifestations conventionnelles de la puissance, ou disons, à un niveau plus élevé, ou sur un temps bien plus long, pour résumer : en donnant à la volonté de puissance la dimension de la conscience humaine hautement intégrée.
D’une part, si un organisme ou une entité (la société scientifique dans le Venus Project par exemple) est dominante ou simplement prépondérante, avec les meilleures intentions du monde, cet organisme va influer de façon prépondérante sur le cours des événements, et sur la mobilisation des énergies. Ainsi, c’est à une polarisation des forces, que toute prévalence conduit. Or toute polarisation est anti-adaptative, à moins d’être certain d’être sur le bon chemin adaptatif, mais on entre alors dans le domaine de la croyance, et non de la science. Aucun scientifique sérieux ne peut prétendre être certain de ne pas être surpris par la réalité : au contraire, les plus grands scientifiques sont avides et certains, de ces surprises. L’adaptabilité suppose donc de laisser le plus de possibilité d’échappement en cas d’erreur : c’est l’ouverture de la société sur le monde plutôt que la fermeture d’un bloc compact autour du projet salvateur et universel prédéterminé.
Prenons un exemple : imaginez un projet gigantesque, où une énergie physique et émotionnelle phénoménale est mobilisée, où des gens ont mis tout ce qu’ils avaient, et qu’en plein milieux des travaux des gens qui n’ont rien à voir avec ça, qui découvrent une façon de faire bien plus économique et qui a beaucoup plus d’avantages.... que se passera-t-il ? La gentille super organisation bienveillante va-t-elle être raisonnable ou la réalité de l’énergie et des situations concrète va-t-elle prévaloir et tenter d’écraser l’émergence de l’alternative ? La bienveillance dont parle Fresco est-elle d’ordre divin ? échappe-t-elle aux réalités concrètes ?
Peut-être cependant que si la survie des acteurs ne dépend pas des projets qu’ils mettent en place, la résilience pourrait être effective, même pour un énorme projet. C’est à dire si une carrière ne dépend pas d’un projet avorté, si la liberté d’apprendre, de manger, de boire et de respirer, d’écouter de la musique et de se reposer ne dépend pas de la sauvegarde à tout prix de son poste, la résilience serait grandement facilité, même dans le cadre d’un méga-projet.
Ainsi, on a d’une part nécessité de la diversité, et d’autre part danger de la prévalence de l’unique, mais aussi le danger de l’optimisation à outrance, de la gouvernance sur le fil du rasoir : il faut de la marge, de la souplesse.
La gouvernance a donc deux objectifs à atteindre :
1/ garantir les conditions de maintien de la diversité
2/ contrôler l’émergence des polarités excessives
Et cette gouvernance ne peut donc être que le fait de la multitude. Par définition même, aucun organisme central ne peut remplir cette mission.
Le dernier objectif est à mon avis plutôt culturel, et émergera ou pas :
Sortir de la conception de la maximisation, de « mettre le paquet » en permanence, de tout donner tout le temps pour le moindre projet. On pourrait aussi considérer l’optimisation outrancière, le culte du maximum, comme un super-organisme virtuel agissant sur tous les fronts, et qu’il conviendrait de dompter avant qu’il ne nous dresse...les uns contre les autres de façon dramatique si ce n’est déjà fait.
Il s’agit donc d’un modèle coopératif, mais qui repose sur la conscience de la globalité, c’est à dire qui suppose que les organismes indépendants s’organisent pour se défendre contre les super organismes, car le super organisme draine les forces de la société.
Il n’y a pas de « bonnes intentions ». Celui qui se déclare bon peut prouver facilement sa bonne foi en abandonnant son excès de pouvoir, mais il ne le fera jamais seul : il a besoin du contre-pouvoir que constitue l’expression de la volonté de puissance de la multitude.
Alors il se peut très bien que de bonnes idées soient sacrifiées parce qu’on aura pas su privilégier, voir la bonne idée, que tel super organisme menaçant (par sa dimension croissante) aurait pu ou était en train de développer. C’est même très probable qu’une telle forme de gouvernance produise ce genre d’effets, mais il ne faut pas bêtement oublier toutes les idées et projets que cette gouvernance aura créé par rapport à un autre, et surtout, le fait que la gouvernance de multitude est la seule voie non tyranique, résiliente, et efficace sur le long terme.
Ainsi donc, la volonté de puissance ne se pense plus au sein du seul organisme particulier, mais compose la volonté de puissance brute inhérente à tout organisme, à la conscience du réseau d’organismes, qui par rétroaction refaçonne l’essence même de chaque organisme en lui donnant en plus de la sienne propre, la dimension du super-organisme, et donc aussi sa volonté de puissance. Alors on perçoit encore plus pourquoi le contrôle de l’émergence des polarités excessive est capital, car à défaut, la volonté de puissance du super-organisme se confondrait avec celle d’un seul, et étoufferait par définition les volontés de puissances particulières.
Il n’y a pas de formule miracle mais un dosage délicat et instable qu’il faut oser manier, ou alors se résigner aux ténèbres du dirigisme d’état ou à l’enfer du marché « libre », qui n’est autre qu’une emprise féodale aveugle qui polarise la société en des pyramides plus ou moins imbriqués de parasites : commerçants, financiers, et faux productifs les plus à mêmes de satisfaire des désirs après les avoir créés de toutes pièces, la prévalence de la forme « marché » utilise l’illusion de la nécessité de l’optimisation instantanée pour s’imposer : dissipons cette fable grossière de notre civilisation.
Tout ceci rejoint vous l’aurez compris le trop peu en vogue « agir local, penser global ».