"La
France avait produit un antisémite exceptionnel, qui avait compris
toute la puissance et toutes les possibilités de la nouvelle arme. Le
fait
que cet homme ait été un romancier de valeur est caractéristique de
la situation particulière de la France, où l’antisémitisme n’avait pas
été socialement et intellectuellement discrédité comme
dans les autres pays d’Europe.
La
thèse de Louis-Ferdinand Céline était simple, ingénieuse, et elle avait
juste ce qu’il fallait d’imagination idéologique
pour compléter l’antisémitisme plus rationaliste des Français. Selon
Céline, les Juifs avaient empêché l’unité politique de l’Europe,
provoqué toutes les guerres européennes depuis 843 et tramé
la ruine de la France et de l’Allemagne en suscitant leur hostilité
mutuelle. Céline avança cette abracadabrante explication de l’histoire
dans l’Ecole des cadavres, ouvrage écrit au temps des
accords de Munich (1938), et publié pendant les premiers mois de la
guerre. Un pamphlet publié précédemment sur le même sujet, Bagatelles
pour un massacre ne donnait pas encore cette nouvelle clé
de l’histoire européenne, mais était déjà remarquablement moderne.
Céline n’établissait pas de distinction entre Juifs nationaux et
étrangers, entre bons et mauvais Juifs : il ne se souciait
pas de proposer des lois compliquées (l’une des caractéristiques de
l’antisémitisme français) : il allait droit un but et réclamait le
massacre de tous les
Juifs.
Le
premier livre de Céline reçut un accueil très favorable de la part des principaux intellectuels français, en partie assez satisfaits de cette attaque contre les Juifs, et en partie convaincus que ce n’était qu’une nouvelle et intéressante fantaisie littéraire (André Gide dans « Les Juifs, Céline et Maritain », pense que Céline, en décrivant seulement la « spécialité » juive, est parvenu à peindre non pas la réalité mais la véritable hallucination que la réalité provoque). Pour exactement les mêmes raisons, les fascistes français ne prirent pas Céline au sérieux, même si les nazis, eux, le considérèrent toujours comme le seul véritable antisémite français."
(Arendt, Sur l’antisémitisme, Point-Seuil p.85)
Céline était-il sérieux ou
ironique dans ses pamphlets antisémites ? Au début en tout cas, quand il parlait de médecine ou de l’industrie américaine, écrire des pamphlets pour Céline était
clairement un jeu. Ce qui l’indique, c’est l’absurdité évidente et affichée des propos tenus, autrement dit leur ironie. Un bon exemple est un
article de 1928 sur le travail à la chaîne en Amérique. Remplacez Henry Ford par Adolf Hitler et vous obtenez les Bagatelles pour un massacre (résumé) :
"Céline vante les méthodes de l’industriel américain Henry Ford, méthodes consistant à embaucher de préférence « les ouvriers tarés physiquement et mentalement » et que Céline appelle aussi « les déchus de l’existence ». Cette sorte d’ouvriers, remarque Céline, « dépourvus de sens critique et même de vanité élémentaire », forme « une main d’œuvre stable et qui se résigne mieux qu’une autre. » Céline déplore qu’il n’existe rien encore de semblable en Europe, "sous des prétextes plus ou moins traditionnels, littéraires, toujours futiles et pratiquement désastreux".
Dans le deuxième article, publié en novembre 1928, Céline propose de créer des médecins-policiers d’entreprise, « vaste police médicale et sanitaire » chargée de convaincre les ouvriers « que la plupart des malades peuvent travailler » et que « l’assuré doit travailler le plus possible avec le moins d’interruption possible pour cause de maladie. » Il s’agit, affirme Céline, « d’une entreprise patiente de correction et de rectification intellectuelle » tout à fait réalisable pourtant car « le public ne demande pas à comprendre, il demande à croire. »
Céline conclut sans équivoque : « l’intérêt populaire ? C’est une substance bien infidèle, impulsive et vague. Nous y renonçons volontiers. Ce qui nous paraît beaucoup plus sérieux, c’est l’intérêt patronal et son intérêt économique, point sentimental. »
On peut toutefois s’interroger sur la correspondance entre ces écrits et les réels sentiments de Céline, sur le degré d’ironie de ces commentaires « médicaux » (ou sur une éventuelle évolution), car, quelques années plus tard, plusieurs passages de Voyage au bout de la nuit dénonceront clairement l’inhumanité du système capitaliste en général et fordiste en particulier." (source : wikipedia)
De
fait, en lisant les extraits de ces articles évidemment ironiques sur
le travail à
la chaîne, on ne peut s’empêcher de penser à la vision nazi de la
société, surtout avec l’expression de
« médecins-policiers ». L’assimilation de la police à une entreprise
médicale au sens sanitaire du terme est en effet l’une des
inventions les plus caractéristiques du nazisme. La politique y est
faite suivant des critères biologiques (Hitler choisissait les
candidats SS sur photographie). Céline est ici prophétique. Il opère
en fait une descente en flammes de son époque (la nôtre donc), qu’il
vomit, et manie l’ironie jusqu’à l’absurde pour choquer
les bien-pensant, les philistins du temps - ironie dont
l’« humoriste » Pierre Desproges semble s’être inspiré, à moindre
échelle cependant, c’est dire. (En littérature on peut
peut-être faire remonter ce style froid et dévastateur à Flaubert.)
Bagatelles pour un massacre, texte écoeurant d’antisémitisme, serait-il donc à lire sur le même ton : grotesque ? C’est en tout cas en ce sens que le texte est reçu avant la guerre. Le même article cité plus haut ajoute :
« La critique reçoit avec le pamphlet de Céline une vaste et sinistre plaisanterie qu’il est impossible de prendre au sérieux. Ainsi, André Gide, dans un article intitulé "Les juifs, Céline et Maritain" publié dans les colonnes de la NRF (n°295, 1er avril 1938), considère Bagatelles pour un massacre trop grotesque pour pouvoir être pris au sérieux. De nombreux articles de presse vont dans ce sens, s’interrogeant en même temps sur les motivations réelles de Céline. Cela prouve que l’humour présent dans le pamphlet contredit de manière claire la force et la virulence du propos antisémite. »
Quel était donc le but de cet horrible pamphlet ? Quelle en est la cible ? Sont-ce vraiment les Juifs ? P.Laine émet des doutes à ce sujet (merci à John pour cette citation transmise avec d’autres dans les commentaires) : "La lecture des pamphlets laisse une curieuse impression : le Juif décrit par Céline est un personnage inconsistant, et les excès de langage et la dérision détruisent singulièrement la portée de l’objectif supposé de l’écrivain. D’abord tout le monde est juif dans les pamphlets, le Pape comme le comte de Paris, Maurras et même les autonomistes bretons !« (Pierre Laine, »CÉLINE, Qui suis-je ?" éd. Pardès, 2005 p80-83)
Quant à Hannah Arendt, il s’agirait selon elle pour Céline de faire tomber le masque à une société hypocrite à l’égard des Juifs :
"André Gide se dit publiquement ravi dans les pages de la N.R.F., non qu’il voulut tuer les Juifs de France, mais parce qu’il appréciait l’aveu brutal d’un tel désir, ainsi que la contradiction fascinante entre la brutalité de Céline et la politesse hypocrite dont tous les milieux respectables entouraient la question juive. Le désir de démasquer l’hypocrisie était irrésistible parmi l’élite : on peut en juger en voyant qu’un tel plaisir ne pouvait même pas être gâté par la très réelle persécution des Juifs par Hitler, laquelle était en plein essor au moment où Céline écrivait. Pourtant, cette réaction était due à l’aversion pour le philosémitisme des libéraux, bien plus qu’à la haine des Juifs." (H.Arendt, Le système totalitaire Points-Seuil p.59)
Céline jouerait en quelque sorte le
rôle de bouffon. Avec cynisme, il dit : voilà ce que vous pensez
vraiment sans l’avouer avec votre absurde
philosémitisme. Je dis ce que vous n’osez pas dire, pour vous mettre
le nez dans votre bêtise, pour montrer jusqu’où peut aller ce siècle
dans le ridicule. Par ses pamphlets grotesques, Céline
décrirait ainsi ce qui à ses yeux caractérise notre époque : le
ridicule. Mais à quel moment s’est-il pris à son propre jeu, au point
d’y tomber à son tour ? Pourquoi avoir
encouragé la bêtise ?
Etrangement, face à l’humanité, qu’il conchie, Céline n’est pas
vraiment choqué, mais juste dégoûté. Au lieu de s’indigner, de
critiquer, il se contente de raconter de façon désabusée les
imbécillités qu’il voit autour de lui. « La guerre ? Une imbécillité. » disait-il sommairement (voir plus bas l’interview Céline). C’est là tout le Voyage au bout de la nuit,
qui n’est pas tant une condamnation de la guerre qu’une pure
description. Le pacifisme relève pour Céline du simple bon sens. Mais
le moins que l’on puisse dire, c’est que Céline n’est pas un
humaniste. Il n’aimait personne, ni les juifs, ni les chrétiens, ni les
allemands, ni les français, ni les noirs, ni les blancs
etc.
Politiquement bizzarement, il resta un homme de gauche (Céline était un paradoxe vivant, un monstre, image de son époque). Il
voua une haine terrible au maréchal Pétain, qu’il connaissait déjà
depuis la première guerre, et en fit sa tête de turc - ce qui n’empêcha
pas qu’il soit mis par De Gaulle
sur la liste des collaborateurs et même par certaines institutions
juives sur celle des criminels nazis, tant ses positions durant la
guerre restèrent (délibérément ?) ambiguës. Néanmoins ses
proches témoignent qu’il n’aurait jamais soutenu le régime de Vichy.
Céline manifestement désirait choquer. Mais comme le remarque Hannah
Arendt, son petit jeu malsain fut un échec, car les bien-pensants
applaudirent au lieu de protester. Il est sans
doute l’écrivain qui mérite le mieux le titre de « désespéré du XXe siècle », selon l’expression de celle-ci (voir Heidegger, Céline, Kantorowicz... - Les intellectuels et le nazisme
(2)).
J’ajoute à un cet article trouvé sur internet quelques remarques à propos des entretiens radiophoniques de Céline.
L’homme était très en dessous de son génie littéraire,sa pensée politique peut être qualifiée le plus aimablement possible comme un rmassis de conneris,sa vision de l’Histoire est d’une indigence totale,enfin les justifications qu’il donne à son antisémitisme paraissent de pure circonstance.
Rien de tout cela ne fait débat pour moi,la seule vraie question est celle de savoir si c’est le rôle d’un gouvernement d’établir des listes de proscription et si Sarkozy ou Mitterrand le neveu de l’oncle sont qualifiés pour juger du génie littéraire de Céline.
Comme Céline le dit dans l’un de ses entretiens ,c’est le Voyage que l’on ne lui a jamais pardonné.
C’est sans doute le plus grand paradoxe que ce oit ce partisan de l’Ordre qui ait produit l’oeuvre la plus révolutionnaire de la littérature française
26/01 14:46 - Arthur
Que veux dire en réalité, cette demande de vouloir célébrer un écrivait fut’il un grand (...)
25/01 20:03 - hks
à Rakosky Votre article beaucoup moins subtil que vos commentaires ultérieurs a abouti à (...)
25/01 09:43 - ricoxy
Le couperet de la critique ou de la censure tombe sur tout : « La Princesse de Clèves », « (...)
25/01 05:46 - Gabriel
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25/01 05:36 - thaumaetopea
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